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La presse iranienne se déchire autour des négociations sur le nucléaire

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Les négociations entre l’Iran et les États-Unis autour de l’accord sur le nucléaire ne cessent de connaître des rebondissements. La presse iranienne les suit avec passion, se divise sur l’intérêt d’aboutir et échangent arguments polémiques et analyses géopolitiques qui prennent en compte les positions de la Russie et d’Israël.

Quatre mois après le retour aux négociations, le président conservateur Ibrahim Raïssi est arrivé au pouvoir . Il a alors a confié le dossier au vice-ministre des affaires étrangères Ali Bagheri, pourtant connu pour son hostilité à l’accord en 2015, ce qui n’a pas manqué de susciter de vives critiques dans le camp réformateur, qui reste exclu du pouvoir largement dominé par les conservateurs contrôlant complètement et le gouvernement et le parlement. Le septième round des négociations a repris à Vienne le 29 novembre 2021, pour se poursuivre jusqu’à la mi-août 2022. Après moult tergiversations, l’accord n’est toujours pas signé et la presse iranienne offre des analyses différentes de l’impasse actuelle.

« Ne laissez pas l’âne américain traverser le pont »

À la suite des dernières complications qu’ont connues les négociations, le journaliste Mohamad Araby, de la rédaction du quotidien conservateur Kayhan connu pour sa farouche opposition à l’accord sur le nucléaire, propose au gouvernement, dans un article en date du 27 août 2022, de reporter la reprise des négociations de deux mois. Il s’agit pour lui d’attendre l’arrivée de l’hiver et de pouvoir ainsi faire pression sur les États-Unis et les pays européens, dans le contexte de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine. Ce à quoi Abbas Abdi, une figure réformiste connue, répond le lendemain sur son compte Twitter :

Le journal Kayhan appelle à reporter les négociations de deux mois. Il prétend que ce gouvernement a prouvé qu’il était capable de grandes réalisations, même sans l’accord sur le nucléaire ou celui sur la transparence financière internationale. Si le gouvernement partage les convictions de Kayhan, alors autant arrêter les négociations une fois pour toutes et sortir de l’accord ! Pourquoi les reporter de 2 mois ?

Ismael Gharanmayeh du journal E’timad insiste lui aussi sur l’importance de s’en tenir aux échanges diplomatiques, et de ne pas essayer de les remplacer par d’autres méthodes de pression. Dans son article intitulé « Raviver le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) et les inquiétudes que cela suscite » (17 août 2022), il écrit :

La réalisation des objectifs de nos intérêts nationaux ne peut se faire que par le biais des négociations. Remplacer ce processus par autre chose, qu’il s’agisse de guerre, de confrontation ou même de tergiversations dans les négociations ne conduira qu’à des pertes pour les deux parties. En réalité, nous ne pouvons imaginer aucune solution de rechange appropriée à l’accord sur le nucléaire.

Huit jours plus tard, c’est au tour du rédacteur en chef de Kayhan, Hussein Charietamadri, de publier une tribune sous le titre « Ne laissez pas l’âne américain traverser le pont ». Il s’agit d’une référence à un proverbe iranien qui met en scène un homme voulant traverser un pont avec un âne chargé de marchandises. Il promet au gardien du pont de payer des frais de passage, mais une fois que son âne a traversé, il revient sur sa promesse. Le récit est utilisé en Iran pour faire référence à une personne qui ne tient plus ses promesses une fois qu’elle a obtenu ce qu’elle voulait. L’éditorialiste signifie ainsi que si les États-Unis obtiennent les concessions demandées, ils ignoreront les demandes iraniennes :

L’équipe de négociation iranienne doit se montrer prudente face à toutes les ruses américaines. Elle ne doit pas accepter de revenir sur l’accord signé en 2015 et qui impliquait déjà de nombreuses concessions de notre part. Cet accord devait annuler les sanctions à notre encontre. Non seulement cela n’a pas été le cas, mais en plus, d’autres sanctions se sont rajoutées.

Déni des crises économiques

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Charietamadri recommande de ne pas se fier aux promesses américaines. Le 18 août, il affirme dans un article intitulé « Quelle garantie aux garanties américaines ? » :

Osons dire que les garanties américaines n’ont aucune valeur. Le JCPOA n’était-il pas un accord international ? Les États-Unis ne s’étaient-ils pas engagés à le mettre en application ? Non seulement ils ne s’y sont pas tenus, mais ils se sont carrément retirés de cet accord sans qu’il y ait la moindre réaction [des autres signataires]. Il faudrait ne plus avoir toute sa raison pour avoir encore confiance dans les garanties données par les États-Unis.

Cette idée de piège américain revient souvent, comme sous la plume de Mohamad Araby qui écrit le 27 août 2022 :

La promesse de lever les sanctions par suite des négociations n’est qu’un appât avec lequel l’administration américaine enjolive sa souricière. Le gouvernement actuel peut, avec de la volonté et le soutien du peuple iranien, ignorer cet appât. Il a réussi à accomplir de grandes choses durant la première année de sa gouvernance. Il doit maintenant dédier son temps et son énergie à mettre en place des stratégies pour mettre en échec les sanctions et leur impact.

Les avis sont tout aussi partagés concernant les conséquences des sanctions économiques. Le journal Rissala, autre publication conservatrice, défend l’idée que l’impact des sanctions est devenu minime depuis l’arrivée de Raïssi au pouvoir et que, même sans parvenir à un accord, le pays ne risque pas de connaître de nouvelles crises économiques. Rissala a interviewé le 5 septembre 2022 l’économiste Abdelmadjid Cheikhi qui déclare :

Le gouvernement actuel a tissé des liens diplomatiques avec divers pays de la région, ainsi que des pays amis, limitant ainsi sensiblement l’impact des sanctions […]. Heureusement, il a également commencé à renforcer ses liens avec les pays africains. […] Mais comme le gouvernement précédent a signé un accord qui était quasiment un chèque en blanc, nous sommes obligés de faire preuve de résilience et de réclamer les avantages qui nous ont été promis.

Un point de vue que ne partage pas l’économiste Piman Molavi. Il énumère les conséquences positives qu’aurait cet accord sur l’économie iranienne dans le journal réformateur Arman (18 août 2022) :

L’accord aura pour conséquence de réduire les risques économiques. Il freinera la vitesse à laquelle les investisseurs quittent le marché local, augmentera les chiffres de la croissance, réduira l’inflation, […] augmentera les revenus du gouvernement, ce qui lui permettra de restaurer l’infrastructure délabrée du pays. Bien sûr, tout cela à condition qu’il n’y ait pas de changement aux États-Unis après le retour des républicains au pouvoir, ce qui entraînerait un nouveau retrait de l’accord.

Tentant de concilier les deux parties, le réformateur Sayyed Javad Hassar considère que tout accord qui serait trouvé à l’issue des négociations devrait être considéré comme un accomplissement national, fruit des efforts de tous les courants politiques (E’timad, 31 août 2022) :

J’ai insisté plus d’une fois sur la nécessité pour l’Iran de transformer l’accord sur le nucléaire en un accord interne. Cela impliquerait la participation de tous les courants politiques à l’administration du pays, sur tous les plans. Tout le monde devrait s’asseoir à la même table des négociations pour conduire le pays vers de meilleurs lendemains. Les avantages qu’apportera cet accord ne devraient pas être considérés comme le fruit des efforts d’un seul parti, et renforcer ainsi son rôle à l’échelle nationale.

Critique des négociations indirectes

Beaucoup d’analystes politiques et d’anciens diplomates se sont également exprimés dans la presse pour appeler à revoir la gestion des négociations, et interroger la pertinence de faire appel à un intermédiaire. C’est notamment le cas du spécialiste en relations internationales Hassan Bahashty Bour qui se montre critique (E’timad, 3 septembre) :

La diplomatie du ping-pong entre l’Iran et les États-Unis, telle qu’elle se déroule pour l’instant, s’avère ennuyeuse et lassante pour les deux parties. L’Iran négocie avec les pays européens, qui transmettent sa réponse aux États-Unis, puis rebelote dans l’autre sens. Cela consume l’énergie des négociateurs.

Même son de cloche sur le site Iranian Diplomacy, réputé modéré, qui a imputé l’échec temporaire des négociations à deux raisons principales : le manque de volonté sérieuse de part et d’autre, et la nature indirecte des négociations, voulue par la République islamique, mais que le site a qualifiée de « totalement erronée »1. Un avis partagé par l’ancien diplomate Aboul Ghassem Dalfi qui reproche au gouvernement, dans une interview donnée au même site le même jour, de ne pas prendre les négociations suffisamment au sérieux :

Quand des négociations aussi sensibles que celles-ci sont conduites par le vice-ministre des affaires étrangères [au lieu de l’être par le ministre lui-même], les résultats ne peuvent pas être positifs. Pourtant leur échec sera synonyme de nouveaux défis diplomatiques et sécuritaires pour l’Iran.

« Pas de coordination chez les conservateurs »

La critique du gouvernement ne semble pas être l’apanage des réformateurs qui, finalement, souhaitent que le gouvernement réussisse à conclure cet accord. C’est ce que souligne le militant politique Ali Baghari à l’agence de presse Ilna (1er septembre 2021) :

L’opposition du courant conservateur [hostile à un accord] au gouvernement Raïssi est plus importante que celle des réformateurs. Je souhaite que les conservateurs pensent davantage aux intérêts nationaux du pays, afin que les négociations portent leurs fruits et que le peuple iranien puisse en bénéficier.

Le même jour, le journal réformateur Ibtikar s’étonne :

Quand le gouvernement actuel a décidé de prendre part aux négociations, nous avons pensé qu’il allait bénéficier du soutien des principales figures conservatrices du pays. Mais nous découvrons qu’il n’y a pas de cohésion chez les conservateurs sur ce plan. Pire, la question de l’accord peut devenir un motif de dissensions internes.

La position des conservateurs quant au dossier nucléaire a particulièrement intéressé les médias ces dernières années. Le site Didar News l’a inscrite dans le cadre des politiques générales et stratégiques de l’Iran, dans un article intitulé « Les conservateurs et l’accord sur le nucléaire : un chèque difficile à encaisser ! » (14 août 2022) :

Les conservateurs ont le monopole du pouvoir. Toutes les institutions sont entre leurs mains et tous les chemins mènent aux bureaux de personnalités influentes dans leurs rangs. Cela n’empêche pas le pays de faire face à de sérieux problèmes. La suppression des revenus du pétrole de la balance commerciale a mis à mal les investissements, l’inflation atteint des records et affaiblit le secteur industriel privé. Tout cela a des répercussions sur les revenus de l’État. Dans ces conditions, nous pensions que les conservateurs allaient considérer l’accord sur le nucléaire comme un chèque à encaisser. Mais les choses sont loin d’être aussi simples.

Car le problème des États-Unis avec l’Iran, et notamment avec le courant conservateur, ne se limite pas à l’accord sur le nucléaire. Il concerne le cœur de la politique étrangère iranienne qui est une composante essentielle de l’identité du courant conservateur, et qui est soutenue sans réserve par des institutions politiques et militaires puissantes au sein de la République islamique. De fait, même si les négociations réussissent — ce que ne souhaite pas la délégation iranienne —, nous imaginons mal les Occidentaux réduire les pressions économiques et politiques.

Intérêts de la Russie et d’Israël

Le contexte régional entre également en considération. Ali Asghar Chafiyan, directeur du site Insaf News, renvoie dos à dos le quotidien Kayhan… et Israël :

Quels sont les objectifs communs de Kayhan et d’Israël en s’opposant à l’accord sur le nucléaire ? Les motivations peuvent paraître plus ou moins différentes, mais l’origine est la même. Un accord entre l’Iran et l’Occident les priverait tous les deux d’utiliser encore la carte de la victime et de faire du chantage sur la question de la sécurité (sécurité régionale pour Israël , sécurité nationale pour le journal Kayhan).

Quant au journal Chargh, il pointe le 3 septembre 2022 le poids de Moscou sur la décision de Téhéran :

Beaucoup pensent que la position russe est l’une des principales raisons qui retardent l’aboutissement à un accord final. De fait, et en plus de l’opposition à l’intérieur des courants les plus rigoristes, des violations du Congrès américain et du rôle subversif d’Israël, il faut également faire peser une partie de la responsabilité de la situation actuelle sur la Russie.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie avait en effet exigé que les sanctions américaines contre la Russie n’impliquent ni ses relations commerciales avec l’Iran, ni le secteur de l’industrie nucléaire entre les deux pays. D’autre part, la Russie s’inquiète de ce que deviendra l’exportation du gaz et du pétrole iraniens, et des conséquences que cela aura sur ses intérêts économiques.

Pour sa part, le site Khabar Online a publié le 4 septembre 2022 un article du célèbre journaliste iranien Jalal Khosh Jahreh, où ce dernier rend Israël et la Russie responsables de la suspension des négociations :

La Russie et Israël sont les deux pays qui profitent le plus de cette situation. […] Téhéran et Washington doivent mettre leurs réserves de côté, et prouver leur volonté sérieuse de revenir à la table des négociations. […] Si Washington continue à mettre Téhéran au défi, elle fait alors le jeu d’Israël et des opposants à l’accord. L’Iran doit de son côté proposer des idées, des solutions fortes pour sortir de cette situation de blocage et éviter des pertes considérables. L’occasion est presque perdue pour tout le monde.

Malgré les divergences sensibles entre les différents courants politiques, il subsiste un dénominateur commun : la majorité semble lassée du flou qui entoure cette situation , y compris dans les rangs des conservateurs, à l’instar du vice-président de la Commission des affaires internes et des comités au Parlement iranien, Mohamad Asfari, qui a appelé le 7 septembre 2022, dans l’Iranian Students’ News Agency, à mettre fin à cet « entre-deux » :

Je crois que la tergiversation nous fait perdre beaucoup d’occasions. Il faut fixer le devenir de ces négociations une bonne fois pour toutes. À chaque fois, un élément nouveau met à mal les négociations, exacerbant le désespoir de la population et mettant les producteurs et les investisseurs locaux et étrangers dans de beaux draps. C’est comme s’ils étaient dans un entre-deux. […] Investir en temps de sanction ou en temps d’accord, ce n’est pas la même chose. Les gens attendent de connaître le résultat de ces négociations pour y voir plus clair quant à leur avenir.

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Traduit de l’arabe par Sarra Grira .

1« Pourquoi les négociations sont-elles devenues un chaos sans nom ? », Abderrahmane Fath Ilahi, Iranian Diplomacy, 27 août 2022.

Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/la-...