Avez-vous pris votre abonnement 2024 ? Non ! CLIQUEZ ICI !
Ou alors participez avec un DON


Découvrez des pages au hasard de l’Encyclo ou de Docu PN
A compter du 25 mai 2018, les instructions européennes sur la vie privée et le caractère personnel de vos données s’appliquent. En savoir +..

Ukraine : la diabolisation des anti-guerres

, par  Finn Andreen , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Certains thèmes dans la société occidentale sont difficiles à remettre en question sans courir le risque de recevoir des vives critiques. Par exemple, pour les thèmes suivants, il existe un position considérée correcte par l’opinion publique : « l’État social », « la politique climatique », « la société multiculturelle », ou « la vaccination anti-covid ». La position à adopter socialement sur ces sujets a été donnée d’innombrables fois par les médias ; il est sous-entendu qu’aucune analyse critique préalable est nécessaire au niveau individuel.

Cette liste n’est pas figée ; certains thèmes deviennent actuels, d’autres perdent de l’importance avec le temps. Ces dernières années deux nouveaux thèmes sont apparus : « la Russie autoritaire » et « la Chine communiste », car ces pays sont considérés comme des rivaux stratégiques par les élites occidentales . Une étude récente montre par exemple qu’en très peu de temps le pourcentage d’Américains ayant une vue négative de la Chine a augmenté dramatiquement, de 46 % à 67 %. Ce n’est pas une coïncidence, sinon le résultat d’une stratégie de communication médiatique.

La diabolisation des anti-guerres

En ce qui concerne la Russie , l’attitude correcte à avoir en Occident, surtout depuis le 24 février 2022 est ni plus ni moins une condamnation absolue de ce pays. Le soutien à l’Ukraine doit être complet, confirmé socialement par exemple par un petit drapeau bleu et jaune sur le profil Facebook. Un soutien sans conditions à la guerre économique lancée par les dirigeants occidentaux contre la Russie est aussi de bon ton pour les Européens, alors qu’ils seront les premiers à en souffrir.

C’est pour cela que le rapport d’Amnesty International du 4 août 2022, qui confirme que « les forces ukrainiennes ont mis en danger des civils et violé les lois de la guerre en opérant dans des zones habitées » fut une bombe médiatique, non seulement en Ukraine mais aussi en Occident . Ce rapport dérange car il n’est pas en ligne avec l’opinion collective manichéenne qui consiste à voir la Russie comme un agresseur criminel et l’Ukraine comme une innocente victime.

Ceux qui n’adoptent pas la bonne position sur le conflit en Ukraine sont souvent accusés d’être pro-russes, même s’il ne s’agit que d’une position plus sobre et plus objective que ce qui est habituel, prenant en compte l’histoire et le comportement récents des différents protagonistes.

En effet, les médias occidentaux n’ont pas réagi quand, le 14 juillet 2022, le gouvernement ukrainien a publié une liste noire de politiciens, d’universitaires, et d’activistes occidentaux qui, selon Kiev, « font la promotion de la propagande russe« . Cette liste comprend des intellectuels et politiciens occidentaux de renom, tels le sénateur républicain Rand Paul , l’ancienne députée démocrate Tulsi Gabbard , l’analyste militaire et géopolitique Edward N. Luttwak, le politologue réaliste John Mearsheimer et le journaliste indépendant maintes fois récompensé, Glenn Greenwald .

Cette liste noire ukrainienne n’a pas provoqué de vives réactions car les médias occidentaux sont déjà en accord avec sa conclusion : les personnes sur cette liste sont déjà critiquées dans leurs propres pays parce qu’elles n’adoptent pas la position pro-ukrainienne demandée. D’ailleurs, est-ce que le gouvernement ukrainien aurait oser publier une telle liste si elle n’avait pas eu l’accord préalable des centres de pouvoir occidentaux ?

Certains Français se trouvent aussi sur cette liste. De plus, en France, des politiciens comme Jean-Luc Mélenchon ont également été critiqués pour des positions jugées pro-russes car ils n’ont pas exprimé leur soutien inconditionnel à l’Ukraine, mais plutôt proposé des conditions pour la paix.

En effet, la position de la plupart de ces personnes critiquées n’est pas du tout pro-russe, mais pro-paix. C’est une position anti-guerre réaliste, celle qui essaie de comprendre les actions des parties impliqués (l’Occident, l’Ukraine et la Russie) et qui consiste à soutenir une politique occidentale menant à un cessez-le-feu, dans le but d’épargner autant de vies ukrainiennes que possible.

La formation de l’opinion collective

Ce qui se passe dans le cas de l’attitude envers la Russie, ainsi que pour les autres thèmes évoqués ci-dessus n’a rien de surprenant ou de nouveau.

Dans son chef-œuvre De la Liberté (1859), John Stuart Mill avertit des dangers de l’« opinion collective » que la « tyrannie de la majorité » sous forme « des opinions et des sentiments dominants que la société essaie d’imposer  » sur une minorité. La majorité est naturellement intolérante au non-conformisme, car penser comme tout le monde donne un confort psychologique et renforce les liens sociaux.

Alors que la société dépend de l’opinion collective pour sa cohésion sociale, pour autant, paradoxalement elle dépend aussi pour son bien-être de points de vue allant à l’encontre de cette opinion majoritaire. De la même manière que les sciences naturelles ne progressent que grâce à l’évaluation critique par les pairs, parfois tortueuse mais généralement respectueuse, la société a aussi besoin d’opinions minoritaires et de voix discordantes pour freiner la recherche permanente de consensus de la part de majorité.

Mais il faut aller plus loin.

Sans une compréhension plus profonde de l’idée de Mill, que cette opinion collective peut être contrôlée, ces opinions minoritaires ont tendance à s’étouffer. Heureusement, cette compréhension existe aujourd’hui. À l’« opinion collective » de Mill, sont venus s’ajouter des concepts sociologiques fondamentaux, tels que la « psychologie des foules » de Gustave Le Bon (1895), la « formule politique » de Gaetano Mosca (1923), « la propagande » de Edward Bernays (1928), les « intellectuels » de F. A. Hayek (1949), la « banalité du mal », de Hannah Arendt (1963), la « fabrication du consentement » de Chomsky et Herman (1988), et récemment la « formation de masse » de Matthias Desmet .

Ces progrès ne laissent plus aucun doute sur la volonté et la capacité des élites politiques et financières occidentales de former et diriger l’opinion collective grâce au contrôle qu’elles exercent explicitement et implicitement sur les rédactions des médias traditionnels et sur les réseaux sociaux. L’élaboration des attitudes à adopter par la majorité des populations de l’Ouest sur les thèmes mentionnés au début de cet article, est le fruit de stratégies plus ou moins réfléchies et cohérentes de ces groupes dirigeants. La diabolisation des anti-guerres et de la Russie est un exemple typique de leur influence démesurée sur l’opinion publique occidentale.

Le libéralisme comme seul remède

La globalisation politique en cours depuis plusieurs décennies a comme effet d’aligner les centres de pouvoir nationaux et de progressivement déplacer le pouvoir politique et économique occidental vers les institutions étatiques et financières supranationales. Cette centralisation du pouvoir politique, et la concentration économique des groupes médiatiques qui s’ensuit, facilitent la formation de l’opinion publique par les élites occidentales.

Le libéralisme est la philosophie politique , qui théoriquement est la mieux placée pour résoudre cette difficulté de la société moderne, car elle préconise une réduction significative et définitive du pouvoir politique, tant au niveau national qu’international.

Une des forces du libéralisme est justement l’importance qu’elle place dans la pluralité culturelle et intellectuelle d’une société libre. C’est ce que le libéralisme anglosaxon appelle le « marketplace of ideas » qui, comme le libre marché économique, ne peut qu’être partiel avec le capitalisme de connivence et l’intervention étatique exacerbés que connaissent la plupart des sociétés occidentales aujourd’hui. Dans une société libérale, c’est-à-dire une société fortement décentralisée, avec un État ayant un rôle tout au plus purement régalien , la formation de l’opinion publique devient donc impossible.

L’époque actuelle est unique car les élites dirigeantes ont une possibilité sans précédent de former les attitudes et les opinions de leurs sociétés dans leur propre intérêt. En même temps, et pour la première fois, l’accès facile par le grand public à des analyses alternatives et des informations indépendantes lui donne un remède qui n’existait pas auparavant. Dans ces conditions sociales, les voix libérales occidentales doivent continuer à présenter le libéralisme non seulement comme une optimisation urgente et nécessaire de l’utilité économique, mais aussi comme un moyen de libérer les peuples occidentaux des fers de l’opinion collective dirigée. 2.13.0.0

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/0...