Par Claude Robert.
« En France, même les leaders de la droite sont à gauche » disent certains politiciens européens… Comment leur donner tort ? Il faut dire que la transmutation de la droite remonte à loin. Probablement à Jacques Chirac , le premier à avoir viré sa cuti. C’était en février 2007 : « Je suis convaincu que le libéralisme est voué au même échec que le communisme, et qu’il conduira aux mêmes excès. L’un comme l’autre sont des perversions de la pensée humaine » (dans Chirac, l’inconnu de l’Élysée de Pierre Péan, éditions Fayard, cité dans Chevènement.fr).
En comparant le libéralisme à une idéologie ayant semé la mort et la désolation partout où de telles expérimentations ont été tentées, l’ancien président n’y est pas allé de main morte. En réalité, Chirac révèle tout autant son aversion pour le marché libre que sa conversion à une espèce de « troisième voie1« , cette voie bâtarde dans laquelle la France se débat depuis les années 1970 avec les résultats que l’on sait. Un tel aveu est lourd de conséquence car il signe le ralliement au socialisme, ce courant perçu à tort comme un juste milieu entre la barbarie du capitalisme d’antan et les ravages du communisme, alors que le socialisme n’est que l’antichambre de ce dernier.
Alain Juppé , le fils spirituel de Chirac, mettra plus longtemps pour retourner sa veste officiellement, en ne quittant LR qu’en 20172. Mais sa politique keynésienne aux antipodes des réformes libérales et son discours sociétal progressiste au sens tout à fait gauchiste et actuel du terme trahissaient depuis longtemps sa conversion politique3…
Le terrible révélateur de la présidentielle
Beaucoup de reniements remontèrent à la surface en 2017, par la force des choses, lorsqu’il fallut que les leaders dits de droite se prononcent face au bulldozer libéral que représentait le programme présidentiel proposé par le candidat François Fillon tout à coup propulsé gagnant de la primaire. Gênés aux entournures, ces leaders auront laissé entrevoir une belle variété de capitulations. Véritable catharsis imposée en urgence par les faits électoraux (et non par les calculs d’appareils), et donc terriblement spontané, cet épisode électoral s’avère d’une incroyable richesse.
C’est le revirement d’Alain Madelin qui illustre sans doute le mieux l’ampleur de la crise morale qui secoue LR : ex héraut du libéralisme, Madelin soutient Alain Juppé à la primaire mais ne se reporte pas sur Fillon suite à la victoire de celui-ci. Il défend au contraire le programme de Macron4 et déclare après les élections :
« Si François Fillon, qui a sûrement beaucoup mûri, passe pour le plus libéral, c’est hélas parce que son programme est assurément, en matière de purge, le plus abouti […] Voilà qui prête le plus à la caricature d’un libéralisme antisocial […] C’est une erreur au moment où s’ouvre le créneau électoral d’une gauche libérale préparée par l’évolution de nombreux intellectuels… Bien sûr illustrée par le phénomène Macron » (Le Figaro 26/05/17).
Le coup de grâce du second tour
On ne compte plus les leaders de la droite, Fillon compris, qui ont appelé à voter contre Marine Le Pen au second tour de cette présidentielle si chaotique. Plus incroyable encore, certains poussèrent le bouchon très loin, allant jusqu’à déconseiller l’abstention !
« Battre Marine Le Pen » fut le mot d’ordre des sarkozystes, François Baroin et Christian Jacob en tête, et du filloniste Bruno Retailleau. Seuls Laurent Wauquiez et Éric Ciotti ont suggéré de laisser choisir les électeurs entre le vote pour Emmanuel Macron, l’abstention, et le vote blanc, en suggérant un pudique : « Pas une voix pour Marine Le Pen. » Suite à quoi Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-François Copé demandèrent à ce que « l’abstention soit explicitement proscrite » !
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le communiqué final de LR aura donc été celui-ci :
« Face au FN, l’abstention ne peut être un choix. Nous appelons à voter contre Marine Le Pen pour la faire battre au second tour de l’élection présidentielle » (Le Figaro 24/04/2017) !
Un tropisme qui perdure
Il y a quelques mois, l’outing d’Emmanuelle Mignon est venu nous rappeler, non sans ironie d’ailleurs, combien le basculement de la droite dans les bras des socialistes n’était pas terminé. Elle déclare :
« Macron est le meilleur président de droite qu’on ait eu depuis un certain temps » (Le Point 8/06/19).
Pas plus tard que cette semaine, c’est au tour de Frédéric Lefebvre, ancien ministre de Sarkozy, de rejoindre officiellement LREM pour y bâtir une « droite humaniste » (sic)(Le Point, 19/09/19). À croire que la honte de ne pas être socialiste colle à la peau de ces caciques LR.
L’exode à gauche, ou la double imposture
Tout de même, une telle aimantation ne fait-elle pas l’impasse, avec un splendide mépris, sur les électeurs de la droite républicaine ? Ne signifie-t-elle pas l’abandon pur et simple de ses idées ?
– Le mépris du corps électoral de la droite républicaine : les leaders qui basculent les uns après les autres dans le camp adverse ne s’en rendent peut-être pas compte mais ce corps électoral de droite n’a pas disparu pour autant. Il n’est d’ailleurs pas prêt de digérer les arrangements et les reniements de son élite. Sur les réseaux sociaux, dans les conversations, cet électorat ne décolère ni contre la destruction programmée du candidat victorieux à la primaire en 2017 ni contre les ralliements successifs à gauche qui s’opèrent depuis. Au contraire, sous les coups de boutoir étatico-progressistes du gouvernement Macron, son attachement à certaines valeurs sociétales est en train de se racornir…
– L’abandon pur et simple de son identité culturelle : au diable le relativisme, s’il existe encore un véritable système de valeur avec des lignes de démarcation, c’est bien dans le domaine si intime de la politique. De toute évidence, l’électorat de la droite républicaine et celui de la gauche non extrême se différencient fortement sur deux dimensions essentielles : le libéralisme économique d’un côté, et le progressisme sociétal de l’autre. Ce n’est pas que la droite soit libérale, personne ne l’a jamais vraiment été en France. Mais la victoire de Fillon à la primaire n’est pas étrangère à son programme de réformes de même inspiration, tandis que la gauche dans sa très grande majorité5 reste particulièrement revêche à tout ce qui lui rappelle de près ou de loin le capitalisme, la création de richesse et la libre concurrence. Pour preuve, un nombre significatif d’électeurs de gauche est venu soutenir Juppé pendant la primaire de la droite, afin d’éviter la « purge » si décriée…
À l’inverse, la gauche nourrit une très forte appétence pour le progressisme sociétal, et pour ce qui évoque d’une manière générale le droit des minorités culturelles, sexuelles ou religieuses, la laïcité active, l’ouverture des frontières à l’immigration, le refus de stigmatiser l’extrémisme islamique… Or à droite prévaut l’inverse : une espèce de classicisme, de conservatisme cool, de respect de l’art de vivre français aux antipodes de ces souhaits dont elle craint les possibles désagréments.
Cette ligne de partage sur ces deux dimensions essentielles semble se dessiner de la façon suivante (cf mapping).
L’espace politique de la droite bientôt en friche ?
Les élites de LR abandonnent progressivement l’espace situé en haut à droite, au profit de la zone symétriquement opposée, en bas à gauche. À noter également que la distribution des électeurs dans l’espace politique représenté dans ces deux axes n’est pas équiprobable. La zone en haut à gauche, qui combinerait libéralisme économique et libéralisme sociétal est à peu près vierge, tandis que la partie en bas à droite est loin d’être saturée.
Mais loin de songer à investir les zones encore disponibles, la priorité de la droite consiste à reconquérir son espace originel , ne serait-ce que par respect pour son électorat et par opportunisme numérique. Ne pas le faire serait suicidaire.
Mais pourquoi donc LR se laisse-t-il phagocyter ?
Les éminences grises de la droite républicaine sont-elles toutes en train de préparer leurs valises pour rejoindre LREM, ce PS rebrandé à la hâte6 ? Se rendent-elles compte que la politique du gouvernement Macron est d’essence socialiste , avec l’accroissement dévastateur de la pression fiscale et des réglementations, le tout pimenté d’un progressisme sociétal qui n’a rien à voir avec les urgences du pays ? Les élites de LR sont-elles conscientes qu’elles abandonnent tout un pan de l’espace politique au grand dam des électeurs qui y sont attachés ?
Cet exode vers le faux nez socialiste appelé LREM apparaît d’autant plus extravagant qu’il s’avère néfaste . Il ne s’agit donc pas d’un calcul stratégique visant à sortir le pays de son appauvrissement relatif. Il ne s’agit pas non plus de rejoindre un gouvernement au firmament des sondages. Face à une situation aussi étrange, quelques hypothèses peuvent être néanmoins avancées :
– L’idéologie de gauche est tellement répandue et dominante au sein des médias, de l’intelligentsia et de la classe politique que les caciques de la droite éprouvent une honte insurmontable à ne pas y adhérer. Passer pour des libéraux sans cœur leur gâche l’existence.
– Le président Macron possède un tel pouvoir sur la justice et les médias que le rallier apporte une protection certes momentanée mais ô combien confortable à ceux qui sont la cible d’attaques incessantes.
– La haine entre rivaux à LR atteint des sommets surnaturels si bien que chacun fait tout pour qu’aucun ne puisse récupérer le leadership sur le parti, quitte à faire disparaître celui-ci.
– Macron est un autocrate qui a construit une telle emprise sur la classe politique, médiatique et juridique qu’il règnera très longtemps. Mieux vaut le rejoindre plutôt qu’attendre un miracle quasiment impossible au vu de la démocrature actuelle.
– Le libéralisme économique, cet inconnu, ne rencontre pas le moindre écho chez les leaders de LR car ceux-ci n’ont pas une grande culture humaniste, et peut-être encore moins d’attachement aux idées.
– Le déclin est si bien ancré dans les mentalités qu’il est impossible pour un homme normalement constitué de s’atteler à la tâche. Il faut être doté d’un courage sans limite, avoir la capacité d’affronter l’idéologie socialiste ambiante et les compétences suffisantes pour convaincre qu’il n’existe qu’une solution à présent : faire le chemin inverse à l’étatisme et à la privation des libertés.
Au lecteur de se faire une idée…
« La troisième voie est un objet politique non identifié. Jusqu’à sa résurgence dans le débat des années 1990, la notion de troisième voie renvoyait essentiellement à la vulgate sociale-démocrate en matière socio-économique : une voie étroite entre capitalisme marchand et dirigisme étatique, résumée parfois dans l’expression, d’origine allemande, économie sociale de marché » (Encyclopaedia Universalis). ↩ Sans toutefois l’admettre clairement, simplement en ne réglant pas sa cotisation de 2017, puis 2018. ↩ Il faut avoir de ses yeux vus la totalité de son débat sur l’immigration et la laïcité avec Alain Finkielkraut, sorte de grand oral d’un fort en thème de l’ENA. ↩ Programme pourtant jugé déséquilibré par l’IFRAP. ↩ À l’exception des Gracques mais on ne peut pas dire qu’ils soient très connus, même à gauche… ↩ La très grande majorité des élus du gouvernement sont des socialistes. Et les quelques ministres de droite sont des chiraquiens… ↩
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