La visite du président français Emmanuel Macron en Algérie a suscité beaucoup de spéculations, notamment sur la capacité à remplacer le gaz russe. Mais il y a très loin du rêve à la réalité.
Début septembre, à la télévision, un jeune journaliste du Parisien a dressé un parallèle entre la production gazière algérienne (90 milliards de m3) et les besoins de l’Union européenne (UE) en gaz russe (115 milliards de m3), suggérant que l’ordre de grandeur était comparable et que la solution à la défaillance russe était l’Algérie. Évidemment, c’est largement illusoire. La production gazière totale de l’Algérie s’établit à environ 130/140 milliards de m3, dont une partie (30 à 40 milliards), non commercialisée, est réinjectée pour maintenir la pression dans des gisements qui vieillissent. Hassi Messaoud, qui assure une bonne moitié de la production de brut, a dépassé 65 ans. Une autre partie est brûlée sur place, un taux parmi les plus élevés dans le monde selon la Banque mondiale.
Des tarifs subventionnés
Reste à peine une centaine de milliards de m3 qui sont commercialisés. Quarante-neuf milliards vont à la consommation intérieure très dynamique, notamment pour la production d’électricité, en raison des tarifs très bas facturés aux usagers. Les tentatives n’ont pas manqué depuis une bonne dizaine d’années pour les relever, en vain. À chaque fois, le pouvoir a reculé et Abdelmadjid Tebboune, l’actuel président de la République « politico-militaire », semble devoir imiter ses prédécesseurs. L’inflation bat des records (plus de 10 % attendus en 2022), il serait socialement dangereux d’y ajouter une hausse des prix supplémentaire alors que le chômage frôle les 15 % de la population active.
Restent entre 50 et 60 milliards disponibles pour l’exportation. L’Italie et l’Espagne, les deux seuls pays européens reliés à l’Algérie par des gazoducs, en accaparent les deux tiers avec 27,26 milliards pour Rome et 10,5 pour Madrid. Une autre partie est exportée par méthaniers sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), environ 17 milliards de m3 destinés à la Turquie (48 %) et à cinq autres pays, dont la France (20 %). Au cours de la visite du président Emmanuel Macron en Algérie fin août, il a été beaucoup question dans l’entourage et parmi les journalistes d’une hausse de 50 % des volumes à destination de l’Hexagone. Le chiffre est spectaculaire, mais compte tenu de la base de départ (3 milliards de m3), il correspond à une augmentation d’1,5 milliard de m3, un chiffre dérisoire par rapport aux besoins (41 milliards).
À court terme donc, l’Algérie ne peut jouer les roues de secours, mais à moyen terme, il lui serait possible d’augmenter ses exportations en augmentant sa production d’hydrocarbures. La compagnie nationale Sonatrach ne dispose pas des capitaux nécessaires pour investir, et le partenariat avec des sociétés étrangères est inévitable. Mais à quelles conditions ? Depuis 2006 et la réforme libérale ratée du ministre de l’énergie de l’époque, Chakib Khelil, condamné aujourd’hui à 20 ans de prison par contumace, les partenaires étrangers se font rares. Ce n’est qu’en décembre 2019, quelques mois après la démission du président de la République Abdelaziz Bouteflika, en pleine crise politique, qu’une nouvelle loi pétrolière a été adoptée, plus accommodante au plan fiscal, domaine où Alger détenait un record mondial : celui de la plus forte taxation du monde. De plus, la compagnie nationale détient obligatoirement 51 % du permis et la majorité dans le Management Committee (MC) qui en pilote la gestion. Le partenaire et Sonatrach financent chacun sa part de l’investissement et la récupèrent sur les ventes, une fois la découverte réalisée.
Assumer les risques de l’investissement en Algérie
Seule différence — mais de taille —, la compagnie étrangère assume la totalité des dépenses et ne récupère sa mise qu’en cas de succès des recherches. Les désaccords fréquents, longs et difficiles à surmonter portent surtout sur les comptes et sur l’interprétation de l’accord de partage de la production initial. Trois contrats ont été signés depuis 2019, l’un avec la société chinoise China Petroleum and Chemical Corporation (Sinopec), un autre avec ENI qui investira 4 milliards de dollars (3,95 milliards d’euros) dans le permis de Sud Berkine et une extension sur 25 ans d’un autre contrat entre ENI, TotalÉnergies et l’américain OXY.
Face à ENI qui cumule exploration-production et distribution au moins partielle du gaz, les compagnies françaises sont handicapées. Total débute dans la distribution et n’a qu’un réseau modeste à alimenter, surtout hors de France. Engie, dont la directrice générale Catherine Mac Gregor était la seule représentante du monde pétrolier dans la délégation officielle accompagnant le président Emmanuel Macron à Alger, n’est plus qu’un distributeur depuis la vente de sa branche exploration-production en 2017 à la société britannique Neptune Energy. Il lui faut donc trouver un opérateur prêt à assumer le risque d’un investissement en Algérie. Le pays est affecté d’une mauvaise réputation dans le métier pour le contrôle tatillon de ses associés, cause du départ de nombreuses sociétés étrangères. Deux sociétés britanniques, BP racheté par ENI et Petroceltic en litige avec Sonatrach, en sont les deux derniers exemples.
L’entreprise est d’autant plus difficile pour les Français que Mario Draghi, président du Conseil italien, les a pris de vitesse et a obtenu la promesse d’une livraison (hypothétique) de 9 milliards de m3 à partir de 2023-2024. Les recherches et le développement de nouveaux gisements prennent forcément du temps et peuvent aller jusqu’à 10 ans, voire plus. Les mauvaises relations entre l’Algérie et l’Espagne à la suite d’un revirement de la position de Madrid sur la question du Sahara occidental offrent peut-être une opportunité à plus court terme. Un grave différend oppose les deux parties sur les prix contractuels indexés sur le pétrole brut et des produits raffinés. En cas de rupture, la presse algérienne fait état de la volonté de son gouvernement d’interrompre ses livraisons. Si cela devait advenir, 10 milliards de m3 seraient disponibles pour d’autres acheteurs… L’UE revivra-t-elle à l’occasion de la crise gazière les désordres et les rivalités entre États membres survenus au début d’une autre crise, celle de la Covid-19 en 2020 ?