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Royaume-Uni : les syndicats restaurent leur pouvoir

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Une image vaut mieux que mille mots. Cette expression, présente des deux côtés de la Manche, ne saurait perdre de sa superbe à quiconque était présent à Londres ce vendredi. Le London Underground est habituellement fort des 5 millions de voyageurs quotidiens de son réseau de métro soit l’équivalent du trafic quotidien de la SNCF sur l’ensemble du territoire français. Un réseau complètement à l’arrêt ce vendredi à l’inverse du réseau de bus où les voyageurs se sont réfugiés, entassés tant bien que mal dans les iconiques bus rouges à impériale.

Rouges comme le logo de la TSSA, très proche du Parti travailliste syndicat de cheminots au cœur, avec la RMT, syndicat exclu du Labour en 2004 et accusé d’être pro-russse, d’un des plus grands mouvements depuis 2011, année où le Premier ministre David Cameron avait tenté de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 puis 66 ans et où le corps enseignant s’était massivement mobilisé.

Entamée jeudi par un débrayage de près de 50 000 cheminots, la grève se veut toutefois le successeur direct d’un autre mouvement social : celui qui frappa le secteur en 1989 avec la privatisation incomplète du rail entamée 5 ans auparavant par Margaret Thatcher.

Ce jeudi 18 août, seulement 20 % des trains britanniques circulaient.

À la suite des cheminots, les dockers du port de Felixstowe, principal port de fret du pays d’un secteur connu pour son pouvoir de nuisance en cas de conflits sociaux, ont rejoint le mouvement ce dimanche. Les éboueurs, les facteurs, les manutentionnaires, les infirmiers et même les avocats pénalistes pourraient suivre dans les prochains jours.

Flambée des prix de l’énergie

Au cœur de ce mouvement se trouve l’inflation frappant l’archipel, une inflation située à 10 % sur un an en juillet soit presque 2 points de plus que la moyenne européenne et son plus haut niveau depuis 1982, année où le premier gouvernement Thatcher était parvenu de haute lutte à la faire diminuer de moitié en réduisant la masse monétaire et les déficits, redonnant une crédibilité financière au pays. L’inflation risque toutefois d’atteindre les 13 % en octobre selon la banque centrale d’Angleterre, qui a décidé de multiplier ses taux d’intérêt par 3 voire par 6 d’ici l’année prochaine, risquant d’augmenter par la même occasion les taux d’intérêt du secteur immobilier. Ce secteur est connu pour sa part de logements mitoyens caractéristiques du pays du thé et où la propriété des appartements se fait essentiellement par baux emphytéotiques (leasehold) durant 50 à 100 ans et s’apparentant à un bail payé au propriétaire foncier. Un bail expliquant la concentration de la propriété foncière dans le pays. Cette caractéristique ne frappe toutefois pas l’Écosse, à la législation bien plus proche du droit continental.

Mais cette inflation touche durement le secteur de l’énergie. Ce secteur est évidemment essentiel dans toute économie puisque, comme l’évoque régulièrement l’économiste Charles Gave depuis le début de l’année, l’économie n’est rien d’autre que de l’énergie transformée. Un secteur d’autant plus clef au Royaume-Uni où il est un des meilleurs exemples de privatisation réussie, mais où le gaz naturel, dont les prix montent plus vite que ceux de l’électricité, est plus important qu’en France .

Cette situation fait dire à la NHS – équivalent local de la CPAM constituant, comme en France, une « religion nationale » pour reprendre les mots de l’ancien ministre des Finances de Margaret Thatcher – que le pays risque de connaître une véritable crise humanitaire avec des difficultés de chauffage des logements et même une hausse de la mortalité infantile.

Les conséquences de deux ans de covid

Les causes de cette inflation sont connues. Depuis quelques mois, beaucoup de médias évoquent une désynchronisation entre l’explosion de la demande post-pandémie et une offre plombée par la crise russo-ukrainienne après une année 2020 marquée par un faible niveau des prix.

En vérité, comme nous l’évoquons régulièrement dans nos colonnes, l’inflation est liée à l’augmentation de la masse monétaire par les banques centrales aidées par le « quoiqu’il en coûte » covidien, source de déficit et de faux prix de marché.

Une autre cause est avancée, cette fois par le New York Times, pour expliquer la spécificité britannique : le marché du travail post-Brexit . En effet, la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs provoque de fait des hausses de salaires, notamment dans le transport routier.

Une pénurie que les syndicats ont bien décidé d’exploiter dans le conflit social actuel.

Un gouvernement impuissant

À ce contexte social s’ajoute un contexte politique.

Le mouvement est en effet engagé alors que le 10 Downing Street connaît une guerre de succession après la démission de Boris Johnson . Contraint d’expédier les affaires courantes et sans autorité pour affronter la tempête sociale, l’exécutif est contraint de subir le bras de fer lancé par le maire travailliste de Londres, Sadik Khan, alors que le secrétaire d’État aux Transports, Grant Shapps, est engagé dans la modernisation du rail.

Des syndicats en position de force

Ce contexte amène les grévistes à demander une hausse de leurs salaires alors que beaucoup entrent dans leur troisième année de gel. Les négociations s’annoncent longues, puisqu’à titre d’exemple, les syndicats ont rejeté la proposition de la Network Rail, compagnie ferroviaire ayant proposé une hausse de 8 % sans demander l’avis de leurs adhérents. Ces syndicats sont en majorité affiliés au Parti travailliste.

Convaincus d’avoir retrouvé leur pouvoir de nuisance antérieur à l’époque Thatcher, plusieurs syndicats en sont même venus à soudoyer leurs membres en doublant leurs indemnités de grève destinées à compenser la perte de salaire due au mouvement.

Une époque pré-thatchérienne

En 1979, Margaret Thatcher avait été élue sur deux priorités : la lutte contre l’inflation et la fin du pouvoir exorbitant des syndicats. La première était alors expliquée par le choc pétrolier de 1973 et par la pression à la hausse sur les salaires exercée par les puissants syndicats.

La comparaison avec la période actuelle est plus que frappante, car elle n’est pas sans rappeler l’époque de James Callaghan, Premier ministre travailliste entre 1976 et 1979.

Dans ce contexte, le discours des deux favoris à la succession de Boris Johnson n’est sans doute pas un hasard. Deux discours très thatchériens pour la secrétaire d’État aux Affaires Etrangères Liz Truss et le ministre des Finances Rishi Sunak, tous deux très durs à l’égard des syndicats britanniques. Les deux candidats ont appelé à l’interdiction des grèves dans les services publics essentiels.

Vers une contagion européenne

Ce contexte spécifique n’est toutefois pas dénué de risque de contagion vers l’Hexagone.

Depuis la fin du printemps, les mouvements de grève revendiquant des hausses de salaires pour faire face à l’inflation se multiplient en Europe.

En France, depuis le mois de mai, plusieurs mouvements ont été lancés , toujours essentiellement dans les transports et l’énergie.

Si la situation britannique est animée par des éléments singuliers, les mouvements de revendications de hausses salariales face à une inflation provoquée par un robinet d’argent public un peu trop ouvert pourraient se multiplier ces prochaines semaines un peu partout en Europe et notamment dans l’Hexagone.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/0...