L’ancien Premier Ministre du paradis fiscal luxembourgeois, recyclé à la tête de la Commission bruxelloise, a lancé une de ces formules typiques du microcosme qui prétend diriger notre continent : » Les barrières n’ont pas leur place en Europe », une sentence pleine de solennité que la réalité des pays, qui, dans la panique se mettent à en élever, rend aussi ridicule que son auteur. Lorsque la légèreté des hommes nie les lois de la nature de façon absurde, le retour au bon sens se manifeste spontanément. Ainsi, l’oligarchie européenne, entre sommets et petits fours, sans oublier les grands fours des référendums, a-t-elle proclamé la fin des frontières. Bien sûr, il ne s’agissait que de celles qui séparaient les Etats de l’Union Européenne. Mais, l’idéologie guidait le mouvement. Peut-être, chez certains, se profilait l’idée d’un gouvernement du monde. Alors les barrières tombaient de plus en plus vite et de plus en plus loin. L’élargissement battait l’approfondissement à la course. Pressée de devenir l’une des plus grosses entités politiques du globe, l’Europe des Six avalait goulûment les pays du Nord et de l’Ouest, plus enclins à l’économie qu’à la politique, puis ceux du Sud rescapés des dictatures, enfin ceux de l’Est libérés du communisme. L’Oural, l’Euphrate et le Caucase étaient en vue.
C’est alors que le mouvement s’est brisé. La Fédération de Russie ne voyait pas d’un bon oeil l’Europe atlantiste marcher sur les plate-bandes du vieil empire russe. La Turquie, si peu démocratique et tellement islamique, avait déjà une babouche dans la porte. Le miracle attendu de la stratégie de Lisbonne s’éloignait. Les peuples renâclaient. Souverains qu’ils étaient, ils sentaient bien que leur pouvoir était remis en cause par des politiciens et des technocrates épris de mondialisme et peu soucieux des problèmes locaux et des identités selon eux obsolètes. Ils souhaitaient être mieux protégés par un continent que par un pays et ils percevaient que c’était l’inverse qui se produisait. Les frontières disparues, les personnes et les produits circulaient en accentuant la concurrence de manière parfois déloyale puisque l’approfondissement inachevé laissait subsister des disparités juridiques, fiscales ou monétaires. Cette évolution était prévisible et devait conduire à une péréquation selon les optimistes. Mais, la précipitation à intégrer de nouveaux Etats dans les différents ensembles européens introduisait des difficultés pour chacun d’eux et incitait à la prudence. Certains pays n’avaient pas voulu de l’Europe monétaire, d’autres y étaient entrés en fraude. Le contrôle des frontières au sein de l’espace Schengen intéressait médiocrement les Etats non destinataires de l’immigration clandestine. Bref, à force de reculer les frontières, loin de les rendre plus solides et plus cohérentes, on les avait fait disparaître autour de l’Europe, à deux pas de la dangereuse Turquie, à côté du Maroc ou non loin de la Libye, au moment même où l’impuissance militaire européenne et la politique irresponsable des Occidentaux face à l’islamisme laissaient l’incendie se propager quand elles ne l’allumaient pas.
L’étonnant duo germano-grec exprime au plus haut point la dérive européenne. Entre une Allemagne à la monnaie sous-évaluée et une Grèce qui n’a pas les moyens de l’Euro, on fut à la limite du divorce, mais entre les usines allemandes qui réclament de la main d’oeuvre, les garde-côtes grecs et les passeurs turcs, existent des intérêts communs. Ils se sont fait entendre dans l’appel généreux aux réfugiés et ont baissé d’un ton lorsque les réfugiés syriens se sont révélés en partie afghans, pakistanais, érythréens, soudanais et avant tout migrants économiques. L’opinion allemande s’est retournée. Les pays qui se trouvent sur le parcours de l’invasion crient au secours et élèvent des barrières, celles qui sont inséparables d’un Etat dont la première mission est de protéger sa population et non de déclarer son amour pour l’humanité. Ni les chiffres de l’économie, ni les mots de l’idéologie ne peuvent longtemps occulter la réalité des besoins humains. Les citoyens des nations européennes ont besoin de se sentir libres, mais protégés, de posséder une identité qui ne s’impose pas mais qui est respectée. Ils ont besoin des frontières à l’intérieur desquelles ces demandes légitimes soient satisfaites. Celles-ci vont donc renaître, parce que sans elles, la souveraineté des peuples meurt et la démocratie avec elle.