Par Louis Anders.
Il faut « réinventer notre pays » car « nous sommes entrés dans une nouvelle ère ». Il faut assumer une « conversion ». En un mot, nous avons besoin d’une Révolution. C’est précisément le titre du petit livre électoral signé par Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle. Celui qui avait été repéré par Jacques Attali à 29 ans, puis propulsé au secrétariat général de l’Élysée après un passage à la banque d’affaires Rothschild, est devenu en 2017 le plus jeune président de la Vème République. Dans son livre paru quelques mois avant le scrutin, Emmanuel Macron s’attardait souvent sur ce qu’il nommait des « transformations profondes ». Il y désignait une révolution numérique qui chamboulerait nos imaginaires, une révolution écologique censée transformer nos campagnes, et une révolution technologique qui « nous oblige tous ».
« Cette évolution est inévitable », affirmait-t-il, et elle se distinguera par une ouverture accrue des frontières et la création d’une grande structure administrative européenne. Le futur président y disait sa « conviction intime » d’aller dans « le sens de l’Histoire ». Et gare à ceux qui ne voudraient pas « embrasser la modernité » : ce sont des ennemis. « Cette France, républicaine par nature, a des ennemis », terme cité pas moins de quatre fois et désignant notamment les mouvements politiques souverainistes et plus généralement ce qu’il appelle « les conservateurs passéistes ».
« Une nouvelle ère »
La virulence des propos peut étonner mais l’appel à la révolution s’est généralisé depuis longtemps parmi les élites au pouvoir.
En 2015, c’est le banquier d’affaires Mathieu Pigasse, alors responsable mondial des fusions-acquisitions et du conseil aux gouvernements pour la banque Lazard, et actionnaire important du Groupe Le Monde, qui promouvait une réinvention économique et sociétale dans Révolutions .
Plus près de nous, un autre financier antifrontières, le milliardaire George Soros , soutien de premier ordre de l’organisation UNITED qui appuie de nombreux groupuscules anti-identitaires, semblait se réjouir des bouleversements induits par la crise du Covid-19.
En mai 2020, alors que de nombreuses régions du monde venaient tout juste de connaître leurs premiers confinements, il écrivait sur le site élitiste Project-syndicate :
« Déjà avant la pandémie, j’avais réalisé que nous étions dans une période révolutionnaire où les choses impossibles ou même inconcevables en temps normal étaient devenues non seulement possibles, mais probablement absolument nécessaires ».
Période révolutionnaire, ou Révolution à mener ?
Les responsables cités naviguent sans cesse entre les deux notions, faisant souvent passer pour une nécessité historique un monde qu’ils souhaitent voir advenir. Ce mélange des genres assumé est particulièrement visible dans les rapports du Club de Rome, qui passe pour être le précurseur de la communication sur le réchauffement climatique d’origine anthropique.
Le Club, qui n’a jamais caché ses aspirations à la planification mondiale depuis son premier rapport paru en 1972, publiait en 1991 The first global revolution , (« La première révolution mondiale »).
L’URSS était en train de disparaître. La voie était ouverte pour un nouveau monde et on pouvait notamment y lire :
« Dans la recherche d’un nouvel ennemi pour nous unir, nous en sommes arrivés à l’idée que la pollution, la menace du réchauffement climatique, des pénuries d’eau, la famine et ainsi de suite, feraient l’affaire. Tous ces dangers sont causés par l’intervention humaine et ce n’est que par des changements d’attitude et de comportement qu’ils peuvent être surmontés. Le véritable ennemi est alors l’humanité elle-même. »
Reset, l’autre nom de la révolution
Promesse d’une ère nouvelle, revendication du sens de l’histoire, désignation d’ennemis… Cette tournure d’esprit pourrait ressembler à s’y méprendre aux discours révolutionnaires de 1793 ou à ceux des utopies politiques du XXe siècle. Au Forum économique de Davos , on utilise une expression directement empruntée à l’univers informatique pour désigner la révolution : le reset.
Apparu pour la première fois en 2014 à Davos par la voix de Christine Lagarde, alors directrice générale du Fonds monétaire international, repris par le Premier ministre canadien Justin Trudeau dans une vidéo tournée en 2020, le reset a été officiellement annoncé par le fondateur et directeur du Forum, Klaus Schwab , dans un livre paru en juillet 2020 et écrit avec Thierry Malleret : Covid-19 : la Grande réinitialisation . Selon Schwab, la pandémie offrait « une rare mais étroite fenêtre d’opportunité pour réimaginer et réinitialiser notre monde ». Une telle remise à plat économique, sociale et politique, était censée nous mener vers « une nouvelle ère de prospérité ».
Et les auteurs de prévenir :
« Nous sommes à la croisée des chemins : une seule voie nous mènera vers un monde meilleur ».
Le texte renvoyait notamment à l’Agenda 2030 imaginé par les administrateurs du Forum.
« Réingéniérer l’avenir de la vie »
Il y a 7 ans, le fondateur des réunions de Davos avait fait paraître un autre ouvrage qui appelait à une transformation radicale. Dans La Quatrième révolution industrielle , Klaus Schwab y montrait sa fascination pour les nouvelles technologies.
Selon lui, elles n’impliquaient « rien de moins qu’une transformation de l’humanité » et elles aboutiront « à une fusion des technologies des mondes physique, numérique et biologique ». Ces « changements révolutionnaires » pourraient voir « l’unité familiale traditionnelle » être « remplacée par un réseau familial international ». Si le livre abordait diverses mutations possibles, alternant la conjugaison au futur et celle à l’impératif, il ne laissait planer aucun doute sur les velléités messianiques de l’auteur et de ses partenaires : « Nous créerons une véritable civilisation globale ».
L’une des nouvelles têtes pensantes de Davos, Yuval Noah Harari , est encore plus radical dans sa manière d’aborder les sociétés humaines. Ce maitre de conférences à l’université hébraïque de Jérusalem était apparu au grand public en 2014 avec Sapiens , livre qui prétendait présenter « une brève histoire de l’humanité » en quelques centaines de pages. Deux ans plus tard, il assurait pouvoir décrire notre futur dans Homo deus . Mais ce sont dans ses allocutions à Davos et diverses interviews filmées que son matérialisme total et sa pensée eschatologique apparaissent avec éclat. Il y emprunte le même vocabulaire informatique que Klaus Schwab.
Selon l’intellectuel, les êtres humains seraient devenus « des animaux piratables […]. Toute cette idée selon laquelle les humains ont un esprit, une âme, un libre-arbitre, c’est terminé ». Avec la puissance de la donnée électronique, nous pourrions bientôt « réingéniérer l’avenir de la vie […]. Si nous y parvenons vraiment, cela ne sera pas seulement la plus grande révolution dans l’histoire de l’humanité, ce sera la plus grande révolution en biologie depuis le tout début de la vie il y a quatre milliards d’années […]. Après quatre milliards d’années façonnées par la sélection naturelle, nous entrons dans l’ère de la vie inorganique façonnée par l’intelligence ».1
Ce type de citations auraient pu remplir un livre entier. Elles montrent que les esprits révolutionnaires n’ont pas de limites sur le plan intellectuel. Mais dans la pratique, à quoi faut-il s’attendre ? Interview par l’université hébraïque de Jérusalem en 2020. Conférence au Forum de Davos 2018. ↩