Par Nathalie MP.
On pourrait facilement s’y méprendre. « Confiance et liberté », tel est l’intitulé merveilleux qui ouvre le récent rapport commandé par le gouvernement sur la « création d’une instance d’autorégulation et de médiation de l’information ». Il s’accompagne d’une non moins merveilleuse illustration représentant « la liberté assise sur les ruines de la tyrannie ». Ça se confirme, rien ne vaut la novlangue la plus sirupeuse pour réduire doucement les libertés sans faire crier.
Mais, me direz-vous, en cette époque de fake news , de circulation rapide de l’information via Internet et de défiance accrue du public envers les médias (voir ci-dessous les résultats 2019 du baromètre Kantar-La Croix ), il n’est pas forcément absurde que la profession cherche un moyen de garantir déontologie et qualité journalistique à ses lecteurs.
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Aussi, l’idée consisterait à regagner la confiance des Français par la création d’une instance supérieure de déontologie qui veillerait aux bonnes pratiques et vers laquelle les citoyens pourraient se tourner sans passer par un juge s’ils relevaient des erreurs manifestes dans les faits relatés.
Effectivement, dit de cette façon, ça a l’air simple et de bon goût. Plusieurs tentatives en ce sens ont d’ailleurs été lancées en France dans le passé.
Elles n’ont cependant jamais abouti car certains acteurs du secteur y discernent moins un vecteur de qualité qu’une façon détournée de brider la liberté de la presse. Derrière le prétexte de la « confiance » et des « bonnes pratiques », l’occasion dangereuse d’un contrôle renforcé. Une crainte qu’on ne peut guère leur reprocher quand on voit comment les choses se présentent aujourd’hui.
Le rédacteur principal du rapport, l’ancien Président de l’AFP Emmanuel Hoog, se plaît à répéter que :
La création de ce type d’instance n’a de sens que si elle est strictement professionnelle et basée sur un principe d’autorégulation. La présence des pouvoirs publics n’est pas possible. (Assises du journalisme de Tours , 14 mars 2019)
Un mode de création par la loi serait à l’évidence perçu comme une ingérence du pouvoir politique dans un domaine où la liberté doit totalement prévaloir. (Rapport Hoog , 27 mars 2019)
Il n’en demeure pas moins que M. Hoog a été spécialement mandaté cet automne par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen d’abord, Franck Riester ensuite, pour dessiner les contours de la nouvelle instance. Sa mission est clairement pilotée par un ministre, donc pilotée d’en haut par les instances étatiques. On a vu plus indépendant. Sa nomination et la simple existence de son rapport entrent en contradiction directe avec l’absence supposée des pouvoirs publics dans la régulation des médias. Premier problème.
De plus, il n’est guère rassurant de savoir qu’en organisant cette concertation, Mme Nyssen ne faisait que reprendre une idée lancée à l’Assemblée nationale par le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon lors du débat de la loi sur les fake news. Grâce à la web TV Le Média lancée par les Insoumis, web TV qui signe un retentissant échec déontologique, on n’ignore plus rien des théories sur la presse et l’information de notre bruyant fonctionnaire de la révolution : la liberté y est sous surveillance étroite et se doit d’exclure tout « Mélenchon bashing » ! Second problème.
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Mme Nyssen a néanmoins fait savoir qu’elle n’avait « aucune opposition de principe à une telle proposition », donnant ainsi à Jean-Luc Mélenchon l’occasion de pousser un cri de victoire quand la mission Hoog fut lancée.
L’alignement ponctuel d’intérêt entre le gouvernement et la France Insoumise sur ce sujet brûlant qui touche à la liberté de la presse peut surprendre, mais il n’est finalement pas très étonnant.
Rappelons d’abord qu’Emmanuel Macron entretient manifestement un lien complexe avec la liberté. Convaincu que ce qu’il tient pour « bien » doit absolument triompher de tout, y compris au mépris des libertés individuelles, on l’a vu successivement intégrer la plupart des dispositions administratives de l’état d’urgence dans le droit commun (2017), suggérer et obtenir une loi contre les fake news en période électorale (2018) et tenter d’imposer une interdiction de manifester sur la base de soupçons des plus vagues dans la récente loi anti-casseurs – disposition heureusement retoquée la semaine dernière par le Conseil constitutionnel.
Concernant spécifiquement la presse, si Jean-Luc Mélenchon se plaint de la façon dont les médias le traitent, Emmanuel Macron aussi. Il a dénoncé à plusieurs reprises le « pouvoir médiatique », notamment lors de l’affaire Benalla et plus récemment lors de la crise des Gilets jaunes . D’après lui, « nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité ». Quand on sait comment l’un de ses conseillers a bidouillé une vidéo afin de disculper Benalla, on comprend clairement qu’il n’existe qu’une vérité, celle de M. Macron.
Début février 2019, lors d’une rencontre à l’Élysée avec des journalistes – dont Emmanuel Berretta du journal Le Point qui a donné ensuite un compte-rendu des échanges – Emmanuel Macron en est venu à livrer sa conception super-étatique de l’information :
Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’État doit financer. (…) Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l’information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes.
Ne se croirait-on pas revenu au temps de l’ORTF où chaque journal télévisé était visé par le ministre de l’Intérieur avant diffusion ? Comment pourrait-on encore parler de liberté de la presse si la « vérité » de l’information devait recevoir l’imprimatur de l’État ? Où serait la liberté d’expression si les organes de presse devaient se soumettre à une sorte de « bien » médiatique défini par le gouvernement ? Ce qu’il faut dire et ce qu’il ne faut surtout pas dire, au risque de déplaire.
On voit bien qu’il ne s’agit pas seulement de rectifier des erreurs basiquement factuelles dans un taux de chômage, les dispositions d’un traité ou la composition chimique d’un pesticide, erreurs qui sont d’ailleurs corrigées très facilement, par le média fautif ou tout autre qui s’est livré à une opération de désintox sur le sujet incriminé – merveille de la concurrence et du débat ouvert, pas du contrôle.
Non, il s’agit de faire vivre une information qui respecte la « hiérarchie des paroles » des émetteurs, le gouvernement constituant (avec les maires, les députés, les ministres) le sommet d’un triangle où l’individu lambda se retrouve tout en bas. Il s’agit de répandre dans le public la conception macronienne de ce qui est bien et de taire tout ce qui entraverait cette marche prédéfinie vers la « vérité ».
Dans ce projet, les journalistes ne sont à l’évidence plus les « garants » de quoi que ce soit mais des alibis, des idiots utiles d’une presse qui, de largement subventionnée qu’elle est déjà (presse écrite), devient de plus en plus étatisée.
Conception captée cinq sur cinq par Emmanuel Hoog. C’est ainsi qu’il préconise de créer une instance dont les membres seraient certes des journalistes, mais aussi des acteurs de la société civile. Lesquels ? Juliette Binoche ? Des ONG Mélenchon-compatibles, Macron-compatibles ? Troisième problème.
Évidemment tout ceci aura un coût. Qui paiera ? Emmanuel Hoog, qui a évalué les frais à une fourchette allant de 1 à 2 millions d’euros annuels, suggère que l’État participe à hauteur de 49 %. Vous voyez que l’indépendance est garantie, l’État ne serait pas majoritaire ! Sauf qu’on voit mal quel membre de l’instance pourrait avoir un poids financier à même de challenger le poids de l’État. Quatrième problème.
Il est aussi question d’inciter les entreprises de presse à rejoindre gentiment cette instance grâce à une jolie petite carotte financière demandée depuis longtemps par certain acteurs, Mediapart notamment, à savoir l’extension à la presse en ligne des aides au pluralisme – cette dernière expression n’étant que la version novlangue de subventions tout ce qu’il y a de plus étatiques. Dans le même ordre d’idées, l’attribution des fameux « droits voisins » serait plus favorable pour les sites des membres adhérents de l’instance. Les médias sont priés d’aller à la soupe. Cinquième problème.
Tout dans ce projet indique que la « confiance » qu’il s’agit de restaurer est moins celle des lecteurs vis-à-vis des médias que celle d’Emmanuel Macron vis-à-vis des journalistes. La liberté sortira forcément amoindrie de cette opération de recadrage jupitérien.
Alors que la presse déjà lourdement subventionnée, donc lourdement dépendante des pouvoirs publics, n’est absolument pas incitée à se remettre en question – seule opération qui serait à même de la rendre à nouveau attrayante pour le public, le rapport Hoog préconise à l’inverse une nouvelle couche d’embrigadement, au risque d’aggraver la crise de crédibilité des médias.
Qui se ralliera, qui résistera ? Le risque n’est pas nul de voir se développer deux presses : celle qui, par son statut de membre adhérent de l’instance de contrôle, bénéficiera du tampon de l’État, et celle qui, hostile aux manigances macroniennes, sera officiellement refoulée dans le camp du mal médiatique. Ça promet.
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