Par Gabrielle Légeret.1
Les entreprises artisanales et industrielles sont sur le fil en matière de recrutement. Pour y remédier, il devient impératif de retisser, dès le collège, des liens entre les programmes scolaires et les pratiques manuelles afin de mieux valoriser l’intelligence de la main et espérer susciter des vocations.
En France, en 2021, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB est tombée à 9 % quand elle est de 19 % en Allemagne .2 Tandis que le discours politique insiste sur les enjeux de relocalisation, le retard pris en quelques décennies en matière de vocations et de formations des métiers manuels pénalise aujourd’hui tout un pan de l’économie. Faute de vocation, faute de transmission. D’ici 10 ans ce sont près de 300 000 entreprises artisanales qui devraient être à reprendre .
Au sein du système éducatif, tout a été fait pour rompre le lien entre les apprentissages et la pratique de la main. L’enseignement technique et manuel (ENT) où l’on faisait faire de la mécanique aux garçons et de la cuisine aux filles a peu à peu disparu du paysage scolaire. Voies de garage, filières moins prestigieuses réservées aux élèves peu scolaires : les filières manuelles sont réservées à ceux qui ne seraient pas aptes à suivre un cursus intellectuel. La supériorité du cérébral sur le manuel s’est imposée. Par conséquent, le collège unique poussé à son paroxysme ne semble valoriser qu’une seule forme d’intelligence et qu’une seule façon de réussir : celle des études supérieures. Ce sont des millions de jeunes que l’on prive d’exprimer leurs talents et leur potentiel autrement.
La technologie, dernier lieu d’expérimentation de la matière, supprimée en sixième
La suppression de la technologie en classe de sixième est un signal qui laisse entendre que cette matière serait accessoire.
Pourtant, cette discipline était pensée comme « une démarche inductive où la fabrication est prétexte à la découverte des lois physiques qui déterminent le fonctionnement des objets ».3 Si cette heure hebdomadaire avait troqué une grande partie de ses cours de soudure ou d’électricité pour ceux de l’informatique, elle demeurait le dernier lieu du collège où les élèves pouvaient expérimenter la matière.
La pratique artisanale pour révéler les talents
Aujourd’hui, comment donner envie à la jeunesse de choisir des filières manuelles si aucun temps ne leur permet de se confronter au plaisir de faire avec ses mains ?
Depuis deux ans, l’association De l’or dans les mains déploie au sein des collèges des programmes de pratique artisanale avec des professionnels : tracer les contours du patron de son jean avec une couturière grâce à son cours de géométrie, préparer la composition de sa pâte à céramique grâce au dernier chapitre de Sciences de la Vie et de la Terre, construire son cadre photo en bois avec un compagnon ébéniste grâce aux mathématiques, monter et démonter un mécanisme de pendule avec un horloger.
C’est phénoménal de voir ces jeunes prendre confiance en eux en découvrant qu’ils ont le pouvoir de faire avec leurs mains et avec leur tête. Ce format permet à la fois aux jeunes de prendre conscience des ressources territoriales à proximité de chez eux, de créer des liens avec d’autres disciplines avec lesquelles ils pourraient être fâchés et d’encourager les enseignants à aborder certains chapitres de leurs programmes scolaires à travers la pratique et la manipulation.
Valoriser d’autres formes d’intelligences
Réintégrer la pratique artisanale au sein des programmes scolaires, c’est aussi montrer à la jeunesse qu’il existe différentes formes d’intelligences, de parcours et de réussites.
« Faire intervenir des artisans de leur territoire permet aux jeunes d’entendre des témoignages de professionnels auxquels ils peuvent s’identifier, et de transformer leurs représentations de la réussite » raconte Marc Petit, proviseur d’un collège du Loiret, et partenaire de l’association De l’or dans les mains. À l’instar de cette association, plusieurs acteurs comme L’Outil en main , le dispositif À la découverte des métiers d’art de l’Institut national des métiers d’art ou le programme Manufacto d’Hermès proposent des actions concrètes pour permettre aux jeunes de découvrir ces métiers par la pratique.
Lorsque l’on sait que ces moments d’expérimentation de la matière peuvent déterminer tout une existence et la confiance des jeunes en eux-mêmes, on ne peut qu’appeler à leur systématisation au sein de tous les collèges du territoire.
Article mis à jour le 25/02/2023 à 12h. Présidente de l’association De l’or dans les mains ↩ Les Échos , La part de l’industrie manufacturière dans le PIB in Une industrie européenne fragilisée par de multiples chocs, Guillaume de Calignon, publié le 1er février 2023 ↩ Circulaire du 7 septembre 1962 qui a pour objet l’Enseignement de la technologie (BO du 17-9-62), complétée par les instructions du 1er juillet 1963 « Enseignement de la technologie dans les classes de quatrième et de troisième modernes » (BO du 11-7-63). ↩