Par Nathalie MP.
Ainsi donc, nous apprenions récemment que le palais de l’Élysée avait commandé à la Manufacture nationale de Sèvres un service de table de 1200 pièces dont le coût pourrait atteindre 500 000 € selon les savants calculs du Canard enchaîné. Peu après, il était question de la construction d’une piscine hors-sol pour le fort de Brégançon, villégiature présidentielle dont Emmanuel Macron a fait sa résidence d’été privilégiée.
Évidemment, venant juste après les déclarations fracassantes – mais pas complètement injustifiées – du Président sur le « pognon de dingue » englouti dans notre modèle social, et tombant pile au moment où le gouvernement a annoncé que les APL ne seront pas revalorisées comme d’habitude au 1er octobre, ces révélations font désordre.
Il n’en fallait pas plus pour déclencher une jolie petite polémique comme on les aime sur les goûts extravagants de notre Président décidément fort peu « normal » et dont la « verticalité jupitérienne » finit par ressembler à des caprices de star.
Meneur de la fronde, le député Insoumis François Ruffin en a profité une fois de plus pour ironiser sur ce qui, selon lui, caractérise la politique d’Emmanuel Macron :
Quand on donne aux pauvres, c’est du gâchis. Quand on donne aux riches, c’est de l’in-ve-sti-sse-ment.
Sauf que la structure de nos comptes publics montre au contraire que notre modèle est fondé sur une très forte redistribution qui consiste à prendre aux « riches » par l’impôt (par exemple, 25% de l’IR est payé par 1% des ménages) et les cotisations sociales (très allégées sur les bas salaires) et à redonner aux « pauvres » via les prestations sociales, le tout aboutissant à des niveaux de dépenses (57% du PIB), de prélèvement (45,4%), de déficit (2,6%) et de dette (97%) parmi les plus élevés du monde développé.
Contrairement à ce que raconte M. Ruffin, quand un gouvernement décide contre l’opinion dominante de baisser les APL , il ne le fait pas dans le but spécifiquement cynique de « prendre » aux pauvres pour « enrichir les riches », mais pour essayer de mettre fin aux effets pervers d’un interventionnisme apparemment généreux mais en réalité délétère – en l’occurrencel’effet inflationniste sur les loyers .
Vaisselle, piscine : y a-t-il un scandale ?
D’ailleurs, renseignements pris, les deux affaires sus-mentionnées se présentent sous un jour légèrement différent de celui que Ruffin tente d’accréditer. Pour la piscine de Brégançon , les raisons avancées concernent la protection de la vie privée, les impératifs de sécurité qui se compliquent et donc se renchérissent nettement en cas de baignade en mer du Président et sa famille et la possibilité d’y recevoir des chefs d’État étrangers.
Le financement (peu élevé, s’agissant d’un bassin hors-sol ) se ferait dans le cadre du budget annuel alloué à cette résidence présidentielle, soit 150 000 €. Il est de plus question d’y affecter des recettes qui proviendraient de la vente des produits (mugs, cravates, porte-clefs…) de la nouvelle boutique « Élysée – Présidence de la République ».
Ces recettes permettraient aussi d’avancer sur la rénovation du palais de l’Élysée. Son budget global de fonctionnement a été fixé à 104 millions d’euros pour 2018, soit une augmentation de 3% sur 2017, mais le budget séparé alloué aux travaux a été mis en suspens. Or il est de notoriété publique que certaines ailes ne sont pas entretenues depuis de nombreuses années.
Concernant directement la commande de vaisselle, le coût total serait de 50 000 € pour rémunérer les deux artistes finalistes qui ont participé au concours, à quoi il faut ajouter le coût de fabrication. C’est ce dernier que le Canard enchaîné a évalué à 500 000 € en se basant sur un prix moyen de 400 € par assiette. Selon la directrice de la Manufacture de Sèvres, le coût n’est pas encore parfaitement connu car chaque assiette est unique, mais il serait plus près de 200 € pièce, soit à peu près 250 000 €.
Évidemment, toute la question est de savoir ce que les Français sont prêts à payer pour assurer la représentation régalienne du chef d’un État qui figure quand même parmi les dix premières économies mondiales. Le misérabilisme qui consiste à s’indigner chaque fois que des travaux de modernisation sont entrepris n’est pas forcément très judicieux.
Il est à noter que tant la vaisselle que la piscine resteront à la Présidence de la République après le départ de M. Macron, tandis que (pour prendre un exemple) le petit aller-retour en avion aux frais du contribuable effectué par Manuel Valls en juin 2015 pour assister à un match de foot (FC Barcelone contre Juventus de Turin) à Berlin représentait bien un abus de bien public et traduisait incontestablement ce détestable sentiment qui fait qu’une fois élus par le peuple nos dirigeants se croient tout permis et n’hésitent pas à mélanger allègrement ce qui relève du service de ce peuple et ce qui relève de leur propre satisfaction.
Aussi, pour moi, remplacer certains éléments de la vaisselle de l’Élysée tous les quinze ou vingt ans ne me semble pas être un grave problème.
En revanche, on découvre à cette occasion que l’État est vraiment doué d’une extraordinaire polyvalence : parmi ses attributions, existe aussi celle de fabriquer de la vaisselle de luxe en porcelaine ! C’est là qu’il y a lieu de se poser quelques questions.
Vaisselle et ministère de la Culture
Pour faire retomber la polémique, le gouvernement a fait savoir que le coût de la commande n’impacterait nullement les comptes de l’Élysée puisqu’il relève entièrement des attributions de la Manufacture nationale de Sèvres, laquelle… est lourdement subventionnée par le ministère de la Culture.
En 2016, sur un budget total de 7 millions d’euros, les subventions représentaient 4 millions, les ventes de produits 1,8 million et les autres recettes type billetterie et mécénat 1,2 million (page 156 du PDF ). D’après le Canard enchaîné, qui relève bien la charge pour le contribuable sans en tirer toutes les conséquences, les subventions 2018 seraient de 4,4 millions d’euros (voir ci-dessus).
Autrement dit, si les besoins de l’Élysée en matière de vaisselle de prestige en lien avec son rang de haut lieu régalien représentent des sommes pouvant aller jusqu’à 500 000 € tous les 15 ou 20 ans, il ne s’agit là que de la pointe émergée de l’iceberg car la Manufacture de Sèvres vit aux frais du contribuable à raison de 4,4 millions d’euros par an, ce qui constitue un tout autre niveau de dépenses. Encore un exemple de la façon dont le budget annuel du ministère de la Culture finit par atteindre 6 milliards d’euros en plus des 4 milliards consacrés à l’audio visuel public.
D’ailleurs, concernant les 50 000 € destinés à défrayer les artistes, la manufacture a demandé une petite « rallonge » au ministère de la Culture. Quels efforts de productivité et de créativité pourrait-elle faire dès lors qu’elle est assurée de recevoir sa subvention étatique et qu’elle se sait en mesure d’obtenir facilement des enveloppes supplémentaires dès lors qu’on pourra commodément les mettre sur le compte de la fameuse exception culturelle française ?
On pourrait fort bien imaginer que l’Élysée se fournisse auprès de fabricants privés mis en concurrence et ainsi toujours poussés à améliorer l’attractivité de leurs produits sur le plan du design comme sur celui de la fabrication.
Manufacture de Sèvres : subventions et commandes publiques
Mais l’on constate que perdure en 2018 le système économique très interventionniste mis au point par Colbert , Contrôleur général des Finances de Louis XIV, dans les années 1660. Selon les thèses du mercantilisme qui régissait alors l’action économique des monarchies absolues, toute son action pour renforcer la puissance économique de la France se déploya dans le triptyque « protectionnisme, subventions et commandes publiques. » On parlerait aujourd’hui d’État-stratège .
Datant de 1740, la Manufacture de Sèvres n’a évidemment pas été créée par Colbert lui-même, mais elle est correspond exactement à ce type de politique économique, poursuivie sous Louis XV, qui met toute la création de richesse au service de l’État plus qu’au service du consommateur. Emmanuel Macron n’en est évidemment pas plus le créateur, mais nombreux sont les traits de son action politique et économique qui visent à restaurer le pouvoir de l’État-stratège, notamment le fonds pour les start-up et le plan entreprises de Bruno Le Maire.
Nul doute qu’à l’abri des subventions et des petites « rallonges », la renommée et le savoir-faire de la Manufacture de Sèvres sont bien protégés. Mais on voit mal où elle va trouver les ressources entrepreneuriales et créatives pour s’adapter à un marché du luxe dont la branche « arts de la table » sort à peine de 10 ans de grandes difficultés, autrement qu’en continuant à faire ce qu’elle a toujours fait grâce à la manne d’un financement étatique assuré tandis que les consommateurs sont demandeurs d’autre chose.
Quant à François Ruffin , notons combien son ironie tombe à plat. En commandant ce service de table, Macron n’a rien fait d’autre que de s’inscrire exactement dans ce que la France insoumise, la CGT et pas mal d’autres attendent de l’État : qu’il soutienne des entreprises incapables de vivre par elles-mêmes. Si ce n’est pas au nom de notre modèle social ou de nos services publics, rassurez-vous, il reste encore notre exception culturelle à bichonner.
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