La couverture médiatique du G20 a été dominée par des sujets brûlants comme l’Ukraine et Taïwan . Mais une initiative intéressante est passée presque inaperçue : les plus grandes nations tropicales ont formé une triple alliance pour sauver leurs forêts.
Les trois nations abritant l’essentiel des forêts tropicales du globe, le Brésil, la République démocratique du Congo et l’Indonésie , qui représentent à elles trois 52 % de la forêt tropicale de la planète, ont officiellement lancé, lundi 14 novembre, un partenariat visant à coopérer à la préservation des forêts après une décennie de pourparlers.
Dans cet accord, l’alliance indique que les pays devraient être incités à réduire la déforestation et à préserver leur biodiversité. Bien que cette annonce soit prometteuse, nous verrons comment celle-ci se traduit dans les actes.
L’Union européenne contre la déforestation
Plus près de nous, Bruxelles s’emploie également à sauver les forêts tropicales mais son effort réglementaire méticuleux semble avoir un effet inverse : la proposition de règlement de l’Union européenne (UE) sur la déforestation est un pas dans la bonne direction mais son enjambée est trop courte. À moins qu’il s’agisse plutôt de plusieurs pas dans une direction qui pourrait tout simplement ne pas être la meilleure.
Commençons par mettre au clair certains faits concernant la déforestation.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le taux de déforestation entre 2010 et 2020 était inférieur de 40 % à celui de 1990-2000. Malgré des reculs occasionnels, la déforestation mondiale continuant à diminuer, la déforestation nette mondiale deviendra très probablement la norme dans les prochaines décennies.
Il n’en reste pas moins qu’à l’échelle mondiale, le monde continue de perdre des zones forestières. Chaque année, nous déboisons environ dix millions d’hectares de forêt dans le monde. Cela représente une superficie équivalente à celle du Portugal. La moitié environ de cette déforestation est compensée par la repousse des forêts, de sorte que nous perdons globalement environ cinq millions d’hectares chaque année. La quasi-totalité (95 %) de cette déforestation se produit sous les tropiques.
La deuxième partie tant attendue de la COP15 en décembre prochain, qui est la suite de la conférence des Nations Unies sur la biodiversité d’octobre 2021, a mis le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sous pression pour finaliser le projet de règlement sur la déforestation qui avait été annoncé pour la première fois le 17 novembre 2021.
Pour résumer, la nouvelle réglementation rendrait obligatoire pour toute entreprise vendant des biens dans l’Union européenne de vérifier que ces biens n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées.
En d’autres termes, le règlement vise à interdire l’utilisation de certains produits de base associés à la déforestation à l’échelle internationale.
La Commission européenne avait initialement proposé six produits de base qui, ainsi que leurs produits dérivés, seraient concernés par le règlement : bois, huile de palme, bétail, café, soja et cacao. Le Conseil de l’Union s’est rangé à l’avis de la Commission. Mais le Parlement veut aller plus loin en ajoutant le maïs, le caoutchouc, la volaille, le porc, la viande de chèvre et le charbon de bois.
Bien entendu, tout élargissement de la liste des produits de base entraînera l’inclusion directe ou indirecte de beaucoup plus d’industries dans les dispositions du règlement. Déjà dans sa version initiale, le champ d’application s’étend à divers secteurs tels que l’alimentation, l’habillement, la chimie, la pharmacie et les cosmétiques ainsi que les énergies renouvelables.
Plus inquiétant : il n’y a eu jusqu’à présent qu’un accord limité sur la définition de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les trilogues, cette dernière expression n’étant pas reconnue au niveau international et donc controversée. De nombreux pays nordiques sont particulièrement préoccupés par la volonté du Parlement d’inclure la conversion d’une forêt en une forêt de plantation dans la définition de la déforestation car les forêts de plantation jouent un rôle important dans leurs économies et toute tentative de classer une forêt de plantation comme contribuant à la déforestation aurait un impact particulièrement important pour ces États membres.
Les trois institutions (Parlement, Commission et Conseil) sont toutefois d’accord pour obliger à ce que les entreprises fournissent l’emplacement exact de la parcelle de terrain d’où elles s’approvisionnent en marchandises, bien que les représentants de l’industrie européenne continuent d’être fortement préoccupés par ces exigences au motif que cette information serait trop difficile à obtenir.
En ce qui concerne les sanctions, le Conseil et la Commission sont favorables à une amende d’au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise ou de l’opérateur dans l’État membre concerné, tandis que les députés européens veulent porter cette amende à au moins 8 % des revenus annuels d’une entreprise dans l’UE tout entière.
Comme vous pouvez commencer à le comprendre, bien que bien intentionnée, la lutte de l’Union européenne contre la déforestation revient à essayer d’utiliser un chalutier pour pêcher des têtards épars, sans savoir exactement comment définir ce qu’est un têtard et sans penser à l’impact du chalut sur l’environnement.
Une coordination nécessaire
La déforestation étant réelle et constituant une externalité négative, il est judicieux d’essayer d’y remédier en internalisant son coût. Les produits que nous consommons en Europe devraient être soumis à des normes élevées en matière de durabilité.
Mais au lieu d’essayer d’imposer des barrières non tarifaires aux produits importés, l’UE pourrait travailler avec les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est à la reconnaissance mutuelle de certaines de leurs meilleures normes afin que leurs efforts en matière de durabilité puissent être acceptés par la législation européenne.
Pour l’UE, la reconnaissance d’autres systèmes de certification présente de nombreux avantages.
Si l’on prend l’exemple de l’huile de palme, en 2021, l’UE a importé pour 6,3 milliards d’euros d’huile de palme et de produits à base d’huile de palme, la plupart utilisés pour les biocarburants. L’Indonésie et la Malaisie représentaient respectivement 44,6 % et 25,2 % de ces importations.
La norme ISPO (Indonesian Sustainable Palm Oil) est le système de certification de l’Indonésie lancé en 2009 pour encourager les plantations de palmiers à huile à rendre leurs activités plus durables. La certification ISPO est obligatoire pour les entreprises d’huile de palme opérant en Indonésie, contrairement aux certifications volontaires disponibles auprès de l’organisme de réglementation pionnier du secteur, la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO).
En termes de certification, force est de constater que l’ISPO est assez complète : elle vise à minimiser ou à atténuer les impacts négatifs de la production d’huile de palme sur l’environnement et les communautés.
Elle exige des producteurs de : veiller à ce que leur chaîne d’approvisionnement soit exempte de déforestation, de développement des tourbières ou d’exploitation des travailleurs ; préserver les zones de conservation ; minimiser les perturbations de l’habitat de la faune et de la flore sauvages ; réduire les émissions de gaz à effet de serre ; adopter les meilleures pratiques en matière de biodiversité ; protéger les ressources en eau ; respecter les coutumes et les traditions locales ; maintenir de bonnes pratiques d’utilisation des terres ; protéger les droits des travailleurs ; se conformer aux lois nationales relatives à l’acquisition de terres et aux compensations en cas de relocalisation.
En outre, la norme ISPO offre la possibilité à 2,6 millions de petits exploitants en Indonésie d’être certifiés selon cette norme nationale qui aide le pays à atteindre ses objectifs de développement durable. Les zones certifiées ISPO produisent près de 40 % de l’huile de palme mondiale.
L’acceptation de la certification ISPO par l’UE serait une bonne chose pour les importateurs européens d’huile de palme car elle leur offrirait davantage d’options, créant ainsi un marché concurrentiel capable de répondre à la demande tout en maintenant des prix bas. En effet, la multiplication des systèmes de certification favorise un environnement plus propice à l’innovation dans le secteur. Au final, la reconnaissance mutuelle éviterait des coûts supplémentaires pour les entreprises et des hausses de prix pour les consommateurs.
La racine du problème
Au cours de l’été 2019, plusieurs grands incendies ont éclaté dans la forêt tropicale amazonienne.
La forêt tropicale sert de piège à dioxyde de carbone géant, retirant le CO2 de l’air et le transformant en ressource naturelle mondiale. Mais la forêt tropicale est menacée par la déforestation par brûlis pour l’exploitation forestière et l’agriculture. Non seulement la déforestation par brûlis réduit l’étendue de ce piège à CO2 mais elle augmente elle-même les émissions de dioxyde de carbone. Elle déclenche également des feux de forêt et serait à l’origine des incendies de 2019.
Emmanuel Macron a plaidé en faveur d’une stratégie coercitive. Il a menacé d’opposer son veto à un accord commercial entre la France et le Brésil (et plusieurs autres nations) si les incendies n’étaient pas stoppés.
Mais est-il éthique de menacer les pays pauvres (le PIB par habitant du Brésil représente un quart de celui de la France) de sanctions économiques s’ils ne cessent pas de nuire à l’environnement dans leur quête de meilleures conditions socio-économiques ? N’oubliez pas que les pays développés qui profèrent ces menaces ont bâti leur richesse en partie grâce à l’utilisation massive de combustibles fossiles.
Et qu’en est-il de l’efficacité de cette méthode coercitive ? Bien sûr, la France est un partenaire commercial important mais elle n’est guère le seul partenaire potentiel. La Chine ne semble pas préoccupée par la déforestation du Brésil et pourrait simplement remplacer la France en tant que partenaire commercial.
Ce qui peut être dit pour le Brésil peut l’être pour d’autres pays et régions. Que l’approche soit bilatérale ou régionale, les négociations commerciales de l’UE avec les pays d’Asie du Sud-Est par exemple ont été un test de patience diplomatique.
A contrario, les pays d’Asie du Sud-Est les plus ouverts et pragmatiques ont signé au moins vingt accords de libre-échange, y compris des accords réputés impossibles à signer comme ceux conclus avec la Chine, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et l’Accord de partenariat transpacifique (CPTPP), cela en se concentrant strictement sur ce qui est véritablement réalisable.
À l’inverse, l’Europe est en quête de grandes avancées et tente de changer une zone Asie-Pacifique – l’espace au centre du commerce mondial – que les décideurs politiques n’ont pas toujours eu la curiosité ou la patience de comprendre. À cet égard, l’Europe reste une idéaliste, une romantique, partant souvent à la conquête de l’impossible.
Quid de l’impact social ?
Il ne s’agit pas seulement d’économie ou de diplomatie.
De nombreux produits de base comme le café, le cacao et l’huile de palme sont cultivés par de petits exploitants. Le règlement européen sur la déforestation pourrait les exclure complètement des chaînes d’approvisionnement mondiales car ils n’ont pas les moyens de satisfaire aux exigences coûteuses de l’UE en matière de traçabilité.
Cette hypothèse n’en est même plus vraiment une. Par exemple, Unilever a fixé des conditions similaires à celles contenues dans la réglementation déforestation à ses chaînes d’approvisionnement et a admis qu’elle avait ainsi exclu les petits exploitants, avec des conséquences socio-économiques négatives. Désormais, toutes les entreprises pourraient être contraintes de faire de même.
Il s’agit d’un impact social négatif massif pour des millions de familles en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Et ce serait le résultat indirect de ce texte européen. Pourquoi cela n’a-t-il pas été pris en compte ? Pourquoi ne pas créer des exemptions ? Les opportunités économiques sont l’élément le plus important pour réduire le niveau de pauvreté et ces produits de base sont une source majeure de croissance pour les populations pauvres du monde entier. Rien qu’en Indonésie, plus de quatre millions de familles gagnent leur vie grâce à la culture de l’huile de palme, par exemple.
Conclusion
La politique climatique actuelle est paradoxalement marquée par une grande insularité : la plupart des pays se concentrent sur leurs propres émissions de carbone plutôt que sur les émissions mondiales.
S’il est louable d’essayer d’internaliser toutes les externalités négatives, cela n’empêcherait pas la déforestation de se poursuivre car les pays producteurs fautifs se tourneraient vers des pays consommateurs moins exigeants.
Au lieu de fermer sa porte et de perdre ainsi son influence, il serait préférable que l’UE poursuive sa démarche vertueuse en reconnaissant les efforts et les normes qui vont résolument dans la bonne direction.