L’élection de Donald Trump n’a pas fini de susciter des réactions. Complètement déstabilisés, nos médias oscillent entre trois attitudes. Les uns avouent s’être trompés sur les prévisions, mais s’attachent à souligner que « le Donald » s’est après sa victoire assez rapidement rallié au politiquement correct dominateur, saluant son adversaire, rencontrant Obama de manière courtoise, et annonçant déjà des adoucissements dans la politique qu’il entend mener, par exemple, dans la révision de « l’obamacare ». D’autres se réjouissent à l’évidence des manifestations qui se déroulent dans quelques grandes villes américaines pour contester la légitimité du nouveau président. D’autres enfin cherchent dans le paysage politique national qui ressemble le plus à ce « martien » de la politique.
Il faut avoir une ignorance profonde des Etats-Unis pour accorder la moindre importance aux quelques dizaines de milliers de manifestants protestataires dans de grandes cités qui ont largement voté démocrate. Comme leur nom l’indique, les Etats-Unis sont une nation plurielle. Si le nombre des bulletins a été plus important pour Hillary Clinton que pour Donald Trump, la carte des comtés qui sont les unités territoriales du décompte électoral est impressionnante. La plus grande partie du pays est colorée en rouge, la couleur du parti républicain. Sur 3113 comtés, Trump avait gagné dans 2578, et Hillary Clinton dans 451. Si les grands centres urbains ont voté pour elle et lui ont permis de totaliser 200 000 voix de plus que son adversaire, celui-ci l’emporte dans la plus grande partie du territoire. Même dans les pays centralisés, il n’est pas illégitime de compenser le poids démographique des grandes villes par la représentation de l’espace. En dehors de l’élection présidentielle, c’est déjà le cas en France dés l’élection législative. Les députés n’ont pas le même nombre d’électeurs. Aux Etats-Unis, le Président est élu par les Etats fédérés et le vainqueur de 2016 l’a emporté dans 31 Etats sur 50. Présenter ce scrutin comme archaïque n’a pas de sens. Certes, la carte électorale sera modifiée en 2020 pour tenir compte de l’évolution démographique des Etats dont le nombre de grands électeurs changera en conséquence, mais le vote se fera toujours par Etat pour éviter que les grandes conurbations des deux façades maritimes n’aient plus à se soucier de l’Amérique profonde. Le Sénat qui voit chaque Etat, quelque soit sa taille, représenté par deux sénateurs, dans la chambre la plus importante du Congrès, souligne cet esprit constitutionnel lié à l’histoire et à la géographie d’un pays très différent du nôtre.
En revanche, et c’est plus inquiétant, le vote qui a opposé assez nettement deux Amériques, comme les défilés d’aujourd’hui sont l’expression d’une fracture qui se dessine dans beaucoup de grandes démocraties occidentales entre deux parties de la population. La première qui vit dans les secteurs branchés voit avec complaisance croître la mondialisation qui donne le sentiment d’une plus grande liberté économique, physique et mentale. La seconde la ressent comme une menace, pour ses activités et ses emplois, pour son identité culturelle, pour sa sécurité. La première accueille l’immigration avec un sourire parfois naïf. La seconde la perçoit comme un risque qu’il faut endiguer. Prétendre que la première correspondrait aux personnes âgées et peu diplômées contrairement à la seconde, jeune et bien formée, est une simplification que Mme Clinton a exprimée en propos humiliants pour les électeurs de son adversaire. Une journaliste de France 24 commentait par un « toute vérité n’est pas bonne à dire » très révélateur. Il n’est pas sûr que les jeunes étudiants formatés par la pensée unique universitaire, sensibles au matraquage des médias, soient politiquement plus intelligents que les électeurs qui appuient leur vote sur leur expérience concrète et sur leur bon sens. Beaucoup de ces derniers perçoivent un danger mortel dans la dérive d’un système qui leur paraît de plus en plus injuste et suicidaire. Ils contestent une oligarchie qui accumule les privilèges tout en trahissant l’avenir du pays. Les Européens, sur ce plan, ne diffèrent pas des Américains. D’ailleurs nombreux sont les gens « éduqués » mais conformistes qui cachent leur vote lorsqu’ils sont sondés. C’est vrai pour le vote Trump comme pour le Front National en France.
Donald Trump qui est manifestement beaucoup plus intelligent que certains ne le supposaient a bien analysé la situation. Il a utilisé la fracture, mais il ne veut pas l’aggraver. Elle peut conduire à Trump comme à Sanders, chez nous à Marine Le Pen comme à Mélenchon. Elle explique le succès du gauchiste Tsipras à Athènes comme celui du conservateur Orban à Budapest. La réaction est une évidence et une nécessité mais elle peut attaquer le système à droite comme à gauche. Il faut donc pérenniser la victoire conservatrice en lui donnant une dimension sociale, et nationale afin de recréer de l’unité. Le retour de la correction politique ne doit pas être un ralliement à la pensée unique, bien au contraire. C’est ce que nos médias ne semblent pas comprendre parce que, superficiels, ils confondent la forme et le fond. De même, en cherchant la possibilité d’un Trump en Europe ou en France, ils font à nouveau cette erreur. Ce n’est pas la vulgarité qui a plu chez Trump, c’est sa capacité à bousculer le monde politique, lui qui n’est pas un politicien, mais un entrepreneur qui a d’abord réussi dans la société civile en développant son héritage. Difficile de trouver son équivalent dans un pays structurellement socialiste comme la France où beaucoup de prétendus hommes d’affaires sont passés par la case politique, soit en y prenant leur départ, comme l’énarque Macron, soit en recevant le coup de pouce nécessaire, comme l’aventurier Tapie. Le seul qui se rapprocherait du modèle serait l’Italien Berlusconi, avec des résultats pitoyables. En France, on ne pourra donc compter que sur des politiciens décidés à briser un système dont ils sont issus. Cela tient du miracle. Juppé et Hollande sont les gardiens imperturbables du système. Sarkozy prétendra aujourd’hui s’y attaquer en paroles quand on sait qu’il désire surtout s’y installer en fait. Jean-Frédéric Poisson, François Fillon et Marine Le Pen sont parmi ceux qui le contestent avec le plus d’authenticité. Le Premier est celui qui est le plus proche de la droite chrétienne américaine. C’est un « pro-vie ». Le second annonce des réformes économiques qui font de lui un Thatcher modéré et tardif, un exploit de ce côté-ci de la Manche. La Troisième préfigure une sorte d’internationale des patriotismes en soutenant à la fois Poutine et Trump. Dommage qu’ils ne s’entendent pas !