Il y a quelques jours encore le Rassemblement national éprouvait de sérieuses difficultés à financer la campagne de Marine Le Pen qui se présente pour la troisième fois à l’élection présidentielle. Après avoir essuyé de nombreux refus de la part des banques françaises, une banque hongroise vient tout juste de lui porter secours en lui accordant un prêt de 10,6 millions d’euros .
Son nom n’a pas été communiqué, par respect d’une « clause de confidentialité ». La direction du Rassemblement national refuse de répondre à la question de savoir si Viktor Orban, Premier ministre de la Hongrie, a pu jouer le rôle de facilitateur dans l’obtention de ce prêt trois mois après avoir reçu madame Le Pen en grandes pompes.
Un financement qui pose question
C’est la deuxième fois que le RN reçoit des subsides émanant de pays aux régimes autoritaires.
En 2014, pour les élections régionales et départementales, le parti avait eu recours à un prêt russe de 9,14 millions d’euros contracté auprès de la First Czech-Russian Bank (FCRB). En 2016, celle-ci l’a revendu à Aviazapchast, une firme aéronautique dirigée par d’anciens gradés de l’armée rouge. Le Rassemblement est toujours en train de le rembourser, suivant un rééchelonnement obtenu en 2020 auprès de ses créanciers.
Il n’est pas neutre que dans une démocratie le financement de la vie politique émane d’institutions étrangères. On est donc fondé à se demander pourquoi c’est toujours de « démocratures » que le RN reçoit toujours de l’argent.
Un premier élément de réponse est que les banques françaises sont actuellement peu enclines à apporter leur concours à un parti comme le RN pour des raisons de solvabilité (il est encore très endetté) et pour ne pas compromettre leur réputation, celle du RN restant sulfureuse.
En outre, depuis 2017, la loi française interdit de solliciter des banques situées hors de l’Union européenne, ce qui exclut les établissements dans les démocraties anglo-saxonnes.
Une proximité idéologique
Mais si aucune banque n’a répondu positivement aux demandes du parti à la flamme, sauf un établissement russe puis un établissement hongrois, d’autres raisons plus dérangeantes viennent à l’esprit.
La première tient à une proximité idéologique évidente : comme d’autres, les leaders du RN, excédés par le politiquement correct, sont fascinés par l’aura de personnages comme Poutine ou Orban qui incarnent sans complexe un nationalisme exacerbé, la défense d’une certaine conception des valeurs chrétiennes, la lutte contre l’islamisme et le culte de l’autorité.
« Changer l’UE de l’intérieur »
Ces positions se déclinent sur le plan politique.
L’intérêt de la Hongrie de Viktor Orban est d’affaiblir Bruxelles en trouvant un allié pour lutter contre l’État de droit que prétendent imposer les institutions de l’UE au nom des droits de l’Homme. Mise au pas des médias, remise en cause de l’indépendance de la justice, question migratoire, prérogatives de la CJCE : sur tous ces points il y a une convergence de vues entre le parti de Marine Le Pen et le gouvernement de Viktor Orban.
L’intérêt de la Russie de Poutine est tout aussi évident : avec la Hongrie elle a développé un partenariat privilégié et des liens de dépendance économique très serrés en particulier dans le domaine de l’énergie comme l’illustre la fourniture de gaz à un prix cinq fois plus faible que celui du marché ou le doublement par la Russie des capacités de la centrale nucléaire de Paks.
Le Kremlin soutient par ce biais une force hostile à l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Si le gouvernement de la France s’alignait sur des positions voisines, cela ne manquerait pas de provoquer une crise d’une exceptionnelle gravité au sein de l’UE qui y jouerait sa survie.
Torpiller l’OTAN
Cela rejoint directement les préoccupations géostratégiques de la Russie.
Comme le rappelle le Président Hollande (Le Point, 3 février 2022) en bon connaisseur du sujet :
« Poutine ne perd jamais de vue son objectif : tout ce qui affaiblit l’Amérique, tout ce qui divise le camp occidental et l’Europe est bon pour lui. »
À une crise européenne pourrait de fait se superposer une crise atlantique si le RN qui a pour objectif de sortir la France du commandement intégré de l’OTAN parvenait au pouvoir.
Quant à la Hongrie, sa politique étrangère et ses priorités stratégiques représentent déjà une source de divergences et de conflits au sein de l’Alliance dont elle est un membre indocile.
Affaiblir l’économie française
En quatrième lieu, il y a le pari d’un affaiblissement de la France en cas de victoire du RN dont le programme économique, s’il était appliqué, aurait des résultats calamiteux.
Le RN a certes arrondi les angles par rapport au programme qu’il défendait en 2017. De la sortie de l’euro, il n’est plus question car selon sa candidate, la BCE aurait changé en abandonnant sa trop grande rigueur monétaire et budgétaire. C’est oublier qu’alors que se rapproche la perspective d’une remontée des taux d’intérêt, l’application du programme du RN conduirait probablement la France à être évincée de la zone euro à défaut d’en sortir.
Il n’est plus non plus question de supprimer la double nationalité extra-européenne mais le reste du corpus sur l’immigration ne change pas, ce qui à terme ne manquerait pas de réduire singulièrement l’offre de main-d’œuvre dans un pays à la démographie vieillissante.
Un programme économique toujours toxique
Avec le rétablissement de la retraite à 60 ans et la création d’un impôt sur la fortune financière (soit un retour à l’ISF) le programme de 2022 conserve les mesures phare de celui de 2017 .
Il en garde les aspects les plus saillants : hostilité envers l’Europe, le libre-échange, la finance et les marchés, des options qui dessinent les contours d’un populisme économique qui affaiblirait encore un peu plus les capacités de production et d’innovation du pays.
Sa vision de l’économie est toujours guidée par la recherche de boucs émissaires affublés de majuscules : la Finance, la Mondialisation, le Système, les Multinationales, l’Étranger selon une vision étrangement proche de celle de Jean-Luc Mélenchon, un autre illibéral ami de la Russie. Les deux communient dans une même détestation de l’économie de marché alors qu’elle est au fondement de ce qui reste de notre puissance économique déjà très entamée (sur ces points voir mon analyse dans Fâché comme un Français avec l’économie ).
Les lignes directrices du programme du RN en 2022 sont toujours le rejet de la concurrence, un protectionnisme supposé intelligent, le renforcement de l’emprise de l’État sur l’appareil productif, la planification, le retour à un financement administré avec des circuits privilégiés de crédit placés sous la coupe de l’administration et le recrutement d’agents publics à tour de bras.
À cela s’ajoute un alourdissement considérable des dépenses sociales avec même, comme en Hongrie, un prêt à taux zéro que pourraient contracter les jeunes couples, une proposition avancée le 3 février par une Marine Le Pen qui fait décidément feu de tout bois.
Un danger à ne pas sous-estimer
De la mise en œuvre d’un tel programme résulterait inévitablement une explosion du déficit des administrations, l’envolée de la dette publique, une accélération incontrôlée de l’inflation et au bout du compte la faillite de l’État.
On réussirait donc la performance de cumuler une quadruple crise européenne, atlantique, économique et financière. Certains, à l’Est de l’Europe, ne manqueraient pas de s’en frotter les mains…