FH : Selon ma conception citoyenne de la transparence, un gouvernement doit être comme la Légion étrangère : on ne vous demande rien quand vous arrivez et on oublie tout. C’est ça, le droit à l’oubli à la française, ça fait partie de nos traditions politiques et il faut garder des traditions, les Français y tiennent. Par contre je suis intransigeant sur un point, et je le dis aux ministres « les yeux dans les yeux » : ne vous faites pas choper par Médiapart en plein exercice de votre mandat. Je ne peux pas passer mon temps précieux à couvrir tous les maladroits comme MM. Thévenoud et Cahuzac, pour ne citer qu’eux.
En ce qui concerne M. Placé, comme il a effectué les paiements réclamés, je ne vois pas ce qu’on peut lui demander de plus. Vous vous rappelez sans doute qu’il s’est fait
prendre en photo avec une poule pour une campagne de publicité contre le sexisme. C’est tout à fait le genre de talents que je recherche et dont la France a besoin : la poule est représentative de la biodiversité que je souhaite encourager à tous les niveaux, j’ai même créé un secrétariat d’Etat pour cela, et la campagne contre le sexisme, c’est l’égalité réelle en action.
DB : Une autre arrivée remarquée est celle de Jean-Marc Ayrault. Du poste de premier ministre vous le virâtes, et le voilà maintenant n°2 du gouvernement comme ministre des Affaires étrangères. A l’Assemblée nationale, on l’avait plutôt entendu sur des questions de fiscalité purement intérieures.
FH : Justement, pour la fiscalité j’ai déjà Sapin, auquel je fais toute confiance. Avec Ségolène, on se félicite tous les jours d’avoir suivi ses conseils pour notre patrimoine. Jean-Marc a une expérience gouvernementale énorme : le « Mariage pour Tous », qui est la réforme dont je suis le plus fier, car là aussi c’est l’égalité réelle en action, s’est concrétisé sous son gouvernement. De plus, il apportera sa voix en faveur de la construction de l’aéroport Notre-Dame des Landes, et surtout il parle allemand. Pour discuter avec Mme Merkel, c’est pratique.
J’aurais bien nommé un jeune ministre à ce poste car mon engagement pour les jeunes est toujours intact depuis 2012. Mais il faut bien constater que l’apprentissage de l’allemand se perd. J’en ai touché deux mots à la ministre de l’Education nationale, mais elle prétend que ça ne correspond pas du tout aux réformes que nous mettons en place au collège. « L’éducation pour Tous » suppose l’abandon de tout élitisme, et, assez curieusement pour qui connait Jean-Marc aussi bien que moi, l’allemand ferait partie de ces matières bourgeoises qui ruinent l’égalité réelle.
DP : Cette idée d’égalité réelle semble vous tenir à coeur. Vous avez d’ailleurs créé un secrétariat d’Etat pour cela. Pourquoi « réelle » ?
FH : L’égalité sèche, c’est un concept trop philosophique. Par contre avec l’égalité réelle, on entre dans le concret, dans la vraie vie. Les Français veulent du réel, je les comprends et je leur en donne, au moins dans le vocabulaire.
L’égalité réelle, c’est ce qui permet de se conformer aux exigences de l’Union européenne, c’est ce qui permet de suivre l’évolution du monde, tout en conservant les idéaux de notre modèle social.
L’égalité réelle, c’est ma façon de ré-enchanter le rêve français après les politiques d’austérité que je suis obligé de mener, et c’est surtout une excellente méthode pour ré-enchanter le rêve socialiste.
L’arrivée d’Emmanuel Macron dans le premier gouvernement Valls a eu un très bon effet sur nos partenaires européens, mais ça a jeté un froid chez mes amis socialistes. Dans ce gouvernement-ci, par souci de cohérence, j’ai dû le rétrograder. Vous savez, les socialistes sont assez simples à contenter : donnez-leur de l’égalité à tour de bras, supprimez les têtes qui dépassent, faites payer les riches, parlez des pauvres la main sur le coeur à la façon de Martine Aubry, et, depuis quelques temps, jurez que vous ferez tout pour sauver la planète. Je ne le dis qu’à vous, et j’espère vraiment que les socialistes ne m’écouteront pas, m’écoutent-ils encore ?, mais l’égalité réelle, c’est de l’égalité triple épaisseur ajustée spécialement pour eux.
GP : A propos des socialistes, que pensez-vous de cette idée de primaire à gauche qui commence à émerger ? A vous entendre, ils semblent faciles à manoeuvrer, et pourtant vous avez dû affronter les députés frondeurs sur à peu près toutes vos réformes économiques. Votre projet de déchéance de la nationalité pour les terroristes
a écartelé votre camp encore un peu plus. Maintenant, c’est votre statut de candidat naturel qui est remis en cause.
FH : Comme je vous le disais, je n’ai pour l’instant qu’une seule mission : diriger le pays et montrer aux Français qu’il est tenu. Si vous analysez les résultats du vote des députés sur la déchéance de la nationalité, vous constaterez que ce texte a non seulement été voté par 3/5ème des députés, mais qu’il en a été ainsi aussi bien à gauche qu’à droite. Je considère qu’aujourd’hui je suis le seul à pouvoir rassembler une telle majorité sur ma gauche comme sur ma droite.
Je vais encore lancer des réformes, celle du marché du travail par exemple. Il y aura de la souplesse, les entreprises et la droite vont aimer. Mais il y aura aussi de la sécurité car je vais initier le compte personnalisé d’activité qui inclura aussi bien la formation que la pénibilité, et là les syndicats vont aimer car ils raffolent de tout ce qui complique la vie des entreprises. Vous verrez que sous peu ma candidature sera inéluctable aux yeux de tous. Je me demande même si les autres partis jugeront utile de présenter des candidats contre moi.
DB : Vous semblez très sûr de vous. Pourtant les résultats économiques se font attendre et l’environnement international est très incertain.
FH : Ce qui me motive, c’est l’intérêt du pays et l’intérêt des Français que j’ai le devoir de protéger coûte que coûte. Oui, il y a encore trop de chômage, et j’aimerais que l’on avance beaucoup plus vite sur ce sujet. Mais il y a des règles à respecter, des règles démocratiques. Que dirait-on si tout allait trop vite et si je passais outre nos lois et nos textes constitutionnels ? Personne n’est plus attaché aux principes démocratiques que moi. La preuve, c’est que je m’efforce au contraire de tout inscrire dans la Constitution, afin de toujours me trouver en règle avec tout, quoi que je fasse. Laurent Fabius ne m’a pas demandé la Présidence du Conseil constitutionnel pour rien. Il savait que dorénavant son rôle de contrôle serait de pure forme. Un comité Théodule de plus, en quelque sorte, et ce sont les moins dangereux.
GP : Votre premier ministre Manuel Valls a succédé à Jean-marc Ayrault après
la défaite de la gauche aux Municipales de 2014. Or il a essuyé une défaite aux élections européennes de juin 2014, une autre aux Départementales de 2015 et une dernière aux Régionales de décembre 2015 alors que vous jouissiez d’un regain de popularité après les attentats de novembre. Comment se fait-il que vous l’ayez reconduit dans ses fonctions ?
FH : Rien ne m’est plus étranger que les petits calculs politiciens. Les résultats aux élections sont une chose,
le travail des ministres en est une autre. Il serait quand même terriblement injuste de ma part de remercier les ministres loyaux parce que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Or Manuel Valls fait partie de ceux qui pensent que je suis le candidat naturel de la gauche. C’est une qualité qui vaut mille réussites. De plus, il se distingue par son exigence sans concession à l’égard de l’égalité réelle. Il n’a de cesse de
pourfendre le Front national et de
s’attaquer au racisme partout où il se trouve, c’est-à-dire partout. Avec Jean-Marc en position de second, j’ai là un tandem particulièrement efficace, mi-
dinosaure, mi-
dynamite, qui va me permettre de réaliser le changement de décor idéal pour me mettre en valeur à la fin de mon mandat : « Entre ceux qui ne veulent rien faire (les dinosaures) et ceux qui veulent tout défaire (la dynamite), moi, Meilleur Ouvrier de France spécialisé en flan politique, je vais bien faire. » C’est le nouveau slogan de ma Présidence.