Je n’aime pas Nicolas Sarkozy comme homme politique et je ne suis pas garant de son honnêteté ou de sa morale. Ce que je sais c’est que depuis près de 20 ans la magistrature française lui voue une haine sans mélange. D’abord comme ministre de l’Intérieur puis président de la République. Cette aversion pour l’ancien président largement partagée dans les couches moyennes à exposé celui-ci à une vendetta judiciaire ininterrompue. Où la fin a toujours justifié les moyens, et en particulier la prise de liberté avec le respect du droit et des principes. La haute fonction publique judiciaire et en particulier la Cour de cassation a tout validé, Nicolas Sarkozy pouvant être considéré comme ayant fait évoluer la jurisprudence non comme président ou ministre mais comme prévenu. Et à chaque fois au détriment des libertés publiques. Parmi la collection d’affaires qui lui furent accrochées, il comparait le 5 décembre, devant la cour d’appel de Paris qui doit rejuger la fameuse affaire dite « des écoutes », ou autrement nommée « l’affaire Bismuth ». Avec cette « chasse au Sarkozy » justement dénoncé par le bâtonnier de Paris l’ancien président se trouve être encore aujourd’hui le symbole fort du dévoiement et de l’instrumentalisation de la justice pénale à des fins politiques.
(Je renvoie là aussi à la lecture de mon livre où j’ai décortiqué cette façon de procéder.)
C’est dans ces conditions qu’il fut mis en examen par raccroc dans la fameuse affaire Bettencourt par un juge d’instruction avide d’exposition médiatique et entretenant des rapports parfois très élastiques avec les règles de procédure ou le respect des principes. En violation de la Constitution, ce juge d’instruction avait saisi l’agenda du président de la République. Celui-ci, une fois l’ordonnance de non-lieu évidente rendue à son profit, avait saisi la Cour de cassation afin d’obtenir sa restitution.
Affaire Paul Bismuth, des écoutes, Azibert
C’est cette procédure qui va être à l’origine de l’offensive judiciaire la plus violente dirigée contre Nicolas Sarkozy.
Celui-ci, dans le cours de cette affaire, désireux de communiquer librement avec son avocat – et de faire ainsi usage d’une liberté fondamentale –, et persuadé, d’ailleurs à juste titre, d’être sur écoute, avait décidé d’utiliser un téléphone portable acheté sous le nom de Paul Bismuth. Précaution d’amateur, puisque quelques recoupements de bornage permettaient d’éventer la supercherie. Effectivement, les conversations entre l’ancien chef de l’État, leader de l’opposition politique, et son conseil faisaient l’objet d’écoutes judiciaires depuis plus de huit mois, dans le cadre d’une instruction concernant des soupçons d’un financement d’origine libyenne de la campagne présidentielle de 2007. Instruction diligentée par l’inévitable Serge Tournaire, qui collectionne les mises en examen de Nicolas Sarkozy et a procédé à la liquidation judiciaire du candidat Fillon en 2017. Utilisant ce qui fut qualifié par les juristes scandalisés d’écoutes de type « filets maillants dérivants », il eut accès aux échanges personnels, privés et professionnels de Sarkozy. Ceux qu’il avait tenus avec son avocat furent ainsi scrupuleusement enregistrés et transcrits pendant huit mois ! L’ancien président avait donc introduit devant la Cour de cassation une procédure pour obtenir la restitution de son agenda saisi – illégalement – dans l’affaire Bettencourt. La transcription d’une conversation fit soupçonner l’ex-Président d’avoir tenté d’obtenir des informations auprès de Gilbert Azibert, ancien premier avocat général près la Cour de cassation, sur cette procédure. En contrepartie, Nicolas Sarkozy se serait engagé à soutenir le magistrat à obtenir un poste à Monaco. Ça y était, on le tenait, et commença alors un rodéo judiciaire géant mobilisant toutes les ressources de la procédure pénale, avec deux juges d’instruction, Aude Buresi et Claire Thépaut, particulièrement pugnaces compte tenu du caractère monstrueux du crime. L’accusation de corruption apparaissait aux professionnels passablement farfelue lorsque l’on connaissait le fonctionnement de la Cour de cassation, que l’on savait qu’elle avait finalement refusé la restitution de l’agenda, et qu’enfin Gilbert Azibert, soucieux d’une fin de carrière ensoleillée à Monaco, n’avait pas été nommé au poste dont on disait qu’il le guignait, celui-ci étant déjà pourvu. Pas d’utilisation d’une prérogative juridique de l’ancien magistrat ni de contrepartie de la part de l’ancien président qui n’avait aucune compétence pour cela.
On assista cependant à un déploiement de moyens considérables. Les deux magistrates, les « deux dames » comme les appelait Sarkozy, n’ont pas chômé. Parmi bien d’autres institutions, elles ont ciblé les magistrats de la chambre criminelle. Probablement soucieuses de savoir si ceux-ci avait pu être approchés par Azibert, elles ont multiplié convocations et auditions, perquisitions, saisies d’ordinateurs, communication de fadettes et autres initiatives complètement disproportionnées. Ce zèle a créé, comme l’a rapporté le Canard Enchaîné avec gourmandise, une ambiance assez lourde au palais. On apprit à la lecture de l’hebdomadaire satirique que les magistrats auraient été cuisinés sur leur délibéré ayant abouti à leur décision de refus de restitution de l’agenda. Il est probable que les membres de la Cour de Cassation, se rappelant le texte de leur serment, ont dû être interloqués par la méthode : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Ils savent que c’est un principe constitutionnellement protégé et connaissent le rappel du Conseil d’État du 17 novembre 2012 : « le secret des délibérations dans les assemblées juridictionnelles est un principe général du droit public français ; que ce principe a pour objet d’assurer l’indépendance des juges et l’autorité morale de leurs décisions ; qu’il s’impose, dès lors, à toutes les juridictions ». Les « deux dames » le savent probablement aussi, mais quand il s’agit de Sarkozy, on n’allait pas s’arrêter à ce genre de détails.
Le bruit court que les auditions dans le bureau des juges d’instruction ont été marquées par un sévère refroidissement climatique. Et bien sûr les magistrats de la chambre criminelle ont refusé de trahir ce secret. Qu’à cela ne tienne, on raconte qu’elles auraient alors réclamé la copie du rapport du conseiller rapporteur. Il s’agit de la synthèse du dossier soumis à la juridiction présentée par un conseiller à la collégialité pour lui fournir les éléments du débat nécessaire au délibéré. Les juristes attentifs savent que le rapport fait partie de ce délibéré, et qu’il est donc soumis au secret. La question est tranchée depuis longtemps, à la fois par le Conseil Constitutionnel et par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Mais puisqu’on nous disait qu’il s’agissait de Sarkozy ! Avec lui, le respect de la Constitution ne pouvait pas être au programme. On s’en tiendra à ces quelques exemples, toute l’instruction se passa en prenant moultes libertés avec le droit et avec les principes. Sous les regards bienveillants de la chambre d’instruction et de la Cour de cassation qui validèrent à peu près tout.
Trois ans de prison, dont un ferme
Toutes deux renvoyèrent la patate chaude au tribunal de Paris, lui laissant le soin de prendre la responsabilité de prononcer une relaxe que tous les observateurs pensaient inévitable. Ce fut également l’opinion des journalistes ayant assisté à l’audience, dont l’avis pouvait se résumer de la façon suivante : « lorsque l’on vise une cible de cette importance, il vaut mieux avoir de bonnes munitions ». À la surprise générale, fut prononcée le 1er mars 2021 une décision de culpabilité assortie de condamnations extrêmement lourdes, à base de prison ferme pour Nicolas Sarkozy et pour les autres protagonistes du dossier. Le tout sous les acclamations de ceux qui raffolent de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et pour qui la détestation de l’ancien président relève du fanatisme. Pendant ce temps, des rumeurs insistantes racontaient une histoire un peu différente, selon laquelle la présidente du tribunal souhaitait prononcer la relaxe mais que les deux magistrates assesseurs étaient restées sur des positions militantes et s’y étaient opposées. Il s’agit là, n’est-ce pas, de calomnies et d’inventions auxquelles personne n’apportera le moindre crédit. Car ce serait croire à la politisation de la haute fonction publique judiciaire et cela chacun sait que ce n’est pas possible. L’impartialité y est évidemment une valeur cardinale…
Finalement, cette affaire témoigne du fait que Nicolas Sarkozy n’a jamais voulu soulever sérieusement la question du caractère politique de l’indiscutable acharnement judiciaire dont il a été l’objet durant toutes ces années. Il ne s’agit pas ici de se porter garant de la morale et de la probité personnelle de l’ancien président de la République, ni exprimer une quelconque sympathie politique à son endroit, totalement absente chez l’auteur de ces lignes. Mais de partir d’une réalité dont Sarkozy n’a pas tiré les conséquences au-delà de sa personne. Tout son parcours judiciaire depuis dix ans a pour caractéristique que les faits et le droit occupent une place secondaire dans le traitement de ses affaires, au profit de la recherche d’une revanche spectaculaire contre un personnage politiquement détesté. Cette situation est le symptôme d’une évolution qui a fait de la Justice française d’aujourd’hui un pouvoir politique autonome. La présidentielle de 2017, la mansuétude judiciaire dont bénéficient Emmanuel Macron et ses amis, la brutalité de la répression des mouvements sociaux, la porosité aux mouvements sociétaux minoritaires en sont autant d’expressions..
C’est dans ce cadre que Nicolas Sarkozy aurait dû mener le combat pour sa défense, plutôt que d’espérer on ne sait quel compromis avec ceux qui se vivent comme ses ennemis.
Il est possible qu’il le paye assez cher.
Régis de Castelnau