Par Alain Bonnafous.
N’ayant aucune compétence médicale je renvoie le lecteur qui en ferait une condition de légitimité d’une réflexion sur le Covid-19 aux articles frappés du bon sens du docteur Patrick de Casanove , du professeur Paul Touboul ou du docteur Gérard Maudrux .
Outre une curiosité épistémologique , je n’ai à faire valoir qu’une modeste compétence dans le domaine des statistiques, pour les avoir enseignées dans deux écoles d’ingénieur et une faculté des sciences et les avoir largement utilisées dans des recherches économiques.
La parole du Conseil scientifique est-elle toujours sacrée ?
Il se passe quelque chose d’étrange dans les relations entre le Conseil scientifique Covid 19 et l’exécutif. Le site du premier , consulté le 26 février, ne présente qu’un avis pour ce dernier mois, alors qu’il tombait, depuis mars 2020, au moins trois notes ou avis par mois.
Compte tenu des circonstances, il y a peu de chances pour que ce Conseil cesse de produire ses analyses. Ce demi-silence officiel pourrait traduire quelques dissensions entre le souhaitable du point de vue sanitaire et le politiquement acceptable. Dans tous les cas il traduit de l’incertitude.
Deux tendances s’opposeraient même au sein-même du Conseil scientifique selon certaines analyses : l’une consistant à renoncer à un confinement généralisé en raison de ses coûts économiques et sociaux, l’autre se rapprochant de la stratégie dite du zéro-Covid et passant par une période de confinement strict.
La première tendance est bien expliquée dans la lettre de cinq des membres du Conseil scientifique, dont son président Jean-François Delfraissy, publiée dans le The Lancet Public Health et dans laquelle ils plaident pour mettre fin à ce cycle de confinements dont « les conséquences sociales et sanitaires (notamment pour la santé mentale) sont également considérables, en particulier pour les plus jeunes générations, bien qu’elles soient à faible risque. »
La deuxième tendance rejoint les prises de position de nombreux scientifiques adeptes de cette stratégie zéro-Covid qui vise à anéantir toute circulation virale par un confinement strict pour ensuite lever progressivement les contraintes.
Une vingtaine de spécialistes européens ont ainsi signé en décembre une lettre au Lancet (qui reçoit beaucoup de courrier outre les articles de faussaires), lettre dans laquelle ils suggéraient cette stratégie visant à atteindre par confinement le nombre de moins de 10 cas quotidiens par million d’habitants puis à entretenir cette situation par une stratégie complète : surveillance systématique et traitement rapide d’éventuels nouveaux foyers y compris par des confinements régionaux. Un collectif de médecins, d’économistes et de politologues signaient une tribune proche dans les colonnes du journal Le Monde le 15 février.
Pour autant, ce modèle du zéro-Covid ne s’impose pas aussi simplement pour au moins trois objections dont la synergie saute aux yeux.
La première tient au doute que chacun peut avoir sur l’efficacité de telle ou telle mesure, en particulier sur l’efficacité du confinement.
La deuxième tient à ce que cette option puisse entraîner des coûts économiques et sociaux démesurés en regard des effets attendus sur la dynamique de la pandémie.
La troisième tient à l’acceptabilité sociale de la mesure initiale requise, c’est-à-dire un strict et long confinement pour des résultats incertains et coûteux. En savons-nous aujourd’hui un peu plus sur ces trois objections ?
L’objection de l’efficacité
Nous abordons là une problématique florissante qui concerne les interventions non-pharmaceutiques (en anglais, les NPIs ou nonpharmaceutical interventions et que nous nommerons les INP pour respecter la pratique québécoise de la francophonie).
De multiples travaux se sont déjà accumulés qui s’efforcent de repérer, sur la base d’observations statistiques, les effets éventuels de telle ou telle mesure non pharmaceutique. Le défi méthodologique de ce repérage a été fort clairement expliqué dans un article récent du physiologiste Jean-François Toussaint qui met en doute l’efficacité du confinement.
J’évoquerai une autre publication récente pour illustrer cette première objection et dont l’un des auteurs, John Ioannidis est une référence mondiale en matière d’épidémiologie, au sens où ses travaux ont bénéficié de plus de citations dans l’édition scientifique que le total obtenu par les quinze membres initiaux du Conseil scientifique – Didier Raoult exclu. Cette étude me semble en effet particulièrement solide du point de vue de l’interprétation statistique et son principe mérite d’être précisé.
Les auteurs ont traité les cas de dix pays pour lesquels les données étaient suffisantes. Huit d’entre eux ont connu, au moins régionalement, un confinement strict, c’est-à-dire l’intervention la plus rude parmi la quinzaine d’INP comparées (Angleterre, France, Allemagne, Iran, Italie, Pays Bas, Espagne et USA). Deux d’entre eux (Corée du Sud et Suède) n’ont connu que des INP plus légères.
La variable à expliquer est le taux de croissance quotidien du nombre de cas recensés. Cet indicateur a été relevé pour des périodes allant de février à avril 2020 qui recouvrent, dans chaque pays, les dates des INP et évidemment les semaines qui suivent.
Il s’agit donc d’une analyse typiquement multidimensionnelle. Elle est quelque peu complexe dans la mesure où chaque pays a fait sa propre sélection parmi une quinzaine d’INP et les a mises en œuvre selon une chronologie particulière.
Les auteurs ont établi que, dans les dix cas, le bouquet d’interventions a été suivi d’une inflexion vers le bas de la courbe des contaminations quotidiennes et que cette amélioration est statistiquement significative (i.e. ne peut s’expliquer par le seul hasard) pour tous les pays sauf l’Espagne.
Mais l’objectif principal de l’étude était de déceler un effet spécifique du confinement strict. Pour cela, les auteurs ont eu recours à une ruse consistant à déduire des effets observés ceux qui pouvaient être statistiquement attribuables aux autres interventions en s’appuyant sur les observations suédoises et coréennes qui correspondent aux deux seuls cas sans confinement.
Les séries chronologiques de chacun des huit pays étant confrontées d’une part aux séries suédoises et d’autre part aux séries coréennes, cela fournit 16 estimations des effets théoriques résultant du confinement.
On ne peut mieux résumer les résultats qu’en reprenant la conclusion des auteurs :
Aucune comparaison n’a révélé une réduction (statistiquement) significative des taux de croissance des cas attribuable au confinement strict, quel que soit le pays. Les estimations ponctuelles sont positives (au sens où elles témoignent d’une augmentation de la croissance quotidienne des cas) dans 12 comparaisons sur 16.
On comprend que de tels résultats perturbent la tendance majoritaire du milieu médical et qu’ils ne soient guère évoqués par la plupart des médias, d’autant que c’est l’IHU de Marseille et tout particulièrement Didier Raoult qui en ont été les premiers diffuseurs auprès du grand public.
On comprend aussi que pour des raisons chronologiques, ils n’aient pu être pris en compte par les premières évaluations socio-économiques des effets du confinement que nous allons maintenant considérer.
L’objection du coût économique et social du confinement
Laissons pour l’instant cette incertitude quant aux effets d’un confinement strict sur l’évolution de la pandémie et retenons une hypothèse de travail provisoire selon laquelle on aurait une idée précise du nombre de vies épargnées lorsque cette mesure est mise en œuvre.
La question se pose alors de savoir ce qu’est, au total, son bilan économique et social. C’est un problème très classique d’évaluation socio-économique : sur un plateau de la balance, il y a de la création de valeur, principalement des vies et des souffrances épargnées ; sur l’autre plateau il y a de la destruction de valeur, principalement des pertes économiques. Une intervention donnée sera réputée utile à la société si elle crée davantage de valeur qu’elle n’en détruit.
La comparaison des deux plateaux n’est possible que si la valeur créée est mesurée dans la même unité que la valeur détruite, ce qui signifie qu’il convient d’affecter une valeur monétaire à la vie humaine. Le réflexe premier consiste à dire que la vie n’a pas de prix, mais c’est une grande naïveté dès lors qu’elle a un coût.
En effet, une politique de santé consiste à optimiser des ressources par nature limitées et si l’on affecte à une action particulière cent millions d’euros pour sauver dix vies (en termes de prévision statistique) on commet peut-être une erreur si cette somme avait pu être affectée à une autre mesure susceptible de sauver 50 vies.
Ce choix, qui pourrait résulter du refus de toute évaluation pour ne pas avoir à affecter une valeur à une vie épargnée, aurait en ce cas pour conséquence d’en sacrifier 40. Il y a longtemps que les économistes ont accepté l’idée que lorsque la santé ou la sécurité sont en cause, une évaluation publique nécessite une valeur tutélaire d’une vie humaine conçue comme l’effort que doit consentir la collectivité pour abaisser d’une unité une statistique de mortalité.
Dans le domaine de l’économie des transports par exemple, les effets d’un investissement sur la sécurité prennent ainsi en compte un montant de trois millions d’euros pour une vie « statistiquement » épargnée.
C’est sur cette base que mes collègues toulousains Christian Gollier et Stéphane Straub on fait une première évaluation , qu’ils ont qualifiée eux-mêmes de « coin de table », en mars 2020. Ils ont estimé à 250 milliards la perte de revenu national liée au confinement (environ 10 % du PIB annuel), mais ils ont supposé un risque d’un million de décès en cas de non confinement en se fondant sur des simulations disponibles à ce moment-là.
La perte économique est alors à comparer au million de décès épargnés soit, en tenant compte de la distribution des âges des victimes, à 300 000 durées de vies entières. À trois millions l’unité ils arrivent à 900 milliards, soir une « valeur créée » très supérieure à la « valeur détruite ».
Bien entendu, la balance serait défavorable dans l’hypothèse où le nombre de décès épargnés ne serait, par exemple, que de 250 000.
Nos ressources dominantes pour les politiques publiques dérivent de la culture de l’ENA et de Polytechnique. Les Anglais ont la culture de la London School of Economics. Leurs économistes de la santé ont donc très vite fait mouliner leur savoir-faire et ont produit, dès l’été dernier, des évaluations solidement documentées.
L’une, publiée dans l’Oxford Revue of Economic Policy , arrive à la conclusion qu’un confinement de dix semaines n’a un rendement social positif que si la valeur tutélaire de la vie humaine est supérieure à dix millions de livres, alors qu’elle est de trois millions dans les textes officiels qui prescrivent les évaluations.
L’autre, publiée dans les Cambridge University Press , en convoquant une plus grande variété de scénarios, arrive à une conclusion très proche. Avec les valeurs tutélaires officielles ces évaluations révèlent donc un bilan social désastreux.
Encore convient-il d’ajouter que ces travaux peuvent surestimer les effets des interventions non pharmaceutiques dans la mesure où les estimations qui sont faites des vies épargnées supposent une efficacité pouvant être surévaluée comme le suggère l’article de John Ioannidis évoqué plus haut.
La même réserve est suggérée par le géographe et statisticien Thomas Wieland, de l’université de Karlsruhe qui a clairement démontré que « dans une grande majorité de länder, la courbe épidémique s’est aplatie avant la mise en place du confinement (23 mars 2020) ». Les effets d’une INP peuvent ainsi être mieux évalués si la dynamique initiale de la contamination est prise en compte (ce que fait explicitement l’article Ioannidis).
Tous ces comptes faits, on ne peut donc exclure qu’un confinement soit soldé par une lourde perte sociale.
L’objection de l’acceptabilité sociale du confinement
À quelques mois d’une consultation nationale et à un an d’une campagne présidentielle, c’est peut-être la seule objection qui pèse, tant il est clair que les travaux scientifiques sont de peu d’effets dans la gestion politique de cette pandémie comme l’a montré la position de l’exécutif vis-à-vis des traitements précoces et son entêtement en dépit de l’accumulation des études qui en montraient les bienfaits.
La perspective d’un confinement peut être bien acceptée par ceux que l’on peut convaincre qu’il s’agit de les protéger d’un risque majeur… et que cette protection sera efficace. En particulier lorsqu’ils savent qu’ils sont plus exposés que d’autres à une issue fatale en cas de contamination.
Il n’en reste pas moins que la plupart des INP ont des victimes désignées : les restaurateurs, les commerçants, les travailleurs du spectacle, ceux des sports d’hiver, les sportifs, les écoliers et leurs parents, les étudiants…
Cela finit par faire beaucoup de monde et chacun dans son coin se pose des questions qui ne sont pas délirantes du type : la promiscuité dans mon amphi est-elle plus dangereuse que celle du métro ? La queue pour un télésiège est-elle plus redoutable que celle d’une caisse de grand magasin ? Il serait facile, et peut-être un peu démagogique, de multiplier ainsi de bonnes questions.
Il est moins facile d’y apporter des réponses convenablement documentées dans la mesure où, comme l’a clairement démontré Michel Negynas dans un article récent de Contrepoints, c’est l’émotionnel et le ressenti qui font la loi.
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