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René Mayer- Les Pieds-noirs et la bombe H

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Le 13 février 1960, la France expérimentait à Reggane, au Sahara, sa première bombe atomique. Une bombe A. Ce type de bombe fait appel à la scission d’un atome lourd d’uranium ou de plutonium. Restait alors, pour la France, à s’attaquer au palier suivant : la bombe H, plus puissante encore, qui fait appel à la fusion de deux atomes légers.

Sous l’influence de militaires de haut rang, plus désireux de conforter leurs armements classiques (porte-avion, chasseurs-bombardiers, blindés etc.) que de voir les crédits de la Défense engloutis dans une course à la bombinette, les moyens affectés à la recherche de la bombe H restèrent longtemps relativement limités. Les résultats se faisaient attendre. La France peinait à franchir la seconde étape.

Cinq ans plus tard, la Chine étonna le monde en faisant exploser sa première bombe A. À son tour, elle s’invitait ainsi dans le club atomique. Le général De Gaulle craignit alors que l’empire du Levant ne se procure la bombe H avant la France, risquant ainsi de compromettre son rêve de pratiquer un jeu de bascule entre les deux Supers-Grands. L’impatience de l’Elysée, transmise par le ministre Alain Peyrefitte, s’exprima en critiques de plus en plus insistantes. Jacques Robert, le Commissaire à l’énergie atomique, était menacé de perdre son poste.

Le centre de recherche de Limeil, relevait de lui. Il comportait, depuis 1961, au sein de son service de Physique mathématique, une unité spécialement affectée à la fusion nucléaire. Mais les moyens de calculs de cette unité étaient mobilisés dans une direction qui se révélait être une impasse. En 1965, servant de fusible, le responsable de cette unité fut démis de ses fonctions et remplacé par un normalien, issu du lycée Bugeaud d’Alger, Luc Dagens.

Luc Dagens créa une nouvelle cellule. Pour la meubler, il recruta un jeune X, ingénieur de l’armement venu de la même classe préparatoire que lui, la fameuse Taupe arabe du lycée Bugeaud : Michel Carayol.

Les Français savaient déjà que le deutérure de lithium (DLi6) était le « combustible » le plus approprié pour obtenir la réaction de fusion nucléaire recherchée. Un article en ce sens, signé par des Français, avait paru dans les actes de la Conférence Atoms for Peace de 1958. On savait aussi qu’il fallait, pour provoquer la fusion du deutérium (un isotope de l’Hydrogène), porter cette molécule à des températures de plusieurs dizaines de millions de degrés, température que seule permettrait d’atteindre une explosion atomique classique.

Le problème revenait donc à faire exploser une bombe A dans une cocotte-minute remplie de deutérure de lithium, dont on comprimerait le couvercle jusqu’à ce que son contenu atteigne la température voulue. Élémentaire, n’est-ce pas, mon cher Watson ?…

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Les pieds Noirs et la bombe H

Dans l’équipe, chacun y allait de ses propositions. En avril 1967, Michel Carayol émit l’idée que, pour opérer la compression désirée, on pouvait utiliser les rayons X. Luc Dagens soutint la proposition de son collaborateur. Mais, sur le moment, celle-ci ne fut pas retenue.

Pourtant, quelque temps plus tard, un encouragement vint conforter nos deux compères. Au lendemain de chaque essai nucléaire français, de curieuses lettres anonymes parvenaient au CEA. Elles émanaient manifestement d’un physicien compétent. Bien renseigné, ce mystérieux correspondant semblait même disposer d’un accès privilégié aux résultats d’analyse des retombées atmosphériques auxquelles ne manquaient pas de se livrer, après chaque explosion, les Américains, les Russes ou les Britanniques dont quelques navires de guerre traînaient négligemment à proximité des atolls où la France pratiquait ses expériences.

Aujourd’hui, certains pensent savoir qui fut l’énigmatique auteur des lettres anonymes : on chuchote le nom d’un savant anglais, ennobli par la Reine : Sir William Cook. Il n’avait plus, en 1967, de position officielle et pouvait donc se considérer comme libéré de certaines obligations de discrétion. Peut-être agissait-il sur ordre de sa Majesté ou faisait-il partie de ces rares Anglais qui aiment la France et les Français ? On le saura (peut-être) un jour, lorsque toutes les archives seront accessibles.

Après chaque essai français, se livrant à une sorte de jeu étrange et dans un style non dépourvu du fameux humour british, le mystérieux correspondant distribuait des notes : Mais non, c’est froid ! Pas par là ! Vous faites erreur ! Chaud ! chaud ! Vous progressez ! Cherchez plus simple !

Ces lettres anonymes ne dévoilèrent rien de déterminant. Ce n’est pas elles qui indiquèrent aux Français ce qu’ils devaient faire. Sans leurs indications, on aurait de toute façon démarré l’étude, décidée début septembre, d’un engin selon le schéma de Carayol, à deux étages distincts et utilisant les rayons X, écrit Pierre Billaud (1) . Mais ces lettres constituèrent, pour l’équipe Dagens-Carayol, un précieux encouragement.

Le samedi 24 août 1968 à 19h 30 (heure de Paris), l’opération Canopus fut déclenchée. La première bombe H française explosa au-dessus du lagon de l’atoll de Fangataufa, dans le Pacifique. Le 8 septembre, l’opération Procyon réitéra l’expérience et confirma la réussite. Il ne restait plus qu’à miniaturiser l’arme et à la "blinder" pour la rendre apte à franchir les défenses ennemies, puis à la fabriquer en plusieurs centaines d’exemplaires.

Par la suite, Michel Carayol travailla sur l’arme laser.

(1) ancien élève de l’Ecole polytechnique (X 29), Pierre Billaud a intégré en 1955 le Bureau des études générales du CEA, cellule chargée de préparer l’arme atomique. Il est ensuite devenu l’adjoint du directeur des Applications militaires du CEA, puis a pris, en 1962, la direction du Centre de recherche du CEA à Limeil – Cf -La Véridique Histoire de la bombe H française, La Pensée universelle, 1994.


C’est encore un Pied-noir, Roger Baléras, qui présenta au général De Gaulle les sites d’expérimentation du Pacifique. C’est également lui qui, des années plus tard, comme Directeur des Applications militaires (DAM), fut au cœur de la décision de lancer le Laser Méga Joule (LMJ), actuellement en cours d’achèvement. Cette application, dont la finalité est en partie militaire et en partie civile, est destinée, elle aussi, à provoquer une réaction de fusion nucléaire. Mais cette fois, grâce à la concentration, sur une capsule de deutérium-tritium, d’un énorme flash laser. C’est la méthode dite par confinement inertiel par opposition à celle, expérimentée dans Iter, dite par confinement magnétique. Le confinement : encore une histoire de couvercle !

C’est l’un de ces procédés qui, dans quelques décennies, viendra peut-être suppléer l’énergie de combustion des énergies fossiles qui s’épuisent et se substituer à l’énergie nucléaire de fusion utilisée dans nos centrales. En principe elle est plus propre et moins polluante que le pétrole ou le charbon : pas démission d’oxyde de carbone (CO2) ni de goudrons cancérigènes. Plus propre aussi que l’énergie de fission actuellement utilisée dans nos centrales nucléaires classiques.

C’est également un Pied-noir, René Pellat, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui, après avoir présidé le Centre national d’Études spatiales (CNES), fut, à partir de 1998, Haut Commissaire à l’énergie atomique.

Difficile de mentionner ici tous les nombreux Pieds-noirs qui coopérèrent aux activités tant civiles que militaires du CEA ! Citons-en quelques-uns : Albert Amouyal, Gilbert Bresson, Gilles Cohen-Tannoudji (le frère du prix Nobel), Christian Desmoulins, Michel Lévy, Yves Le Baut, Michel Viala etc. Que ceux que j’ai omis me pardonnent.

Ces hommes illustrent le précieux apport que l’exil auquel les Pieds-noirs ont été contraints a représenté pour la France… et l’appauvrissement qu’il a constitué pour l’Afrique du Nord.

Le bénéfice qu’en a tiré la science française ne se borne évidemment pas à des applications guerrières. Faut-il rappeler la centaine de professeurs de médecine originaires d’Afrique du Nord qui enseignent dans les Universités et dans les CHU ? Et le prix Nobel de physique, obtenu par Claude Cohen-Tannoudji, l’un des sept Pieds-noirs professeurs au Collège de France ?

24 octobre 2005

René Mayer


Michel CARAYOL, né à Alger le 30 juin 1934. Son père fut Maire de Kouba. Il alla à école primaire de Gué de Constantine, près de Maison Carrée, fit ses études secondaires au lycée Ben Aknoun d’Alger puis suivit les classes préparatoires du lycée Bugeaud (dites Taupe arabe). Reçu à l’Ecole polytechnique (X 54) puis à Ecole nationale de l’armement, il fut détaché à la direction des applications militaires (DAM) du CEA. Ingénieur général de l’armement. Le Bulletin of atomic scientists de septembre-octobre 2003 le désigne comme l’un des trois Français ayant découvert la manière de fabriquer une bombe H. A également travaillé sur l’arme laser. Ses travaux lui ont valu le prix Chanson (1977). Il fut Commandeur de la Légion d’honneur, Commandeur du Mérite etc. † à Paris le 23 février 2003.

Luc DAGENS, né le 12 février 1932 à Paris. A suivi lui aussi les classes secondaires et préparatoires du lycée Bugeaud d’Alger (Taupe arabe). Reçu à l’École normale supérieure (sciences) en 1952. A été directeur de recherche au CEA.

Roger BALÉRAS, né à Alger le 4 avril 1929, élève au Lycée Bugeaud, ingénieur de l’Ecole supérieure d’électricité. En tant que directeur des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique, il a notamment lancé la construction du Laser Méga Joule.

René PELLAT, né à Hussein-Dey le 24 février 1936, études au lycée Gautier puis au lycée Bugeaud d’Alger, Taupe arabe puis Taupe de Louis le Grand à Paris, École polytechnique (X 56), ingénieur au corps des Ponts et Chaussées, docteur ès-sciences, chercheur en physique nucléaire, président du conseil d’administration du Centre national de la Recherche scientifique (CNRS) en 1989, président du CNES (Centre national d’études spatiales) (1992-95), Haut commissaire à l’énergie atomique 1998-2003. Cette fonction lui a notamment permis de relancer le projet ITER de fusion thermonucléaire. † accidentellement en août 2003.

Gilles COHEN-TANNOUDJI, frère de Claude, né à Constantine comme ce dernier, École Polytechnique (X 58), conseiller scientifique du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Claude COHEN-TANNOUDJI, né à Constantine le 1er avril 1933, études secondaires et classes préparatoires (Taupe arabe) au lycée Bugeaud d’Alger, École normale supérieure (sciences), agrégé de physique. Est connu notamment pour ses travaux sur le pompage optique, les interactions atome-rayonnement et le refroidissement des atomes. Professeur titulaire de la chaire de physique atomique et moléculaire au Collège de France (depuis 1973), membre de l’Académie des sciences (1982), Médaille d’or du CNRS, prix Nobel de Physique (1997).

Notices biographiques extraites de Français d’Afrique du Nord : ce qu’ils sont devenus – 2005 - René Mayer

Voir en ligne : http://clan-r.org/portail/Rene-Maye...