Par Doriane de Lestrange.
À l’heure où les contours d’une Europe post-Brexit commencent à se dessiner, le Royaume-Uni est plus que jamais en quête de mécanismes intelligents pour continuer à commercer avec ses anciens partenaires de l’Union européenne ainsi qu’avec le reste du monde.
Devenue un État tiers, la Grande-Bretagne se voit contrainte de rechercher et d’imaginer des solutions innovantes devant lui permettre de maintenir des relations commerciales étroites avec, notamment, les pays membres de l’Union européenne.
En pleine période de négociations et de transition, le gouvernement anglais pense d’ores et déjà à l’avenir tout proche.
Dans ce contexte, l’une des pistes envisagées par le gouvernement britannique est la création d’une dizaine de ports francs sur le territoire du Royaume-Uni , visant à favoriser ses échanges avec l’UE, contournant ainsi d’une certaine manière le rétablissement des contrôles douaniers .
Des enclaves sans formalités ni droits de douane
Les ports francs sont des zones sécurisées, généralement situées à proximité des ports, où des activités commerciales peuvent se dérouler sur le territoire d’un pays mais sans être soumises à son régime douanier et fiscal. Ces zones franches permettent donc aux acteurs du commerce international de faire pénétrer des marchandises sur un territoire moyennant un minimum de lourdeurs administratives et en franchise de droits de douane.
Les marchandises sont ensuite réexportées sans être taxées, ou bien soumises aux droits applicables si elles pénètrent sur le marché local. En pratique, les ports francs sont constitués de milliers de mètres carrés d’entrepôts dans lesquels sont stockés des marchandises précieuses telles que des œuvres d’art, antiquités, bijoux, voitures et grands crus .
À titre d’exemple, le port franc genevois est parfois surnommé le « plus grand musée d’art de la planète ».
Les ports francs sont un système relativement répandu en Asie et au Moyen-Orient et bien établi aux États-Unis. Il en existe un peu moins d’une centaine en Europe. Ils existaient aussi au Royaume-Uni jusqu’à leur dissolution en 2012 pour des raisons économiques incertaines.
Des zones franches dans le collimateur de l’UE
Seule difficulté : les ports francs sont relativement mal vus et ce, notamment, depuis la publication d’une étude menée par le TAX3 Committee du Parlement européen qui a révélé que ces zones franches, du fait du caractère opaque de leur fonctionnement et des marchandises qui y transitent, favorisent aisément l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, les trafics, notamment d’œuvres d’art, et le financement du terrorisme.
Le rapport pointe notamment du doigt l’exemple du port franc luxembourgeois (« Le Freeport »), fondé par l’homme d’affaire et marchand d’art Yves Bouvier, pour le caractère opaque des transactions qui s’y déroulent, dénonçant à cette occasion les risques que ces zones représentent.
Originellement cantonnée au procès qui oppose le marchand d’art à son ex-client milliardaire russe, « l’affaire Bouvier » a agi comme un électrochoc qui s’est rapidement propagé dans les couloirs feutrés des institutions européennes, les enjoignant à se pencher plus sérieusement sur les suspicions de blanchiment et d’évasion fiscale. Un scandale financier de plus qui aboutira à l’adoption d’une nouvelle mouture du règlement anti-blanchiment, le 5AMLD.
Suspicions de financement occulte du terrorisme
En effet, les freeports, quasi exempts de contrôles et non soumis aux procédures douanières habituelles, voient transiter un grand nombre de marchandises précieuses, parmi lesquelles œuvres d’art et antiquités diverses, sans obligation de prouver le respect des exigences de traçabilité du marché de l’art. On voit alors aisément combien de telles facilités commerciales et de stockage peuvent devenir un facilitateur dans le trafic d’antiquités issues des pillages de Daesh et ainsi participer à son financement.
En octobre 2019 le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (CLOB) dévoilait un rapport dans lequel il faisait le lien entre la vente illégale d’œuvres d’art et le financement du terrorisme. Le CLOB juge alors très durement les ports francs. « En matière de blanchiment, la présence de ports francs au niveau international permet aux criminels de stocker à long terme des biens de grande valeur en leur offrant anonymat, sécurité et opacification de la traçabilité du bien ».
Créer des modèles commerciaux innovants ?
Si l’on comprend la nécessité pour le Royaume-Uni d’avoir recours à des mécanismes avantageux et facilitant le commerce avec ses anciens partenaires, l’on constate parallèlement que le modèle des ports francs en Europe, conséquence notamment d’affaires telles que « l’affaire Bouvier », est en train d’être remis en cause et qu’il n’est peut-être pas promis à un grand avenir.
Pourquoi donc ne pas imaginer un nouveau modèle permettant de coupler aux aspects avantageux des zones franches, les exigences de transparence financière et de traçabilité des marchandises requises pour éviter les trafics de toutes sortes et le financement d’activités illégales.
Certains instituts de recherche, avides de solutions optimisées pour le futur Royaume-Uni post Brexit, se sont penchés sur cette question. C’est le cas du UKTPO de l’Université du Sussex qui publiait l’an dernier une étude sur le futur potentiel des ports francs, identifiant les modes de fonctionnement qui pourraient mener à un développement vertueux de ces zones, en diversifiant par exemple les types d’incentives destinés à attirer les marchandises.
En tout état de cause, et à peine sa sortie officielle de l’Union européenne effectuée, le Royaume-Uni se révèle déjà très imaginatif quant aux méthodes commerciales qu’il espère développer pour maintenir sa place dans l’économie mondiale. Reste à observer attentivement les modes d’échanges qu’il parviendra à élaborer et à mettre en œuvre pour garder une place dans la course effrénée du commerce international.
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