C’était… il y a… il y a longtemps, hein René !
René Hursch, mon ami ’Pied Noir’ de Dombasle n’est plus. Cette amitié, j’oserais… cette fraternité et nos aventures ont commencées ainsi :
« … arrivés à Villingen en Forêt Noire, près du lac de Constance en 1956, il était reconstitué des semblant de régiment avec des ’gaziers’ d’unités diverses rescapés de divers combats surtout en extrême orient, de formations hétéroclites, bérets rouges, bérets verts, noirs métros, képis, calots mélangés. Je suis alors désigné en tant qu’artilleur pour instruire une section sur l’emploi de mortiers de 120m/m.
Mais mon Capitaine, je n’ai jamais tiré au mortier et je ne connais donc pas son emploi…
- Tu es artilleur, tu as tiré au canon… c’est pareil.
- C’est tout de même différent, surtout avec des tubes de chars Sherman…
- Tiens prends ces notices, tu m’étudies ça cet après-midi et demain matin, fissa, sur le terrain, tu mets ces gus au courant, vous partez pour Tébessa dans une quinzaine. »
- …
Ça commence bien !
C’est ainsi mais surtout grâce à un adjudant de la coloniale rescapé de l’offensive Viet-Minh de Caï Bang à Langson en 1951 qui m’a simplifié le mode d’instruction de mise en batterie d’une section de mortiers :
« - Tu prends une ficelle… tu attaches ton flingue au bout, t’as alors un fil à plomb… tu alignes le tube, le trait blanc vertical dessus, sur ta ficelle et l’objectif, le reste est inscrit sur la valise et le réglage des munitions aussi… la distance tu l’as aux jumelles, ou sur la carte, ou au pif… au baroud au mortier, faut aller vite, au premier coup tu rectifies le tir. »
C’est simple, c’est fou, mais ça fonctionne bien et ce résultat a pour conséquence pour ma personne de ne pas partir avec les copains cette fois-ci, j’ai pour tâche d’en instruire d’autres mais un matin… je me retrouve tout de même sur un vieux rafiot, l’Athos II qui a fait moult fois Marseille-Haiphong aller-retour, mais cette fois, en destination du Port d’Oran !
Sur le bateau, ça tombe sur moi, je suis ’de semaine’ pour mon groupe et ayant accès au carré avec le ’Sako’ du bord d’où vient le terme ’se faire saquer’, même métier que l’adjudant de quartier d’une caserne qui gueule plus fort que tous les autres ’juteux’ réunis… on les craints mais c’est une façade obligée pour la discipline, je m’en fait un bon copain car ça n’est pas un mauvais et breton il est du même bled que moi surtout plus gradé que lui !
Je parcours la presse du bord. L’O.N.U est toujours défavorable aux thèses ’colonialistes’, profite des droits qui lui sont dévolus pour essayer d’entraver les actions françaises menées en Afrique du Nord, critique l’attitude et les initiatives de notre gouvernement alors que bon nombre de ses membres sont très mal placés pour donner des leçons. Cet organisme composé de membres inégaux a l’air d’être conçu pour démultiplier les litiges et gonfler les complications internationales ce qui a pour conséquence d’approfondir les fossés entre les nations avec les mêmes défauts de l’ancienne Société des Nations. Qu’allons-nous donc trouver en Afrique du Nord, car il nous faut avouer que nous avons des à priori après s’être fait ’baisé et égratignés en Indochine’. Mais étonnant que des commerçants, des ouvriers, des enseignants, des cultivateurs et d’autres sont des colonialistes si ce sont les mêmes français que nous avons connu… là-bas, car amis lecteurs nous étions… heu… nous ne sommes pas de la même mouture que ceux qui vont devoir la fermer avant la fin de l’aventure en Algérie ! C’est dit !
Nous y arrivons un matin par mer étale. Nous avons à peine le temps d’apercevoir le Cap de Mers el Kébir, le Fort de Santa Cruz et le quartier Ste Thérèse de la gare maritime. De suite avant de monter dans les camions des ’Tringlots’ qui doivent nous conduire à l’ancienne gare du CFA, nous recevons une série de vaccins de rappel contre divers virus dits coloniaux. L’épaule brûle un moment puis la douleur disparaît rapidement. Un gazier, blanc comme un linge est adossé à une murette, il est assis par terre :
Ça fait mal ?
J’en sais rien... j’suis pas encore passé...
En cours de route, à des carrefours, des petits yaouleds nous proposent des achats divers mais sans succès. On connait le truc qui en a envoyé plus d’un de nous chez Saint Pierre… Ils passent alors un index à hauteur de leur gorge pour nous souhaiter la bienvenue. Nous allons prendre le train et rouler sur une ligne de chemin de fer qui pénètre latéralement le territoire Algérien ; elle relie Oran à Colomb Béchard. Le convoi est à quai, motrice diesel précédée de deux wagons sur lesquels se trouvent du matériel divers et une partie de l’escorte, suivent des wagons à bestiaux sur lesquels nous montons. Des US17 sont distribués avec la valeur de deux chargeurs qu’il faudra rendre arrivé à destination, on me donne comme dotation un pistolet 9m/m, une dague commando anglaise et… une grenade défensive. Mais pourquoi une grenade ? Dis-je.
« Au cas où tu n’as plus de munitions, ça peut être pour ta pomme… ». Me dit en riant l’armurier.
Je réclame alors quelques boites de munitions supplémentaires !
Puis on m’explique que ça n’est pas la ligne directe mais que nous n’aurons pas à changer de train à Perrégaux car les voies ne sont pas de même écartement partout. Cette ligne du Sud Oranais a son point de départ dans l’ancienne gare de Karguentah construite par le PLM. On traverse Saint Cloud, les carrières de marbre de Kristel et Orousse, Renan-Kléber, Damesne-Arzew, annexe pétrolière du port d’Oran. La mer est suivie sur une quinzaine de kilomètres jusqu’à la Macta près de la vieille ville historique de Mazagran. Le train quitte la côte pour, après avoir traversé la plaine avant d’arriver à Perrégaux, croiser dans cette localité la grande voie ferrée Oran-Alger. A proximité, le grand barrage de l’Habra retient l’eau de l’Oued qui fertilise la région. Remontant ensuite la haute vallée de l’Habra et de l’Oued el Hamman, la ligne traverse la chaîne des Beni-Chougranes, un des massifs de l’Atlas Tellien qu’elle contourne ensuite par le sud pour desservir la station de Tizi, bifurcation d’une ligne désaffectée Mascara-Palikao-Dombasle-Uzès le Duc et au-delà.
Je dois mettre les gaziers dont j’ai la responsabilité en alerte opération et eux qui braillaient leurs chansons de corps de garde deviennent soudain silencieux en approvisionnant leur armement et observent maintenant attentivement le paysage…
Le passage des gorges de l’Oued Habra est impressionnant, c’est magnifique mais ’la gaieté de l’escadron’ est tempérée par le spectacle d’un ancien arrêt, incendié, des poteaux télégraphiques coupés, des fils traînant sur le sol. Des postes de Chasseurs alpins protègent la zone du barrage, on les voit avec leur grand béret. De loin en loin sur la ligne, des wagons gisent démolis en contre bas dans les ravins.
Nous arrivons à Tizi et nous sommes transportés par camion sur un terrain de sport, au champ de courses près de Mascara où quelques-uns vont passer une semaine en quarantaine, nous avons des malades qui ont contracté une mauvaise grippe dite asiatique, l’infirmerie-dispensaire du régiment occupe l’ancienne gare de Dombasle quelques kilomètres plus loin après Palikao.
Dès notre arrivée, nous sommes rééquipés ’fissa’ d’un armement plus adapté, moderne avec tenues adéquates et recevons comme mission en prime la protection des vendanges et des vendangeurs du coin.
Ce même jour au soir, harassés par le voyage, en vue de la mission du lendemain et le changement de climat, nous nous retrouvons parqués à se reposer provisoirement dans les Caves Inguiberty où le moût de raisin a commencé son travail de fermentation par lequel est élaboré le vin, à commencer par une pulpe aromatique et très sucrée. Quelques-uns d’entre nous ont eu la mauvaise idée d’aller dormir sur des plates-formes au-dessus des cuves et bientôt, nous voyons en descendre quelques-uns titubants et malades avec d’abominables nausées. Pensant à un empoisonnement ou bien à une subite infection de la grippe dite asiatique, on nous envoyais au baroud à l’époque sans masque, sans vaccin et sans passe-sanitaire, notre agitation nocturne attire une personne qui nous soupçonne d’avoir bu du jus de raisin en état de fermentation ce qui à ses dires peut détériorer la cuvée.
Je calme le jeux en affirmant que ça n’est pas du tout le cas mais que certains d’entre nous avait trouvé le bon joint ’pour se reposer’ plus à l’aise plutôt que par terre la tête appuyée sur nos sacs. Il éclate alors de rire et… :
« Poôpopô… mais tes gars mon vieux ne sont pas malades… ils ont pris une bonne cuite au-dessus des cuves au risque de se réveiller morts demain matin… ils sont bourrés, quoi ! ».
Tout ceci ci-dessus pour vous dire que depuis ce fameux soir, nous ne nous sommes jamais quittés, jamais très loin physiquement éloigné l’un de l’autre, car avec René Hursch cet Ami Pied Noir qui m’avait engueulé cette
nuit-là, nous avons partagé de bon moments aussi bien que de mauvais…
Fils de Madame Hursch adjointe puis Maire du village de Dombasle, nous avons partagé beaucoup, avec d’autres aussi parmi la population alentours et pour ma part, particulièrement à me faire soigner sérieusement du paludisme et de la dysenterie amibienne dont ses asticots me bouffaient les intestins à devoir absorber de la nivaquine pendant quelques années sans le grand cirque actuel, sans en être affecté et qui m’a guéri au fil des jours. Sa Province rurale d’Algérie, à l’époque département français donc habité par des français n’existe plus comme je l’entend, descendant de ceux venus de Moselle où se trouve encore le village de leurs origine, le même Dombasle de nom mais métropolitain, il n’y est jamais retourné à son Dombasle algérien.
Ce jour-là photos ci-dessus, à Mostaganem le 8 juin 1958, notre unité rendait les honneurs à des personnalités militaires et civiles venues de Métropole. Après ce jour-là, ça ne fut plus comme avant !
Alors comme tant d’autres, il a dû partir un jour, foutu à la porte de chez lui, sans se retourner, avec la nostalgie de ce qu’il avait aimé, c’est sûr, et avec quelques-uns qu’il avait aidé, ces quelques-uns qui avaient refuser de signer un nouveau ’contrat des engagés tu as signé, tu n’as qu’à en chier…’, dès la dissolution de notre unité dans le courant de l’année 1959 en divers commandos de chasse et la suite, puisque ça n’était plus comme avant, nous avons eu le devoir et l’amitié de rendre la pareille non seulement à René mais aussi à quelques familles dites de rapatriés, quoiqu’on en a dit imparfaitement de trop là-dessus, enfin tout au moins pour notre part...
… tout comme à ce gamin de 8 ans, avec ses lunettes, Edgard, avec qui j’ai joué aux billes sur la place de son village et que j’ai retrouvé peu avant son départ en retraite.
Merci à toi, René, merci à vous, familles Baéza, Bastien, Boulade, Cano, Carayon, Dayan, Hursch, Navaro, Jaen, et à bien d’autres de la part de tous les ’Crabes Tambours’ de ma génération…
(Fond photos : GC)