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Le réquisitoire de Goldnadel : lettre ouverte à Paul McCarthy

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Gilles-William Goldnadel revient sur la polémique autour du sapin de la place Vendôme. Il rappelle qu’il ne faut pas confondre rébellion et provocation facile.
Cher Monsieur McCarthy, votre œuvre gonflable dégonflée m’aura donné l’occasion du plaisir de vous connaître. Pour le reste, la présente est destinée à vous donner, modestement, quelques conseils de provocation véritable.

M. McCarthy, vous avez 69 ans, ce qui est un très bel âge, mais je crains que vous ne compreniez pas, qu’à notre époque schizophrène de grande licence, matinée d’un terrorisme intellectuel obsessionnel, on ne puisse plus provoquer avec le pipi et le caca, pas plus qu’avec le s.exe.

Le par ailleurs calamiteux mois de mai de l’année 1968 aura eu un aspect radieux : il a déculpabilisé les sexualités hétérosexuelles et homosexuelles. Il a libéré les fantasmes et les conduites dites autrefois déviantes.

Non, M. McCarthy, vous ne pouvez escompter participer d’une quelconque rébellion artistique en exhibant un jouet sexuel dans notre France paillarde, libérale et tolérante. Pas plus que vous ne l’aviez fait en représentant autrefois quelques étrons.

Votre godemichet, cher M. McCarthy, est vieux comme le monde grec. Il n’a pas la forme de la modernité. Allez visiter Milet où l’on fabriquait au troisième siècle avant la chrétienté les olisbos appréciés à Lesbos. Pour votre édification hellénique, cette imitation de phallus était confectionnée en bois ou en cuir bourré de laine et devait être généreusement frottée d’huile d’olive avant l’usage.

Dans une pièce antique dont je vous recommande la lecture directement dans la langue d’Eschyle, la jeune Métro tente d’emprunter à sa charmante Corrito son jouet sexuel. Celle-ci la renvoie sèchement vers un savetier, expert pour les fabriquer.

Aujourd’hui, M. McCarthy, il suffit de se rendre chez Sonia Rykiel pour se procurer le sex toy de son choix. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que l’on prenne au sérieux vos fausses provocations ?

Bien sûr, quelques gens de bon goût, peuvent s’étonner, ceux du moins qui n’ont pas encore perdu leur capacité d’étonnement, en dépit des outrances ringardes de la Ville de Paris, qu’on brandisse sous leurs yeux et ceux de leurs enfants (qui certes en ont vu d’autres), sur l’une de leurs plus belles places publiques, cet objet réservé à des plaisirs intimes.

Mais qu’un encoléré se soit permis de débrancher un câble de votre objet branché, ce qui a dégonflé votre baudruche gonflante, n’autorisait pas les fausses indignations de vos mécènes d’État.

Car voyez-vous, cher M. McCarthy, le maccarthysme à la française ne se trouve pas où vous devez l’imaginer. Ne comptez pas sur les parisiens pour jouer les effarouchés. Mais ils ont bien le droit de dénier toute audace créatrice et de voir une escroquerie artistique de plus sur fond d’imposture boursouflée. Pas de quoi crier au retour de l’ordre moral. La palme de l’ineptie revenant sans conteste à Fleur Pellerin convoquant, comme toujours lorsqu’il s’agit de faire la bête, un passé qu’on croyait révolu : « on dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d’une définition officielle de l’art dégénéré » a-t-elle gazouillé légèrement sur Twitter.

Cher Monsieur Mc Carthy, puisqu’il semblerait que vous soyez en panne d’audace créatrice authentiquement rebelle, laissez donc tomber vos illustrations de merde et remisez votre godemichet géant où vous voudrez.

Je vous conseillerais plutôt, si vous voulez choquer réellement, de prendre des risques inconsidérés, dignes d’un véritable artiste engagé et rebelle.

Je vous suggère l’érection priapique d’un immense mur du Con. Vous y peindrez les deux lettres S et M, immenses et écarlates. Vous légenderez en indiquant que vous ne savez plus s’il s’agit d’un hommage au sadomasochisme judiciaire ou au Syndicat de la Magistrature.

Puis, audace suprême, radicalité pleinement assumée, vous dessinerez un véritable sapin de Noël. Un qui ressemble vraiment à un sapin de Noël. Avec un tronc marron et des feuilles vertes.

Dans l’ivresse créatrice bouillonnante et rageuse dans laquelle vous vous trouverez alors, vous oserez figurer une crèche en Judée, avec l’enfant Jésus, sa mère et même Joseph.

Enfin, n’oubliez pas, dans l’étable de dessiner un âne. Vous l’appellerez Lolo.

En hommage au facétieux Roland Dorgelès et à son peintre imaginaire Boronali, qu’il avait inventé lorsqu’il s’amusait à présenter des œuvres pseudo révolutionnaires pour voir s’exclamer d’admiration les snobs et les crétins. En réalité, la toile était exécutée par Lolo, l’âne de Frédé, patron du Lapin Agile à Montmartre. Il suffisait d’attacher à la queue de l’équidé aux longues oreilles un pinceau trempé toutes les dix minutes dans un seau d’une couleur différente pour entendre le lendemain des oh ! des ah ! et des bravo !

Ce sera, cher M. McCarthy, un pied de nez mutin à tous les gros beaufs mode. Une provocation vraiment très courageuse, un geste professionnel pratiquement suicidaire mais plein de panache.

Ne pouvant vous garantir la protection de la mairie de Paris, je m’incline à l’avance devant l’artiste maudit.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro.

Voir en ligne : http://www.dreuz.info/2014/10/le-re...