Genre éminemment viril, où les amitiés masculines tiennent une place importante, le western serait-il gay-friendly ?
Le triomphe commercial et critique de Brockeback Mountain de Ang Leee en 2005 avait remis sur le tapis cette vieille question. À l’occasion de la cérémonie des Oscars 2006, un petit montage vidéo illustrait combien il était facile de détourner des plans de western pour leur donner un sens très gay.
Ainsi, comment interpréter cette fameuse séquence de Red River (Howard Hawks, 1948) où deux jeunes cow-boys (Montgomery Clift et John Ireland) comparent leurs armes respectives ? Doit-on voir une imagerie gay dans cette scène où le charmant Robert Wagner, torse nu, est sauvagement fouetté (The True Story of Jesse James, Nicholas Ray ) ? On pourrait ainsi multiplier les exemples. Faut-il pour autant décrypter un sous-texte homo-érotique dans tout western ?
Un jeune homme et un homme mûr
Prenons, par exemple, une situation classique de western, la relation entre un jeune homme et un homme mûr qui contribue à son éducation. Robert Mitchum et Robert Walker Jr dans Young Billy Young (Burt Kennedy, 1969), ou bien Eastwood et Sam Bottoms dans la première partie de Josey Wales (1976), entretiennent avant tout une relation de type père/fils. Rien de gay a priori.
La dimension filiale est même parfois explicitée dans certains scénarios. Dans Westbound (Budd Boetticher, 1959), le capitaine John Hayes (Randolph Scott) s’occupe du jeune Rod Miller (Michael Dante), revenu manchot de la guerre civile.
Le jeune et innocent Tod Lohman (Don Murray), protagoniste de Manhunt (Henry Hathaway, 1958), est à la recherche de son père qui a abandonné sa famille alors qu’il n’était qu’un enfant. Il ne trouvera qu’une tombe dans une mission mais entretemps, il aura fait la connaissance d’un père de substitution, Bradley (Chill Wills) père de six filles et souhaitant un fils.
L’amitié, c’est gay, c’est triste
À quel moment franchit-on la frontière pour aborder des rivages plus troubles ? Est-ce dans Run for Cover (À l’ombre des potences, Nicholas Ray, 1955) où l’affection de Matt (James Cagney) pour Davey (John Derek) joli garçon devenu infirme s’explique mal ? Bien que le jeune homme apparaisse clairement comme un bon à rien, le rude cow-boy est résolu à le prendre sous son aile protectrice. Cela ne donnera rien de bon et se terminera mal pour ce garçon dépourvu de sens moral.
En effet, l’ambiguïté n’est jamais loin.
Le rude Kelly (Clint Walker) s’intéresse ainsi au tendre Ase Harper (Edd Byrnes). Cet orphelin ne sait ni harnacher une mule, ni monter correctement à cheval, ni faire la cuisine (Yellowstone Kelly, Le Géant du Grand Nord, Gordon Douglas, 1959). Les deux hommes, torse nu, n’arrivent pas à dormir dans la cabane de Kelly. Surtout le jeune homme, frappé d’une flèche, meurt dans les bras du rude chasseur en l’adjurant de ne pas rester seul.
Des amitiés très particulières
Brockeback Mountain, faux western mais vrai mélo sentimental gay, évoquait un amour entre deux hommes. Dans le western traditionnel, il ne saurait en être question mais certaines amitiés westerniennes apparaissent cependant comme très particulières.
Comment expliquer la vive affection qu’éprouve Marsh (John Forsythe, excellent), vaillant officier sudiste, pour le jeune Bailey (John Lupton), d’une déplorable couardise ? Le garçon, guère viril, est aussi joli que poète, notons-le (Escape from Fort Bravo, 1953). Marsh l’aime comme un frère, bien sûr, nous assure-t-il. Cet excellent western de John Sturges se déroule dans un camp de prisonniers menacé par les Mescaleros.
Trahi par son amoureuse (Eleanor Parker), qui lui préfère son rival nordiste (William Holden), Marsh semble s’en consoler facilement. Il meurt même le sourire aux lèvres. Il a pu en effet revoir avant de rendre le dernier soupir le visage du jeune homme qu’il aime comme un « frère ». Ce dernier, au lieu de fuir, était allé chercher le secours providentiel.
On retrouve ce type de relation ambiguë dans The Law and Jake Wade du même réalisateur (Le Trésor du pendu, 1958). Clint (Richard Widmark) et Jake (Robert Taylor) sont d’anciens complices qui après avoir combattu pour la Confédération ont sombré dans le banditisme après la guerre. Au temps de leurs exploits de hors la loi, ils rêvaient d’aller ensemble dans les Alpes suisses. Jake a cependant abandonné Clint et s’est fiancé avec Peggy, une jeune fille de Philadelphie. Clint se montre jaloux de Peggy (Patricia Owens) et souligne qu’il n’a jamais eu ce type de problèmes (aimer une fille semble-t-il). « Une femme c’est un drôle de handicap pour un homme » ajoute-t-il. Mais l’ambiguïté repose surtout sur le dialogue, Robert Taylor paraissant ne guère comprendre l’implication gay du sujet.
Des westerns plus explicites
https://www.contrepoints.org/wild-rovers
Une imagerie gay pour cette affiche de western
Dans le western déclinant, les choses deviennent plus explicites. L’affiche du film Wild Rovers (Deux hommes dans l’ouest, Blake Edwards, 1971) montre deux hommes sur le même cheval. Le vieux William Holden et le jeune Ryan O’Neal sont inséparables et rêvent de vivre tous deux dans un petit ranch au Mexique. Ayant perdu leurs chevaux au moment du braquage, ils sont obligés de monter ensemble, enlacés. Vers la fin de l’histoire, Holden soliloque devant le cadavre de son jeune compagnon, se rappelant leur première rencontre.
De même l’amitié du rabbi Avram et du jeune hors-la-loi Tommy (The Frisco Kid, Un rabbin au Far West, Robert Aldrich, 1979) devient de plus en plus intense. Vers la fin du film, ils se baignent ensemble dans l’océan Pacifique avant de se poursuivre sur la plage et s’enlacer par jeu en sous-vêtements. Leur étreinte est interrompue par l’arrivée des méchants qui ne manquent pas de les traiter de naïades.
L’homosexualité est abordée de façon très directe dans Le Reptile (There Was a Crooked man, Joseph Mankiewicz, 1970). Un couple d’escrocs gays est campé par John Randolph et Hume Cronyn qui se retrouvent en prison. Bien sûr les clichés sont au rendez-vous : Cronyn est artiste (il dessine des anges) et efféminé. Il sauve cependant la vie de son compagnon en l’obligeant à retourner dans sa cellule au moment de la grande évasion. Dans le même film, un adolescent de 17 ans, grand gaillard blond, assassin par accident, subit les avances d’un gardien sensible à ses charmes.
Le Banni ou le soutien-gorge trompeur
Mais deux westerns, l’un très connu, l’autre beaucoup moins, développent particulièrement une thématique gay.
Le Banni (The Outlaw, 1943) de Howard Hughes est célèbre pour des tas de raisons, toutes mauvaises. Moins par son contenu réel, jugé « terne et décevant » par Coursodon et Tavernier 1que par ses problèmes de réalisation et de distribution. Les démêlés du producteur-réalisateur avec la puissante MPPDA2 à l’époque où le Code régnait sur le cinéma hollywoodien sont bien connus. On a beaucoup glosé sur un certain soutien-gorge destiné à mettre en valeur les dimensions des attributs de Jane Russell. Martin Scorsese y consacre même une séquence d’Aviator, son biopic à la gloire de l’excentrique millionnaire.
L’affiche du film qui met en valeur les formes généreuses de l’actrice est cependant trompeuse. Les accents de la symphonie Pathétique de Tchaïkovski, non créditée, plonge dès le générique le spectateur dans une certaine perplexité. Et très vite il apparaît que c’est l’histoire d’un cheval qu’on vole, qu’on achète, qu’on échange. Victor Young qui signe officiellement la musique, nous inflige d’ailleurs à ce sujet des effets dignes des pires cartoons. Ce n’est pas la moindre bizarrerie de ce film pas très bien réalisé et guère mieux interprété.
Un drôle de triangle gay
Il est significatif qu’on parle à la fois d’érotisme et de misogynie pour évoquer Jane Russell dans cette histoire sans queue ni tête. Mais si une femme vaut moins qu’un cheval aux yeux des deux personnages principaux, cela doit signifier quelque chose. Assez indifférent au personnage féminin, réduit à un pur objet sexuel, Billy le Kid et Doc Halliday se disputent avant tout le fameux canasson. Le scénario, signé à plusieurs mains, ne donne pourtant pas grand-chose. https://www.contrepoints.org/the_ou...
Le trio masculin dans The Outlaw (1943) Wikimedia Commons
Que nous raconte en fait ce western dépourvu d’action ? Jack Buetel y promène sa joliesse alanguie d’éphèbe sous le nez de Walter Huston suscitant la fureur jalouse de Thomas Mitchell ! Cette rencontre improbable de Doc Halliday et de Billy le Kid ridiculisant de concert le pauvre Pat Garett vaut son pesant de cacahuètes. « Tu viens Doc ? » demande Billy et aussitôt celui-ci le suit ! Et un peu plus tard : « si tu ne sais pas où dormir, viens chez moi, Doc ». On ne saurait être plus prévenant et plus gay.
Tu ne vas tout de même pas le suivre, se lamente Pat Garrett ! Tout allait si bien entre nous ajoute-t-il même à l’adresse de Doc Halliday. Même les seins de Jane Russell ne sauraient cacher un sous-texte homo-érotique aussi clairement affirmé. Que disait déjà Doc Halliday à propos de son cheval ? « Cutest little fella you ever saw. » Mais parlait-il seulement de son cheval ?
Billy Two Hats de Ted Kotcheff, une tonalité gay
Plus intéressant, en tout cas mieux maitrisé dans sa réalisation et son interprétation, paraît être le second western à tonalité gay affirmée. Passons sur le titre français, Un colt pour une corde ! qui ne donne pas une idée très précise du film de Ted Kotcheff (1974). Ce western de la décennie du déclin met en scène des personnages vieillissants à l’image du genre.
L’Ouest a vieilli : « Il y avait des Indiens et des bisons » se souvient Cope, le tenancier du General Trading, qui vit au milieu du désert avec sa femme indienne. Les Indiens sont désormais enfermés dans des réserves : le temps des guerres est terminé.
En apparence, le scénario est usé jusqu’à la corde du titre français. Après un hold-up (qui ne nous est pas montré), deux voleurs sont poursuivis par un marshall coriace. Les amateurs se sont plaints du manque de scènes d’action : un bref gunfight en ouverture et un affrontement très limité entre Peck et les Apaches.
Pourquoi est-il revenu ?
Bref, nous avons deux hors-la-loi, un Écossais vieillissant, Arch Deans (Gregory Peck), et son jeune complice, Billy (Desi Arnaz Jr). Ils sont traqués par le marshall Henry Gifford (l’excellent Jack Warden). D’abord capturé, Billy est délivré par Deans à la grande surprise du représentant de l’ordre.
Pourquoi est-il revenu pour ce jeune métis ? Telle est la question qui tracasse le marshall. Arch Deans est à ses yeux « comme un animal ». Il avait l’argent du minable butin et n’avait pas de raison de sauver son jeune complice. « Personne n’aime les métis ». D’ailleurs le vieux camarade du Marshall, Cope, n’a-t-il pas envoyé son propre fils à la réserve pour s’en débarrasser ?
On peut docilement, comme la plupart des spectateurs, suivre la piste du racisme. Mais s’agit-il vraiment de raconter les mésaventures d’un jeune métis dans une société qui le rejette ?
Celui couché seul, qui le réchauffera ?
Billy nous est présenté au début du film endormi, le torse nu et imberbe. Le juvénile Desi Arnaz, d’origine cubaine, se révèle un Adonis troublant à la longue chevelure et aux traits fins. Puis, levé à la fenêtre, il fait un geste amical à Arch qui selle son cheval à l’extérieur. Un geste tendre comme l’on en voit peu entre hommes dans l’univers westernien.
Les Apaches dégénérés qu’ils croisent en route ne s’y trompent pas.
« C’est la squaw de l’homme blanc » ricane l’un d’eux en parlant de Billy. Ces Indiens arborent d’ailleurs des signes dérisoires de féminité : l’un s’abrite sous une ombrelle, l’autre est vêtue d’une robe. Quand Esther demande à Billy si Arch est son père, celui-ci répond par la négative. La relation père/fils est écartée explicitement.
Arch Deans est resté seul trop longtemps. Dans une étrange séquence où les deux hommes sont couchés dans l’obscurité, il cite l’Ecclesiaste, IV, v. 10 et 12. Malheur à l’homme seul. S’ils sont deux, l’autre peut le relever mais celui tombé seul qui le relèvera ? Or, curieusement n’est-ce pas, Gregory Peck omet de citer le verset 11. On comprend pourquoi.
Si deux sont couchés l’un réchauffe l’autre mais celui couché seul qui le réchauffera ?
Le couple Arch/Billy qui ne fonctionne que sur le non-dit, est condamné d’avance.
Des couples qui ont du mal à fonctionner
Le film met en effet en scène une série de couples. Les couples bandits/prostituées, le couple Cope/indienne qui renvoie aux parents de Billy, le couple Arch/Billy, le couple Spence/Esther, le couple Billy/Esther. Le film a connu d’ailleurs un autre titre très trompeur, The Lady and the Outlaw. Il met l’accent sur le plus tardif de ces couples. Esther entre en scène aux deux tiers de l’histoire.
Le véritable perdant de l’histoire est le marshall Henry Gifford, non parce qu’il est tué, mais parce qu’il est définitivement seul, hors couple. Tous les couples du film ont du mal à fonctionner par ailleurs. Cope traite sa femme indienne comme une servante. Le fermier Spense a acheté Esther à Saint-Louis pour 100 dollars. Il la rudoie et celle-ci est affligée d’un bégaiement, significatif de son mal-être.
Billy tire son nom de son père qui avait deux chapeaux, l’un pour l’apparat, l’autre pour les jours ordinaires. Le garçon est ainsi tiraillé entre Arch et Esther, la jeune épouse du fermier brutal qui tombe dans ses bras.
« Billy » murmure Arch lorsqu’il croit sa dernière heure arrivée. Il meurt dans les bras du garçon. « Je suis désolé » lui dit Billy. Désolé de n’avoir pu l’aider, mais désolé aussi de l’avoir trahi en couchant avec une femme.
Ces histoires gay sont ainsi quasiment toujours tristes. Il faudrait d’ailleurs faire la liste de tous ces hommes qui meurent dans les bras d’autres hommes. 50 ans de cinéma américain, ed. 1995, p. 45 ↩ Motion Picture Association and Distributors of America créé en 1922 qui devait établir le fameux Code Hayes en 1930 ↩