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Avec Erdogan, où en est la Turquie ?

, par  Nathalie MP , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Par Nathalie MP.

J’aimerais apporter quelques précisions et compléments d’information à ce que j’ai déjà évoqué dans mon duo sur la Turquie et à tout ce qui a été dit dans l’émission « Décryptage » à laquelle j’ai participé.

À la question de savoir si Erdogan renoncera à être « le grand Sultan » après le résultat mitigé de son référendum constitutionnel, je crois qu’on peut répondre « non ».

Élément à charge supplémentaire : le 29 avril 2017, la BBC nous informait que les autorités turques avaient bloqué Wikipédia sans donner de raison. D’après certains médias, la Turquie demanderait à l’encyclopédie en ligne de supprimer des contenus « soutenant des terroristes ».

Le référendum du 16 avril 2017

Les Turcs devaient se prononcer sur un ensemble de 18 amendements donnant tous les pouvoirs au Président turc. Le « oui » l’a emporté, mais de peu (51,4 %), et l’on se demande même s’il l’a seulement véritablement emporté compte tenu de toutes les plaintes pour fraude qui ont été déposées auprès du Haut conseil aux élections. Ce dernier a déclaré qu’aucune plainte n’était recevable, et qu’il ne reconnaîtrait pas la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme au cas où des recours y seraient déposés.

Comme le résultat du référendum, qui montre une société turque très partagée, peut difficilement passer pour un plébiscite, Erdogan a annoncé dans la foulée un référendum sur la peine de mort. Assuré de le gagner largement, il pourra l’utiliser à sa guise dans les instances internationales en faisant valoir le vaste soutien populaire dont il dispose dans son pays.

Erdogan, le Sultan mégalo

Erdogan a clairement versé dans la mégalomanie. En 2014, il s’est fait construire en bordure d’Ankara un palais présidentiel grand luxe de 200 000 m2 et 1000 chambres pour un coût estimé à 350 millions de dollars. Le style rappelle indéniablement les projets d’Albert Speer pour le IIIème Reich ou l’architecture des pays de l’est. Le terrain choisi pour la construction, la forêt d’Atatürk, était non constructible et constituait l’un des rares espaces verts de la capitale. Mais Erdogan se fiche pas mal de ces détails et a passé outre les nombreuses décisions de justice rendues contre ce projet.

Toujours dans cet état d’esprit de folie des grandeurs et fastes retrouvés de l’Empire Ottoman, il est en train de faire construire sur la plus haute colline d’Istanbul ce qui sera la plus grande mosquée de Turquie, pour y être enterré dans la plus pure tradition des Sultans. Le gigantisme prime : capacité d’accueil de 30 000 fidèles, débauche de coupoles et minarets, et toujours quelques problèmes pour le permis de construire.

Erdogan, le Sultan proche des Frères musulmans

Sultan donc. Et très islamisé, car Erdogan est très proche des Frères musulmans. Il n’a pas apprécié que l’armée égyptienne dépose le Président égyptien Morsi en 2013, et redoute de subir le même sort en Turquie d’où sa vindicte permanente et ses purges contre l’armée, où de nombreux fidèles aux thèses d’Atatürk sur la laïcité sont encore présents. Quand il salue, il fait fréquemment le signe de ralliement de ce mouvement : paume face à la foule, quatre doigts déployés et le pouce replié.

L’objectif officiel des Frères musulmans, organisation fondée en Égypte en 1928, est la renaissance islamique et la lutte non-violente contre « l’emprise laïque occidentale » et « l’imitation aveugle du modèle européen » en terre d’Islam – de l’anti-Atatürk, en quelque sorte. Mais très rapidement il s’est mué en combat politique, celui d’instaurer un grand État islamique fondé sur l’application de la charia.

Erdogan a déclaré qu’il ne considérait pas les Frères musulmans comme une organisation terroriste, car selon lui, il ne s’agit pas d’une organisation armée, mais d’une « organisation intellectuelle »1.

Les trois ennemis

Erdogan considère qu’il a trois ennemis : en toute première place, les Kurdes du PKK ; puis juste après, le prédicateur musulman Fethullah Gülen ; puis seulement et assez loin derrière, Daesh. Il n’hésite pas à instrumentaliser ces trois ennemis, ces « traîtres », pour rassembler les Turcs autour de lui, leur demander de lui accorder tous les pouvoirs et s’imposer comme leur indispensable protecteur.

Cas de l’Union européenne

L’Union européenne (UE) n’est pas exactement un ennemi. Le rapport serait plus du style « Je t’aime, moi non plus », mais elle n’en est pas moins instrumentalisée en permanence par Erdogan afin de garantir sa suprématie en Turquie. Les Turcs sont nombreux à considérer que l’UE est hypocrite (elle leur fait miroiter l’adhésion depuis plus de 50 ans) et ils la jugent trop laxiste avec les Kurdes et Gülen. Erdogan attise ce ressentiment en réactivant le « Syndrome de Sèvres » (du nom du traité signé en 1920 qui démantela sévèrement l’Empire Ottoman) c’est-à-dire l’idée que la Turquie est assiégée par les puissances européennes hostiles qui voudraient réduire sa puissance2.

Fethullah Gulën et le coup d’État raté de juillet 2016

Fethullah Gülen est un prédicateur musulman à la tête d’un vaste réseau d’associations, d’écoles et d’entreprises, qui prône un islam ouvert au dialogue interreligieux, qui croit en la science et en la démocratie. Il vit aux États-Unis depuis 1999 (époque où Erdogan passa 4 mois en prison pour excès d’islamisme) car l’armée ne le trouvait pas assez laïc.

Il a soutenu l’AKP (parti d’Erdogan) dans ses débuts et l’a beaucoup aidé en s’infiltrant dans l’armée et dans de nombreuses administrations. Mais il dénoncera ensuite la dérive autoritaire et la corruption du régime, devenant ainsi l’ennemi n° 2 du Président turc.

Ce dernier l’accuse de vouloir fomenterun coup d’État , ce qui lui vaudra une peine de 34 ans de réclusion requise en 2015, puis il l’accuse d’être derrière le coup d’État raté de 2016. Erdogan demande alors son arrestation et son extradition aux autorités américaines, qui sont restées sourdes à ses appels.

On ne sait pas très bien qui est derrière le coup d’État raté de juillet 2016. Pour Erdogan, c’est Gülen avec l’aide des États-Unis. Pour Gülen, c’est Erdogan lui-même, en tant que grand bénéficiaire des énormes purges qui ont eu lieu dans la foulée dans l’armée, la magistrature, les autres administrations et les médias (des mises à pied et des emprisonnements par milliers).

Une des hypothèses consiste à dire que certains militaires d’obédience kémaliste ou güleniste, ayant appris grâce à une fuite qu’ils figuraient sur la prochaine liste de purges du Président, ont réagi par le coup d’État. La fuite était-elle orchestrée par Erdogan afin de justifier sa répression subséquente ? Ce qui est certain, c’est que les listes d’arrestations étaient prêtes car la répression a commencé dès le lendemain, par paquet de mille militaires, fonctionnaires, magistrats, universitaires etc.

Perspectives diplomatiques

En août 2016, la Turquie a lancé en Syrie l’opération militaire « Bouclier de l’Euphrate ». Officiellement, il s’agissait de participer à la lutte contre Daesh, mais le véritable objectif consistait surtout à éviter la création d’un État kurde au nord de la Syrie en affaiblissant au maximum les forces du PYD, groupe rebelle de Kurdes syriens soutenus par le PKK turc.

Or le PYD est un appui considérable pour la coalition occidentale dans son offensive contre Raqqa, capitale de Daesh en Syrie. Dans l’incapacité d’aboutir, la Turquie a mis fin à « Bouclier de l’Euphrate » en mars dernier, quelques jours avant la venue du Secrétaire d’État américain Rex Tillerson à Ankara.

Avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, Erdogan espérait qu’il pourrait obtenir ce qu’Obama avait toujours refusé, c’est-à-dire l’extradition de Gülen et la fin du soutien des États-Unis au PYD. Mais Tillerson n’a rien accordé à la Turquie sur ces deux points.

Bien que membre de l’OTAN (depuis 1952), et en dépit d’un désaccord persistant sur la Syrie à propos du départ d’Assad refusé par Poutine et souhaité par Erdogan, la Turquie est maintenant en pleine phase de réconciliation avec la Russie.

L’affaire de l’avion militaire russe abattu par l’armée turque en novembre 2015 est oubliée et la Russie a levé ses représailles économiques.

Accompagné d’une délégation nombreuse, Erdogan s’est rendu à Moscou le 10 mars dernier. Il a été question de la possible acquisition d’un système russe de défense anti-aérienne et de la reprise d’un partenariat économique incluant une centrale nucléaire et le « turkish stream » qui doit acheminé du gaz russe en Turquie.

Perspectives économiques

Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, la Turquie est entrée dans une période de détérioration économique. La croissance fut de 4% en 2015, elle pourrait tomber à 2% en 2017. La livre turque s’est beaucoup dépréciée par rapport à l’euro et au dollar, l’inflation est repartie (11% en mars 2017), de même que le chômage. Alors que j’évoquais 11,8% pour septembre 2016, il est maintenant à 13,5%. Il s’agit des taux officiels, mais les observateurs estiment qu’on est plus proche de 18 à 20% et même 40% pour les jeunes.

Le tourisme est sinistré en raison des attentats terroristes, de la guerre avec les Kurdes et de la guerre en Syrie. Les échanges commerciaux sont en baisse : 50% avec l’UE dont la croissance est faible, le reste avec le Moyen-Orient qui n’est pas en meilleure forme.

La conjonction des difficultés économiques et du recul de l’État de droit a débouché sur la baisse des notes des agences de notation. En septembre 2016, donc juste après le coup d’État raté, Moody’s a baissé la note souveraine de la Turquie de Baa3 (investment grade) à Ba1 (speculative grade). En mars 2017, elle l’a assortie d’une « perspective négative », signifiant ainsi que l’agence s’attend à une dégradation de la situation turque. Dans son communiqué, elle explique cette décision par :

L’érosion continue des institutions du pays dans un contexte de fortes tensions domestiques, l’affaiblissement des perspectives de croissance, le renforcement des pressions sur les comptes publics et externes du pays.

Les investisseurs ne se précipitent plus à Istanbul. La Turquie, qui vient de s’éloigner encore un peu plus de l’État de droit, qui continue à museler presse, sites internet et réseaux sociaux, n’a plus guère que la Russie (et le Qatar) comme allié stratégique et économique. Tout va donc très bien…

Cet article a été publié une première fois en 2017.

— 

Sur le web Les Frères musulmans sont considérés comme organisation terroriste par plusieurs pays arabes. Ce n’est pas le cas dans les pays occidentaux, mais la question commence à être posée. En France, l’UOIF ou Union des organisations islamiques de France est souvent associée à cette mouvance, même si aujourd’hui elle cherche à faire oublier cette parenté embarrassante. Nous bénéficions de plus de la présence télévisuelle fréquente du petit-fils du fondateur, l’inénarrable Tariq Ramadan dont les propos sur l’Islam sont souvent ambigus. ↩ Notons au passage qu’en 1920 les Turcs se sont battus, au propre comme au figuré, pour obtenir un traité plus favorable. Mustafa Kemal, futur Atatürk, obtint les conditions plus acceptables du traité de Lausanne en 1923 et devint la même année le premier Président de la nouvelle République turque. ↩

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