Lorsque le moral est bien bas, lorsqu’il est trop haut, je reprends la Mer, à terre, je ne puis faire le calme en moi. Je consens à redevenir le petit garçon qui s’ouvre avec la vraie vie. Je me remplis d’espace, de vent, de bleu, de ciel et d’eau et aussi d’horizons des grandes voies d’immensités qui ont guidé mes découvertes de terrien. Avec mes copains, à bord d’un vieux gréement, avec Eole qui le pousse au large, avec les embruns je me lave non seulement le corps, les pieds, la tête et surtout l’esprit sans oublier d’ôter de ma bouche la poussière du chemin qui s’y est accumulée avec un bon coup de Lambig, le carburant des marins de chez moi. La Mer, ça n’est pas forcément l’imaginaire ouvert sur l’inattendu, les idées, les émotions car la vague et le contre courant menace alors votre création. Il faut raisonner, s’assagir, même si c’est un espoir particulier où se mêlent l’expérience et le plaisir, vrais moments de bonheur où il est nécessaire de résister à tous les temps du verbe. Seulement après, on peut aborder le quai avec le respect et la pudeur de la réussite après l’aventure de la simplicité dans une science exacte, les cartes marines et d’état major ne servant pas toujours à nuire aux hommes par la guerre.
A l’étale de pleine Mer, nous avons pris la houle du large pour faire les Iles et passer à travers leurs roches et brisants en se méfiant de taper du cul les fonds. Mémoire des passes, mémoires des fonds, mémoire de la Mer, mémoire tout court.
La Mémoire ? A que ! Ceci est une dissertation difficile !
Plus je vieillis, plus je suis ignorant de tout. Mais je pense surtout à me soigner l’esprit, j’apprends, opposé au triomphalisme et à la prétendue maîtrise de la souveraineté anthropocentrique, concept de puissance de la mémoire incarnée dans la puissance du soi, des rois, aujourd’hui des Etats avec leurs princes qui élaborent toute une série de règles pour gouverner les Peuples dans la limite de leurs frontières en n’entendant point de les voir remise en question. Leur formule en physique est celle-ci : 100 H O 7 + L H O + L 100 = L Pu. C’est pourquoi certaines autorités cachent des vérités de mémoire collective, possibilité de relations vraies au monde de nos semblables, à être simplement comme nous sommes avec nos qualités et nos défauts. Y aurait-il de gros secrets pour cacher des choses à ce point quand il faut se dépêcher car la veine commémorative s’épuise de jour en jour.
Les vraies angoisses de ce savoir ne se résolvent pas sur un canapé de psychiatre. Point de réalité plombante sans tragédie en particulier par le sang versé. La nature humaine est telle qu’elle est. Point c’est tout !
Sorte de développement durable, l’exercice est délicat d’imaginer le respect de la mémoire comme de comprendre l’importance différente du bien manger dans son assiette et de bien boire dans son verre. Se rapprocher par l’assiette est une action ludique pour aborder la convivialité entraînant le dialogue et l’écoute, véritable trait d’union avec un point d’équilibre entre le tout. Rien que de bonnes raisons pour se sentir concerné et elles ne sont pas rien.
Suivent autant d’images, autant d’interprétations, autant d’évocations de problèmes le plus souvent d’ordre personnel, même si ce ne sont pas toujours les témoins directs qui en parlent le mieux, pire vue de la meilleure des choses, spectateurs vivants qui bousculent parfois la façon de voir et de penser. Il semblerait que si l’on ne s’aime pas les uns les autres… c’est que nous n’avons pas assez souffert ! D’où nécessité d’apprentissage des autres et par conséquence, émancipation humaine où tout un chacun se doit de découvrir pour éduquer, sans quoi, la relève sans éducation ne sera pas au rendez-vous de l’histoire. Apprentissage des autres, soit ! Mais aussi se lier aux autres. Le bonheur est dans l’amitié, dans la nature comme l’homme du temps passé pouvait voir partout distillé dans chaque arbre, chaque plante, cette nature qui était son espace de liberté, sa liturgie, étrange expérience sensuelle de fraîcheur de rivière, d’herbe foulée lui révélant l’autre face de la violence du Monde. C’est extravagant de penser ceci, non ? Mais laissez moi rêver. L’automne a ses plaisirs comme les truffes noires des confins du Lot et du Ségala, sur les routes des bastides en pierres ouvragées où sentent bon les feux de bois sur la pierre portant leurs braises. Avec et dans la nature, une connivence de goût et de vie n’éloigne jamais les hommes mais au contraire les rapproche.
La Mémoire se transmet. Cette sorte d’espoir se donne avec générosité à ceux qui l’acceptent comme l’amitié qui ne se donne pas mais s’accepte. Mais au fond des choses, quel est donc le sens de tout cela ? Qu’elle en est l’utilité pour l’être humain, la plupart du temps condamné à vivre là où il est, où il a du venir, là où on l’a mis, déporté, immigré, rapatrié… excuté ?
Mêler la légèreté des choses au poids du temps, faire en sorte que ce mélange soit le reflet de l’innocence première en quête de beauté, de l’exaltation par l’aventure issue du danger, nécessaire à plus de gens que l’on croit, conserver les souvenirs communs à tout un groupe humain et leur influence sur la vie de la société Courir et jouer avec la vie, les victimes des uns étant les tortionnaires des autres. Voir ? Suffit-il de couvrir le territoire de stèles en tout genre ou de plaques commémoratives, le crime contre l’humanité s’est affreusement propagé depuis la sois disante fin des guerres, mal héréditaire et transmissible de l’homme merdaillé ou pas, malheur à répétition ? Bien sûr que non, bien sûr que oui ; chacun a ses souvenirs et sa vision, cybersolitude dans une socialisation restreinte à un groupe en tribu qui est une sorte d’isolement à plusieurs, qui par leur avatar s’adonnent parfois à une sorte de schizophrénie reflétant pouvoir et puissance anonyme par le jeux de réseau local, agissant sur le comportement, rendant la fiction virtuelle et la réalité quotidienne en un amalgame de sorte de jeu de cyber café sur des écrans plats et la communication sans fin. Ne pas la transformer en ragots d’exaltés aliénés.
Il faut faire jouer la mémoire, la vraie, pour retrouver le chemin sans combattre des moulins à vent. Chacun de nous doit préparer sa thèse, avec son histoire dans sa tête, dans son cœur, dans le souvenir de sa terre natale ; surtout ne pas les oublier ces ceusses là, ceux de la terre natale, car l’oubli des siens, c’est un second linceul de la mort. Dans un coin à l’affût, ce va et vient de notre mémoire ouvre et déchire ce qu’il fut comme les pages d’un livre encyclopédique et quand les humains doivent se retrouver à la croisée de leurs chemins, au jour dit, inexorablement, ils sont dans le cercle rouge de la cible.
Au retour à terre, près de la Baie des Trépassés je sentis tomber la paix en moi, en baume sournois. En mon Jardin des Oliviers, j’avais tracé mon dernier labour échappant encore une fois à l’Homme à la Faux au visage blême de l’Ankou qui connait pourtant son métier. En ce jour de Toussaint, il guidait le troupeau qui sortait de l’Enfer des Marais de Brénnilis afin de rejoindre à bord de son bateau, Bran qui devait conduire les âmes des défunts couverts de goémon, le linceul des naufragés, de l’autre côté de la Mer. La Chapelle de Sainte Anne de la Palud sonnait le Glas. A travers la brume qui montait à la côte, je crus apercevoir… mais non… ça n’était pas possible… elle est là-bas, dans son petit carré de terre, près des anciennes Sainte Clotilde et Saint André, je le sais, mais y est-elle encore ? Bénit soit son souvenir dans le parfum des sept vents émanant de son être toujours vivant en moi quand on croit savoir que l’âme serait immortelle...
- Hé ! Pot’r bin, c’est pas des coins à rester là ce soir. Foutons donc le camp de là. Il est bien tard et il y a du chemin à faire avant de rentrer à la Maison…
Jobic qui voit des ‘signes’ partout, plié par son carré de poissons était blanc comme… un mort !
"Les illustrations sont de Didier Graffet "Au bord des continents" Mythes et légendes de Bretagne"