Simone Baltaxé (1925-2009) est une artiste-peintre née de parents émigrés ayant fui les pogroms antisémites en Ukraine dans les premières années du XXe siècle. Après avoir échappé aux rafles antijuives en France, elle quitte Paris pour le Liban au début des années 1950. Elle est une des premières étrangères, juive de surcroit, à se rendre dans les camps de réfugiés palestiniens. Elle en rapporte plusieurs études qui rendent compte de leur condition misérable, quelques années seulement après la Nakba.
Elle grandit dans une famille modeste, dans le 18e arrondissement de la capitale. Son père s’oppose à son souhait de pratiquer la danse, mais finit par accepter qu’elle suive des cours de dessin, activité pour laquelle elle semble déjà avoir des prédispositions.
À la veille de la déclaration de guerre, elle est élève à l’école d’arts appliqués Duperré. Les lois antijuives du gouvernement de Vichy obligent à se déclarer de confession juive et mai 1942 les autorités allemandes imposent de porter l’étoile jaune. La directrice de l’école qui la voit arriver un matin avec l’étoile cousue sur son manteau demande à toute la classe d’en faire de même par solidarité. Elle en a gardé un souvenir ému jusqu’à la fin de sa vie.
À partir de juillet 1942, elle fuit à Lyon avec sa mère et ses sœurs. Sa famille a été alertée qu’un danger imminent menaçait les juifs d’origine étrangère. Ayant eu le temps de se cacher et donc ayant pu échapper à la rafle du Vel’ d’Hiv’, elles partent à Lyon. Dans le train, à la vue de soldats allemands qui procèdent à un contrôle d’identité, elle se réfugie dans les toilettes. L’officier allemand force la porte, la voit, leurs regards se croisent, il comprend sans doute qu’elle a de faux papiers, mais, instant de miracle, il la laisse tranquille. Arrivée à Lyon, elle s’inscrit à l’École des Beaux-Arts et aide, à son niveau, la Résistance en transportant des tracts sur son vélo.
Étude pour les réfugiés palestiniens dans les camps au Liban Sud, 1952 55X38 cm, gouache sur papier Une formation artistique dans l’après-guerre
Après la guerre, elle revient à Paris et poursuit sa formation aux Beaux-Arts de Paris (1946-1950) où elle travaille dans l’atelier de peinture murale de Pierre Souverbie. Elle accompagne à plusieurs reprises une amie à l’hôtel Lutetia où arrivent les déportés survivants des camps de la mort. Elle réalise alors, comme tant d’autres, ce qui s’est produit dans les camps. Mais la vie est plus forte.
Ces années d’immédiat après-guerre sont pour elle très fécondes et pleines d’espoir. Elle participe au comité de rédaction de la revue Traits, qui compte onze numéros, et est réalisée par les étudiants communistes des Beaux-Arts avec le soutien de personnalités du monde des arts et des lettres, telles Fernand Léger, Pablo Picasso, Henry Moore, Paul Éluard, Louis Aragon, Henri Matisse. Certains d’entre eux font don d’une œuvre pour les couvertures de la revue1
Israël, un État inique
En 1951, elle reçoit pour sa première grande toile, le Marché aux bestiaux (collections du Musée national d’art moderne) le prix de la Jeune Peinture. La même année, après avoir épousé un ingénieur libanais d’origine arménienne, Noubar Martayan, elle quitte Paris pour le Liban. Elle partage avec son époux un engagement humaniste et la conviction que le repli communautaire est une entrave au développement individuel et collectif.
Étude pour les camps 37X27 cm, gouache sur papier
Peu de temps après son arrivée à Beyrouth, elle décide, contre l’avis de son mari et de ses amis qui jugent la chose trop dangereuse, d’aller dans un des camps palestiniens au Sud-Liban. Elle qui avait échappé de peu à la déportation quelques années plus tôt veut voir et comprendre ce qui se passe là. Elle y va seule. Impressionnée par le désespoir et la misère dans lesquels se trouvent les réfugiés palestiniens, elle doit renoncer à les dessiner d’après nature : elle ne veut pas être suspectée de voyeurisme devant tant de détresse. Grâce à un interprète, elle a accès à l’histoire de certains de ces réfugiés, qui ont été forcés de quitter précipitamment leur vie et leurs villages de Palestine. Elle veut témoigner de leur dénuement et de l’injustice absolue dont ils sont victimes. Ces dessins sont les travaux préparatoires d’une grande toile sur les camps qui a malheureusement disparu. Ils révèlent de manière tout à fait exceptionnelle la situation des réfugiés palestiniens au début des années 1950.
À partir de cette expérience, pour celle qui fut désignée comme juive et destinée à une mort programmée sur le sol de France, Israël apparaissait comme un État répressif et inique. Elle n’a jamais voulu y aller.
Elle enseigne au lycée français et à l’école des Beaux-Arts du Liban, et expose dans des galeries de peinture et au musée Sursock à Beyrouth. L’exposition Manifesto of Fragility — Beirut and the Golden sixties qui s’est tenue dans le cadre de la Biennale de Lyon de septembre à décembre 2022, et va se poursuivre à Doha (mars—août 2023) offre un panorama assez complet de la scène artistique beyroutine des années 1960-1975.
À partir de la fin des années 1960, Simone Baltaxé crée des cartons de tapisseries qui seront exécutées au Liban par un maître lissier, Georges Audi avec qui une précieuse collaboration va s’établir. Une cinquantaine de tapisseries seront réalisées en une décennie.
Femmes dans un dispensaire 50X35, encre sur papier Plus sombre la lumière
La guerre du Liban (1975-1991) contraint Simone Baltaxé à un nouvel exil, cette fois dans sa ville natale. De retour à Paris au début des années 1980, sa palette change de couleurs, les thèmes qui l’intéressent : la vie, le mouvement, prennent de nouvelles formes. Rollers et acrobates remplacent les auvents, la foule et les marchands des souks ; la lumière se fait plus sombre aussi. L’intériorité gagne ses œuvres en même temps que la maladie.
Une partie de ses œuvres est dans les collections du Musée national d’art moderne (Paris), du Musée d’art moderne de Paris, des musées Paul Éluard de Saint-Denis, Dieppe, Sursock (Beyrouth), du musée d’État d’Erevan (Arménie) ainsi que dans de nombreuses collections particulières et les collections des fondations de la Bank Audi et de la Banque Saradar, à Beyrouth.
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Les dessins contenus dans cet article sont reproduits avec l’aimable autorisation d’Elsa Martayan.
POUR ALLER PLUS LOIN
➞ Les œuvres de Simone Baltaxé sont consultables sur le site [simone-baltaxe.com.
➞ Lire Catherine Gonnard, Simone Baltaxé, éditions Cercle d’Art, coll. Découvrons l’art, 2009.
1La collection complète de la revue a été déposée à la bibliothèque Kandinsky, au centre Georges-Pompidou à Paris.