La France n’est plus une nation souveraine. Le dire est devenu une banalité. Sous la coupe de l’usine à gaz européenne, surveillé par les garde-chiourmes qui résident à Bruxelles et sanctionné par les magistrats qui siègent dans ses juridictions, notre pays ne dispose plus de la liberté d’administrer son territoire comme il l’entend.
Ce que l’on perçoit moins, c’est l’invraisemblable effondrement institutionnel qui frappe la République. Or la décision rendue par le Conseil constitutionnel de censure massive de la loi immigration adoptée par le Parlement, démontre que cet effondrement n’est en fait qu’une destruction programmée. La bande de politiciens non élus rassemblée autour de Laurent Fabius et Alain Juppé vient tranquillement d’enfoncer un clou supplémentaire dans le cercueil de ce qui fut dans le passé une démocratie libérale représentative. Historiquement plus ou moins fonctionnelle, elle avait à peu près respecté les principes qui gouvernent ces systèmes : séparation des pouvoirs, élections au suffrage universel, loi de la majorité, protection de la minorité, toutes choses assurant sa légitimité à l’exercice du pouvoir par l’État. Pointer tous les dysfonctionnements que l’on constate jour après jour est devenu une banalité. L’auteur de ces lignes pouvant même la qualifier, en ce qui le concerne, de routine. Cependant l’arrêt rendu par le Conseil constitutionnel le 25 janvier, marque une étape dans le processus de mise à mort notre dispositif institutionnel.
Avant d’aborder le fond, deux petits préalables sont nécessaires. Tout d’abord nous n’avons pas pris connaissance du contenu de la loi immigration, texte succédant à une vingtaine d’autres adoptés depuis 30 ans et n’ayant en rien véritablement traité le problème de l’immigration. Ensuite la cacophonie médiatique qui a accompagné son processus parlementaire ne fut que raccourcis, confusion et mensonges permettant à chaque camp de prendre la pose, de soigner les postures et de donner des leçons de morale. Une mention particulière pour la petite bourgeoisie sociétale qui se prétend de gauche et a passé son temps à exhiber une humanité comme signe extérieur de richesse. La « gauche » la plus bête du monde qui acclame aujourd’hui le Conseil constitutionnel, Laurent Fabius et Alain Juppé présentés comme l’ultime rempart au retour des heures sombres. Sans craindre la contradiction après les avoir vilipendés pour leur validation de la loi sur la réforme des retraites, jusqu’à organiser des manifestations devant le Palais royal.
Le Conseil constitutionnel rend des décisions d’abord politiques
Prétendre que la haute juridiction fonde toutes ses décisions sur le droit est simplement une galéjade.
Le contrôle de constitutionnalité prévu pour la première fois dans le texte de la Constitution adoptée le 4 octobre 1958 sur la proposition du général de Gaulle a été complètement dévoyé. Faisons parler un centenaire, Philippe de Gaulle le « premier Compagnon du Libérateur » disant : « Juger les lois à l’aune des préambules de la Constitution, cela n’a jamais été l’esprit de la Ve République. Mon père avait vu le danger. Il a été furieux de découvrir que les rédacteurs du projet de 1958 avaient adjoint les préambules des constitutions antérieures, avec leurs déclarations des droits de l’homme, mais il n’est pas intervenu pour les ôter. « Les démagogues qui sont les inspirateurs de ces additions vont pouvoir bêtifier sur les droits de l’homme pour rendre l’internationalisme, le cosmopolitisme et l’apatridisme opposables aux droits du citoyen », m’avait-il dit. » De Gaulle ne se trompait pas, mais le dévoiement a été le fruit d’une évolution qu’il était difficile de soupçonner au départ.
Rentrons un peu dans le détail. Dans l’esprit du fondateur de la Ve République, le contrôle de la constitutionnalité des lois avant leur promulgation était un contrôle de « CONFORMITÉ » avec le texte suprême adopté par le peuple. Les lois votées par le Parlement doivent entretenir un rapport de non-contrariété, avec la partie normative de la Constitution, avec le contenu qui organise le fonctionnement de la République. Depuis 50 ans le Conseil constitutionnel se livre à un contrôle de « COMPATIBILITÉ » ce qui lui donne des marges d’interprétation tout à fait considérables qu’il est le seul à maîtriser. Comment s’est opéré le renversement ?
Tout commence avec une décision du 16 juillet 1971 créant une nouvelle obligation et par conséquent une limitation pour le législateur tenu depuis lors et arbitrairement de respecter la notion de « principe fondamental reconnu par les lois de la République » contenue dans le préambule tel qu’interprété par le Conseil. La simple lecture de ce préambule démontre que c’est un singulier fourre-tout proclamatoire sans réelle valeur normative. C’est ainsi qu’a fait irruption dans notre droit constitutionnel un « principe fondamental » nouveau, supérieur au texte même de la Constitution. La boîte de pandore était ouverte. C’est ainsi que le Conseil s’est arrogé la possibilité de considérer que la conformité de la loi avec la Constitution devait s’apprécier non à partir des 90 articles de celle-ci mais d’un ensemble nommé « BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ » dont la composition relevant de la seule décision du Conseil composé rappelons-le de personnalités choisies par affinités politiques.
Initialement, seul le Président de la République et les présidents des deux chambres du Parlement pouvaient déférer une loi votée au Conseil constitutionnel avant sa promulgation. Valéry Giscard d’Estaing fit adopter en 1974 une réforme ouvrant la possibilité d’un recours signé par 60 parlementaires. Dans le domaine du contrôle de la conformité des lois, alors que le Conseil rendait une moyenne d’environ deux décisions par an avant cette date, il en est aujourd’hui à une moyenne annuelle de plus de 80 ! Sa jurisprudence est donc considérable et constitue aujourd’hui une source majeure du droit.
Comment a-t-il opéré ? Tout d’abord en dressant DE SA PROPRE AUTORITÉ la liste des textes qui composent le bloc de constitutionnalité : à savoir l’intégralité de la Constitution du 4 octobre 1958 auquel il a ajouté son préambule propre. Ensuite l’intégralité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ensuite toujours le Préambule de la Constitution de 1946, et enfin la Charte de l’environnement de 2004. En développant ensuite encore une abondante jurisprudence donnant à un certain nombre d’autres textes et principes, une valeur constitutionnelle égale à celle de la Constitution ! Il y a « les principes particulièrement nécessaires à notre temps » (PPNNT), Il s’agit entre autres du droit de grève, du droit d’asile ou du droit à la protection de la santé des enfants. Puis les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR) choisis par le Conseil comme la liberté d’association, liberté de l’enseignement, indépendance de la juridiction administrative (tiens tiens…). Ajoutons-y pour faire bon poids « les principes à valeur constitutionnelle » (PVC) dont font partie la continuité de l’État et des services publics ou la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. N’en jetez plus, la Cour (suprême) est pleine ! La simple lecture de ce catalogue démontre à quel point la souveraineté du Parlement français est désormais complètement corsetée.
Histoire d’aggraver cette dérive, Nicolas Sarkozy a eu l’idée saugrenue de bouleverser le système français du contrôle de constitutionnalité a priori de la loi, intervenant entre son adoption par le Parlement et sa promulgation par le Président de la République. Ce fut à l’occasion d’une réforme constitutionnelle, la création « d’un contrôle à posteriori » à la française par le biais de la calamiteuse Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Elle permet à un justiciable de solliciter à l’occasion d’une procédure judiciaire qui le concerne, l’avis du Conseil sur la valeur constitutionnelle d’une loi pourtant promulguée et appliquée, parfois depuis des décennies !
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le Conseil constitutionnel a de plus décidé d’utiliser la notion jurisprudentielle de droit public « d’incompétence négative ». En simplifiant, on peut dire qu’il peut constater que le législateur, n’a pas utilisé comme il l’aurait dû sa compétence. C’est-à-dire que le contrôle ne porte pas sur la conformité du texte adopté avec la Constitution mais sur la façon dont le législateur s’est servi de son pouvoir. Et soyons clair, sur ce que la loi aurait dû contenir ! Il peut ainsi ajouter des choses qui n’avaient pas été décidées par le législateur. Le pouvoir législatif du peuple s’exerçant par l’intermédiaire de ses représentants dûment élus dispose normalement du pouvoir de changer les lois anciennes, de les abroger, de les compléter ou de les supprimer. Cette souveraineté-là, le Conseil se l’est désormais arrogée.
Il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer le flot qui allait s’engouffrer dans cette brèche. Plus de 800 décisions sur saisine par QPC ont été rendues en 10 ans soit une moyenne de 80 par an ! L’exemple le plus spectaculaire de ce qui constitue une dérive institutionnelle particulièrement grave est celui de la fameuse affaire du mot de « fraternité » dans la devise républicaine. Il fut considéré comme faisant partie du bloc de constitutionnalité ce qui permettait d’annuler les lois considérées par la petite équipe comme contraire à la fraternité !
Car l’enjeu est bien celui-là, ce que vous nous venons de décrire, c’est tout simplement la confiscation par le Conseil constitutionnel d’une compétence souveraine qui ne devrait appartenir qu’aux représentants que le peuple s’est choisis. Et cette description démontre s’il en était besoin le caractère délibéré et construit de cette confiscation.
Révolution de couleur à la française
L’échec politique des présidences successives de Nicolas Sarkozy et de François Hollande incapables de se faire réélire a signé la fin du système de la fausse alternance à la française, celle de ces « deux épiciers se fournissant au même grossiste » selon la jolie formule de Philippe Séguin. Pour tenter de régler le problème, Emmanuel Macron, un parfait inconnu, a été porté à l’Élysée grâce à une opération politique voulue et organisée par la haute fonction publique d’État, choisissant de porter l’un des siens à la présidence de la république. Elle fut également soutenue et financée par l’oligarchie. Sa réussite a bénéficié de l’appui décisif de la magistrature – souvenons-nous de l’opération de disqualification judiciaire de François Fillon, favori de l’élection présidentielle 2017. Un enchaînement de circonstances qu’il n’est pas excessif d’assimiler à une forme de coup d’État, qui a bénéficié de l’absence de réaction des forces politiques et démocratiques, inertes devant cette manipulation. Qui avait pourtant retiré au scrutin son caractère de sincérité et de légitimité. Le problème, c’est qu’il a installé à l’Élysée un inconnu au parcours intellectuel, social et politique d’un vide abyssal. Mais qui, déterminé à remplir le mandat, à lui confié par les grands intérêts, a immédiatement mis en œuvre un programme néolibéral de destruction de l’État-providence, de désindustrialisation du territoire, de soumission à l’ordre atlantique et d’abaissement de la France à l’international.
Parmi ces missions, figurait celle d’une démolition méthodique des institutions républicaines. À coups de multiplication de lois liberticides, de répression massive des mouvements sociaux, de généralisation de la corruption au sommet de l’État, de manipulations politiques et en vidant le gouvernement prévu par la constitution de sa substance, Emmanuel Macron poursuit l’installation d’un système libéral autoritaire qui n’a plus grand-chose à voir avec une république parlementaire. Le Conseil constitutionnel vient à sa demande de signer le permis d’inhumer du Parlement français.
Au bout d’une manœuvre politique assez sordide la haute juridiction (!) a rendu le 25 janvier un arrêt qui censure 32 articles du texte de la loi sur l’immigration. Cette décision est simplement une monstruosité juridique et institutionnelle. D’abord et comme par hasard ces 32 articles sont ceux qui ont été rajoutés au texte présenté par le gouvernement lors du DÉBAT PARLEMENTAIRE. Le hasard s’appelle évidemment accord passé entre Macron et Laurent Fabius.
Ensuite le caractère caricatural de la motivation devrait normalement sauter aux yeux d’un lecteur honnête. On y retrouve évidemment la présence habituelle des considérations sur la nécessité de d’être gentil avec tout le monde qui permettent d’annuler ces articles que Laurent Fabius et Alain Juppé trouvent trop méchants. Quant à l’argument permettant d’annuler les articles issus d’amendements considérés comme « cavaliers », il est simplement risible. La théorie de l’amendement cavalier, c’est qu’on ne peut pas rattacher et faire voter un article dans une loi qui serait sans rapport avec cet article. Le qualifier de « cavalier » et une appréciation parfaitement subjective de la part du juge, qui peut conduire à l’arbitraire. Pour le dire clairement, sur la base des principes de la jurisprudence, il aurait été possible de prendre les décisions inverses. C’est bien cela que l’on appelle l’arbitraire et il a été utilisé pour débarrasser la « Loi immigration » du travail parlementaire
Situation extraordinaire qui permet incontestablement de considérer que désormais dans les faits, la France n’a plus de Parlement. Avec l’utilisation systématique du 49-3, Élisabeth Borne, sur ordre de Macron interdisait les débats à l’Assemblée nationale. Désormais le Président n’a plus besoin de se fatiguer. Grâce à la forfaiture des membres non élus de la bande de Fabius qui réduisent le travail parlementaire à néant, il va pouvoir déposer ses projets de loi directement entre les mains du Conseil constitutionnel. Devenu définitivement le véritable législateur de notre pays. La prochaine fois, pour faire passer les commandes du MEDEF (loi travail, loi retraite et importation de main-d’œuvre à bas coût), Macron déposera directement son projet dans la boîte aux lettres de Laurent Fabius.
Alors, citant Victor Hugo, les imbéciles, les analphabètes et les poseurs vont exulter et nous dire qu’ils n’ont plus mal à la France. En oubliant une chose toute simple : ce système que Macron vient d’inaugurer aussi caricaturalement, empêchera toute alternance politique quelle qu’elle soit. On imagine le sort qu’il aurait fait au programme de Jean-Luc Mélenchon si ses espoirs d’accéder au poste de premier ministre avaient été couronnés de succès en juin 2022. Et que l’on ne vienne pas nous dire qu’à chaque loi « retoquée », à chaque décret annulé (au conseil d’État ce sont les mêmes !), il suffira de saisir directement le peuple par la voie référendaire, cela n’est pas sérieux.
La France n’est plus une démocratie représentative et la voie de l’alternance démocratique est fermée.