On entend souvent, et pas plus tard que la semaine dernière, qu’un parti cherche des idées, des propositions pour construire un programme. En novlangue : « pour nourrir le débat ». Comme si les partis politiques étaient des lieux de débat.
C’est donc le parti RDLREM (Renaissance De La République En Marche) qui sollicitait ses élus pour faire remonter des idées récemment.
Ce parti au pouvoir depuis 5 ans, élu sur un projet, est à la recherche d’idées pour gouverner la France.
Qu’est-ce à dire ? A-t-il déjà réalisé son projet ?
S’il en a été empêché, par les Gilets jaunes et le covid, tout n’est sûrement pas à jeter. Il doit donc rester des idées en stock ? Ou alors il n’avait pas de projet. Et n’en a toujours pas aujourd’hui.
La course aux idées
Je me suis donc demandé si cette recherche d’idées était aussi fréquente que je l’imagine.
Honneur au Parti socialiste , le dernier parti n’ayant pas encore changé de nom.
En 2021, le PS lance ses primaires des idées.
Déjà en 2009 un laboratoire des idées était en gestation. Mais il a dû n’avoir aucun effet car en 2017 il cherchait toujours des idées ; et un chef.
Restons dans les vieux partis en voie de disparition.
L’UMP cherchait des idées en 2007. Et en 2011. Du coup, pour relancer la machine, changement de nom, mais pas de méthode puisque sous le nom de Les Républicains il est parti à la pêche aux idées en 2019.
En 2017, tentative de cavalier seul de Julien Aubert qui veut lancer un laboratoire d’idées. Proposition tellement intéressante qu’il n’a fallu que deux ans à Éric Ciotti pour proposer… la même chose.
Mais ne jetons pas la pierre à Éric. S’il n’a proposé le laboratoire d’idées qu’en 2022, c’est que la proposition de Julien Aubert avait été prise ? Reprise ? Volée ? Empruntée ? Par LFI, en 2019. Probablement qu’il n’en avait plus l’utilité en 2022 et que Ciotti l’a ramassée dans une poubelle. Louable volonté de réduire les déchets et de participer à l’économie circulaire.
Les politiques en général et LFI en particulier sont toujours prompts à accuser les Français d’aller à la pêche quand il s’agit d’expliquer l’abstention. Mais l’exemple vient d’en haut puisque, comme l’UMP, LFI est partie à la pêche aux idées en 2017. Ensuite, changement de cap. LFI participe aux sessions de l’institut Alinsky , pour aller y chercher des « colères ». Je ne suis pas spécialiste mais ça ressemble quand même à des idées malgré la tentative de maquillage.
Au RN on lance le « Club idées nation ». Je pensais même toucher à la fin de ma recherche en lisant que le RN avait gagné la bataille des idées avant de voir le ? à la fin de la proposition.
Édouard Philippe, lui, élabore une solution plus pragmatique : l’adhésion est payante et il est OBLIGATOIRE, de participer à des ateliers d’idées. Participer oui, mais doit-on payer une pénalité si on ne propose rien ? On ne perd pas le nord chez Horizons.
Enfin terminons par le parti au pouvoir. « En responsabilité » comme ils disent dans le langage improbable des professionnels de la profession. LREM va chercher les idées ailleurs. Aux states précisément, en reprenant celles de la campagne de Joe Biden. Peut-être parce qu’il avait perdu la clé de la boite à idées en 2020 et ne l’a pas retrouvée depuis. Probablement volée par un Gilet jaune.
Pourtant, en 2019, j’ai lu que LREM avait trouvé UNE idée. Mais c’était seulement pour une tête de liste.
Très étonnant tout de même, ces partis de gouvernement, candidats aux fonctions les plus importantes de notre république, cherchant en permanence des idées. Mais quel genre d’idées ?
Des idées pour élaborer une stratégie ? Ou pour rédiger un catalogue ?
D’ailleurs, qu’est-ce qu’une stratégie ? La stratégie c’est où vous voulez aller. Au contraire de la tactique qui vous indique comment y aller.
Dit autrement, si je décide de faire Lyon/Marseille dans le but de rencontrer personnellement mon client car je sais de source sûre qu’il est très sensible aux relations directes, c’est une stratégie pour laquelle plusieurs options tactiques s’offrent à moi. Je peux utiliser le train, la voiture, le covoiturage voir m’y rendre à vélo ou à pied. Si en revanche je sais que mon client doit prendre une décision sous trois jours, les dernières options ne sont plus adaptées à la situation. C’est là que je vais adapter ma tactique en fonction des contraintes que m’impose mon objectif stratégique.
Dans la cadre politique : allonger la durée de cotisation, soutenir les gens en difficulté, financer le développement des start-up ou le budget de la défense sont des éléments tactiques qui soutiennent une stratégie.
Mais ces éléments ne semblent pas entrer dans le cadre de réflexion habituel des partis. On mélange sans vergogne (en ont-ils jamais eu d’ailleurs ?) les propositions tactiques présentées comme une stratégie et inversement. La frontière entre stratégie et tactique est devenue tellement floue que qu’Emmanuel Macron, Jupiter Maitre Des Horloges, vient d’embaucher Frédéric Michel , un spécialiste de la communication politique et institutionnelle (un lobbyiste donc) et de la stratégie. Je pense que cet homme sera plutôt là pour faire de la com (donc travailler à la tactique) que faire de la stratégie. Cela dit-il doit être bon, il a réussi à faire croire que Tony Blair était de gauche.
Évidemment, trouver des idées quotidiennes est infiniment plus simple que d’élaborer une stratégie de gouvernement. D’ailleurs les dernières stratégies claires remontent à loin : De Gaulle et son indépendance farouche. Mitterrand et sa volonté de rajeunir le pays tout en l’orientant vers plus de loisirs et de libertés. Le communisme est une stratégie dont la tactique pour le mettre en œuvre diffère selon les pays : par la révolution en URSS, par les urnes en Europe occidentale.
Mais depuis, difficile de voir une stratégie claire dans ce qui nous est proposé. Seulement de longs catalogues de propositions qui ne sont que rarement des idées originales.
Et les libéraux ? Sont-ils eux aussi à la recherche d’idées ?
Pourtant, nous avons bien une stratégie : rendre leur liberté aux citoyens en les laissant décider par eux-mêmes.
La tactique, elle, passera par la suppression de l’essentiel des agences et administrations de soutien qui ne sont en réalité que des filtres bloquant cette liberté. Puisqu’ils distribuent l’argent public, ils ont le pouvoir. En se débarrassant de cette tutelle permanente, nous ne sommes plus redevables et nous récupérons la responsabilité de la décision.
Rendre l’argent et laisser les citoyens décider de manière autonome et s’organiser, collectivement selon les besoins, au travers d’une société privée ou d’une coopérative sans but lucratif.
C’est tout l’intérêt de la liberté : on fait comme on veut.
La stratégie libérale pourrait aussi être celle de l’effervescence : laisser faire, laisser bouillonner, laisser l’erreur et l’échec ouvrir la porte vers de nouvelles idées. Et de cette effervescence sortira une organisation qui appartiendra aux gens et pas à un seul. La seule autre alternative est celle que nous connaissons dans les entreprises comme pour la vie publique : un nombre très restreint de personnes décide de ce qui est bien et l’impose aux autres soit par la loi ou la domination hiérarchique soit par la communication.
Dans les entreprises libérées, ces entreprises où les salariés doivent organiser leur travail en autonomie sans la supervision d’un manager, le patron s’efface et accepte que le chemin ne soit pas aussi rectiligne que s’il décidait seul. En échange, les salariés travaillent autant pour eux que pour l’entreprise puisqu’ils doivent trouver leur place au sein de ce collectif en évolution, sans recourir à une fiche de poste. Il semble que ces compagnies (WL Gore par exemple) obtiennent des résultats au moins aussi bons que les autres et offrent à leurs collaborateurs un environnement de travail agréable et motivant. Ce qui n’est pas le cas partout ailleurs loin de là.
Cette stratégie est elle applicable à un pays ?
Peut-on laisser les gens décider sans la supervision d’une autorité administrative ? Peut-on laisser les idées bouillonner sans cadre ni contrainte ?
C’est déjà le cas, en partie. Les gens, fatigués de devoir affronter un mur ou persuadés qu’ils n’obtiendront rien, commencent à s’organiser. Quand il est mené par de vrais entrepreneurs, le monde des affaires s’exonère de la tutelle étatique et poursuit son chemin.
Une réflexion récente du président était d’ailleurs frappante à ce sujet.
Il avait invité les acteurs du gaming , ces équipes et entreprises qui font du jeu en ligne un véritable business en organisant des compétitions. Il leur a dit que l’État allait « les accompagner dans leur développement ». Aveu d’impuissance d’une puissance publique réduite à suivre un mouvement dont elle ignore tout en essayant de s’accrocher au train en marche.
Dans la même veine, il existe dans le monde de la compétition cycliste une discipline méconnue et en développement : le fixie. Le vélo à pignon fixe (sans changement de vitesses) était le moyen d’entrainement hivernal favori des anciens du cyclisme classique. Tombé en désuétude dans le courant des années 2000, il est revenu en force avec cette génération 2000, justement. Refusant de s’insérer dans le schéma des fédérations nationales et internationales, ils utilisent internet pour leurs organisations et proposent un circuit de courses parallèles. Tellement parallèle qu’une bonne partie des courses n’est pas déclarée et se déroule en dehors de la loi et des autorisations. Et ça fonctionne très bien.
La faiblesse du pouvoir le pousse à utiliser tous les moyens pour récupérer des voix. Le plus simple étant la forme actuelle de clientélisme en proposant un catalogue de mesures dans lesquelles tout le monde doit pouvoir se reconnaitre.
La démarche de vouloir s’exonérer du catalogue pour bâtir une réelle proposition politique est risquée électoralement et compliquée à expliquer tant le pli semble pris.
Pourtant les deux exemples présentés plus haut ne sont qu’une illustration de ce qu’il se passe : la réappropriation de leur vie par une partie des citoyens. Ils sont nombreux et seront, pour une part, probablement intéressé par une démarche libérale. Essayons.