Noël et Pâques sont les deux sommets de l’année chrétienne : la naissance du Christ et sa résurrection. La date de Pâques est fondée, celle de Noël a été placée au Solstice d’hiver à quelques jours près.. La plus chrétienne, c’est Pâques. La victoire du Christ sur la mort, la promesse de la vie éternelle pour chaque personne consacrent la dimension spirituelle, métaphysique et personnelle de la foi chrétienne. La Pâque juive commémore la libération historique d’un peuple. La différence est profonde. Pour Noël, au contraire, on peut percevoir une continuité entre la fête romaine de la naissance du Soleil Invaincu et celle de la naissance du Christ qui l’a officiellement remplacée à la fin du règne de Constantin. C’est une célébration de la vie, de la vie enracinée sur la terre. Elle condense le bonheur de la naissance, la joie de la famille qui « applaudit à grands cris lorsque l’enfant paraît », comme l’a écrit Victor Hugo. La Sainte Famille est une sanctification de toutes les familles. La venue des bergers, la présence du boeuf et de l’âne soulignent la réalité matérielle du contexte. Le nouveau-né a besoin de chaleur et d’attention. Il devra être nourri et vêtu. Il vivra dans le monde réel où il lui faudra travailler. Lorsque les Provençaux peuplent les crèches de santons, ils ne font que développer cette idée de l’entrée du petit homme dans une communauté de solidarité et de labeur. C’est pourquoi il est logique que la Fête de Noël ait toujours une dimension païenne, c’est à dire populaire. On peut regretter l’emprise commerciale, la préférence accordée à la dépense hédoniste sur l’intensité des échanges communautaires dans chaque famille, dans chaque paroisse, mais on comprend mieux la présence des crèches dans l’espace public et dans les mairies, car au-delà de la fête religieuse, il y a bien sûr une fête de l’identité culturelle, d’autant plus acceptable qu’elle est profondément pacifique et généreuse. Seuls des laïcistes bornés peuvent s’en émouvoir. Le fait que cette année des menaces terroristes pèsent sur ces festivités met davantage en lumière cette caractéristique d’une religion tournée vers la paix et l’amour qu’elle tente d’insuffler à toute la société humaine.
Mais il ne faut pas minimiser la portée spécifiquement chrétienne de Noël. Chesterton l’a bien dégagée dans un chapitre de « L’Homme éternel », « Dieu dans sa grotte ». « L’agnostique ou l’athée dont l’enfance a connu de vraies nuits de Noël associera pour toujours… deux idées que les hommes considèrent comme contradictoires : l’idée d’un bébé et celle de la puissance inconnue qui soutient l’univers ». Les deux grandes fêtes chrétiennes reposent sur l’extraordinaire paradoxe qui constitue l’originalité profonde du christianisme et qui le distingue des autres religions, y compris celles dites du Livre avec lesquelles il serait fallacieux de le confondre. Pâques, c’est la résurrection d’un Dieu qui a inversé le rapport traditionnel entre la divinité, surtout lorsqu’elle est unique, et ses créatures. Il n’est plus Celui qui punit ceux qui ne l’adorent pas. Il est celui qui s’offre à travers son « fils » à l’humanité, en rémission de ses péchés et par amour pour elle. Noël, c’est la naissance du fils de Dieu non pas dans un palais et vénéré par une foule soumise, mais dans une grotte qui sert d’étable, écarté de l’auberge, avec les pauvres, fuyant la persécution royale, proscrit. Une puissance réduite à la fragilité d’un nouveau-né dans une famille persécutée : comment mieux percevoir la force du message chrétien ? Il faut le lire dans la synthèse de cette singularité et de cet enracinement dans la vie concrète, dans l’ici-bas de nos communautés réelles. Il faut l’interpréter avec discernement en pensant aux villages chrétiens menacés, victimes d’exactions ou déjà martyrisés au Kosovo, en Irak ou en Syrie, ou encore au Nigéria, à tous les Chrétiens qui ne peuvent fêter Noël parce qu’ils subissent le fanatisme. Il faut prier et agir aussi pour nos pauvres de plus en plus nombreux sur les trottoirs de nos grandes villes de solitude. Il faut que cette fête de la vie qu’est Noël fasse reculer dans les esprits la culture de mort qui est à l’oeuvre dans notre civilisation. Comment ne pas ressentir en ce moment le bonheur de la famille et de l’enfant ? La ferveur doit garder toutefois les yeux ouverts, savoir dire non, comme l’ont fait récemment les Slovènes au « mariage » entre personnes de même sexe, savoir aussi distinguer les loups qui se cachent parmi les brebis. On parle certes de trêve de Noël, mais la lucidité nous apprend que le mal ne connaît pas de trêve.