Article écrit à partir d’extraits du discours de Philippe Séguin de 2 h 30 sur l’Europe le 5 mai 1992 à l’Assemblée nationale.
Le 5 mai 1992, Philippe Séguin invitait l’Assemblée nationale à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle présenté par le gouvernement aux députés comme préalable à la ratification des accords de Maastricht négociés le 10 décembre 1991 par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres des communautés européennes, et signés le 7 février 1992.
Selon Philippe Séguin, ce projet de loi violait le principe même de la souveraineté nationale inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution.
Des droits imprescriptibles
Philippe Séguin :
« Il existe en effet, au-dessus même de la charte constitutionnelle, des droits naturels, inaliénables et sacrés, à savoir les droits de l’homme et du citoyen tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789. Et quand l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle que « La souveraineté nationale appartient au peuple », il ne fait que reconnaître le pacte originel qui est, depuis plus de deux cents ans, le fondement de notre Etat de droit. Nulle assemblée ne saurait donc accepter de violer délibérément ce pacte fondamental.
[…] Aucune assemblée n’a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d’habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. A fortiori, aucune assemblée ne peut déléguer un pouvoir qu’elle n’exerce qu’au nom du peuple.
Or, le projet de loi soumis au Parlement français comportait une habilitation d’une généralité telle qu’elle pouvait être assimilée à un blanc-seing.
Et en 2023 ?
En 2023, voilà maintenant 65 ans que le traité de Rome a été signé et plus de 30 ans que le traité de Maastricht est entré en application après le vote favorable des Français (51 %…) le 20 septembre 1992.
Le projet de Constitution européenne avait cependant été refusé par les Français le 29 mai 2005 par referendum (55 % de non), et le 1er juin 2005 par les Pays-Bas.
Malgré ce refus, cette Constitution a été validée sous une autre forme par le traité de Lisbonne en octobre 2005, puis ratifiée par le Parlement français en février 2008.
Et depuis, comme l’avait annoncé Philippe Séguin, « d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples. Elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de Justice. »
En 2023, voilà donc plus de 30 ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires (dont la puissante présidente allemande de la Commission européenne Ursula von der Leyen), et de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat , des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences.
Comme Philippe Séguin l’avait dénoncé, « Le conformisme ambiant, voire le terrorisme intellectuel qui règne aujourd’hui, disqualifie par avance quiconque n’adhère pas au dogme européen, et l’expose littéralement à l’invective. Qui veut se démarquer du culte fédéral est aussitôt tenu par les faiseurs d’opinion pour un nostalgique, ou un primaire, ou un nationaliste forcené prêt à renvoyer l’Europe aux vieux démons qui ont si souvent fait son malheur.
Comme l’avait prédit Philippe Seguin, les eurocrates encensent la République dans leurs discours et la ruine par leurs actes. L’Europe d’aujourd’hui « n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale. »
Indépendance et souveraineté
Philippe Séguin :
« Il est de bon ton, aujourd’hui, de disserter à l’infini sur la signification même du concept de souveraineté, de le décomposer en menus morceaux, d’affirmer qu’il admet de multiples exceptions, que la souveraineté monétaire, ce n’est pas la même chose que l’identité collective, laquelle ne courrait aucun risque. Ou encore que l’impôt, la défense, les affaires étrangères, au fond, ne jouent qu’un rôle relatif dans l’exercice de la souveraineté.
Toutes ces arguties n’ont en réalité qu’un but : vider de sa signification ce mot gênant de « souveraineté » pour qu’il n’en soit plus question dans le débat.
La méthode est habile. En présentant chaque abandon parcellaire comme n’étant pas en soi décisif, on peut se permettre d’abandonner un à un les attributs de la souveraineté sans jamais convenir qu’on vise à la détruire dans son ensemble.
La souveraineté, cela ne se divise pas ni ne se partage et, bien sûr, cela ne se limite pas.
Pendant « le printemps de Prague » les doctrines de la « souveraineté divisée », de « la souveraineté partagée », de « la souveraineté limitée » ont rappelé au monde entier que ce sont autant d’expressions pour signifier qu’il n’y a plus du tout de souveraineté !
[…] En fait, ce traité est un « anticompromis » : iI interdit aux parlements nationaux , mais aussi aux gouvernements, de faire prévaloir l’intérêt national quand il est en cause.
[…] Tout ce dispositif imprégné d’une idéologie dirigiste et planificatrice est donc fort peu respectueux de la souveraineté des États membres tant en ce qui concerne la nature des règles de décisions que le caractère irréversible des transferts de pouvoirs envisagés.
Cessons de tricher, de dissimuler, de jouer sur les mots, de multiplier les sophismes : l’alternative est claire : nous devons conserver notre souveraineté ou y renoncer. »
Le piège s’est refermé
[…] « L’application des accords de Maastricht fut un piège dont le coût de la dénonciation est exorbitant. Aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui a été fait.
[…] Craignons alors que les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés. Car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin.
On ne joue pas impunément avec les peuples et leur histoire. Toutes les chimères politiques sont appelées un jour ou l’autre à se briser sur les réalités historiques. La Russie a bel et bien fini par boire le communisme comme un buvard parce que la Russie avait plus de consistance historique que le communisme, mais à quel prix ? »
Comment réorganiser l’Europe !
Comment réorganiser l’Europe à partir des réalités de toutes les nationalités qui la composent.
Comment bâtir un nouveau système de coopération assurant la paix et la prospérité sans négliger ces réalités nationales dont les mouvements paraissent imperceptibles que parce qu’ils appartiennent à la très longue durée ?
Voilà qui devrait tout naturellement être l’objet d’un vrai et grand débat public.
Le moment est venu de regarder en face la vraie nature des choses qui n’est pas technique mais politique, et de dire ouvertement, franchement, honnêtement, quels sont les enjeux. Il est temps que ce débat ait lieu. Il est temps de montrer aux Français qu’il y a plusieurs voies possibles et qu’ils ont le choix. Il est temps de leur montrer qu’on les mène vers une impasse et que l’espérance est ailleurs, du côté de la nation qui est la leur. »
Les technocrates européens (eurocrates) ne sont pas élus et ne sont responsables de leurs décisions devant personne. Imbus de leur pouvoir, ils obéissent à de sombres injonctions et à des banques, parfois étrangères, notamment américaines, qui mènent les Européens dans une impasse.
Ainsi, la nomination sans concertation par la commissaire Margrethe Verstager à la Commission européenne le 23 juillet 2023 de l’Américaine Fiona Scott Morton en tant que chef économiste de la direction générale de la concurrence… européenne (malgré la demande d’annulation de ce recrutement controversé par le gouvernement français) fait tout de même scandale au Parlement européen ! Le président Emmanuel Macron s’est dit « dubitatif » …
Finalement, cette Américaine a dû renoncer devant la levée de boucliers en Europe… mais chacun a pu sentir le vent du boulet de la pression américaine !
À propos de l’Union européenne alors en gestation, le général de Gaulle déclarait déjà en juillet 1962 à Alain Peyrefitte (C’était de Gaulle , tome 1) :
« Cette commission politique de sages, je la vois bien artificielle. Ces sages voudraient cogiter ou se dresser devant les gouvernements ! Ils se prétendraient responsables de tout, alors qu’ils ne seraient responsables de rien devant personne. Ce qui ne serait pas pratique. ».
Et en janvier 1963, le général de Gaulle déclarait :
« Notre politique c’est de réaliser l’Union de l’Europe. […] Mais quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. Et ce sont les Américains qui en profiteront pour imposer leur hégémonie. L’Europe doit être in-dé-pen-dante […] ou elle ne sera qu’un conglomérat de protectorats américains ».
Comme l’annonçait déjà Philippe Séguin en 1992, « l’espérance est ailleurs ». Elle commande l’idée d’une nouvelle Union européenne , moins technocratique et plus démocratique.