Un article de la Nouvelle Lettre
Madame Borne a rassuré les Français, elle a confirmé les dires de son ministre de l’Économie : pas d’impôt nouveau en 2024 .
Elle a bien précisé : pas d’impôt nouveau pour les ménages.
Or, il existe une autre catégorie de contribuables : les entreprises. Et pour l’instant, il va falloir attendre le projet de loi de finances 2024 présenté au Parlement en septembre pour savoir si ce que les ménages ne paieront plus ne sera pas mis à la charge des entreprises : faire payer les entreprises plutôt que les individus.
Madame Borne a aussi oublié de préciser que « pas d’impôt » ne concerne que l’impôt sur le revenu des personnes physiques, mais pas les autres contributions des ménages de toutes conditions.
Déjà, la moitié d’entre eux ne sont pas assujettis à l’IR parce que leurs revenus sont trop faibles, et il y a encore tous ceux qui paient la taxe foncière, et qui vont payer des taxes diverses1.
Madame le Premier ministre a très vite appris l’art de communiquer, elle a eu à l’Élysée un maître orfèvre en la matière. Elle veut persuader les Français qu’ils ne sont pas harcelés fiscalement. C’est difficile à faire passer dans un pays où les prélèvements obligatoires atteignent le pourcentage astronomique et le record européen de 57 %, étant bien entendu que les impôts et taxes représentent à eux deux une masse inférieure à celle des cotisations sociales qui financent la Sécurité sociale.
Je me fais un devoir de contredire madame Borne, ce qui est fait par la plupart des commentateurs, mais surtout de rappeler les réformes que les libéraux proposent en matière de fiscalité.
La réduction des impôts ne suffit pas
Non seulement le gouvernement ne réduit pas les impôts, mais il n’y a aucune chance que ceux-ci baissent un jour si la sphère de l’État ne se réduit pas.
II y a trop d’impôts parce qu’il y a trop d’État. Le volume extraordinaire de la dépense publique provient de ce que l’État et ses administrations veulent prendre en charge la totalité des activités de la nation : éducation, santé, logement, transports, agriculture, culture, sport et tant d’autres choses encore.
Or, la gestion administrative est, surtout en France, bureaucratique, centralisée, dirigiste, donc irresponsable, devenant progressivement déficitaire structurellement. Il y a gaspillage des fonds, gaspillage des personnels (37 % du personnel des hôpitaux publics sont chargés des tâches administratives alors que manquent médecins, urgentistes, infirmiers, brancardiers, aides soignantes).
Milton Friedman avait suggéré une réforme de nature à éviter l’arbitrage délicat entre dépenses et activités à alléger : réduire le budget de chaque ministère du même pourcentage. Ce n’est pas notre conception en France, car le drame budgétare est le montant ridicule des budgets pour les fonctions régaliennes de l’État : défense, police, justice.
Voilà des années que ces fonctions manquent d’investissements, de personnels : on commence à le réaliser aujourd’hui. À une question que m’avait posée Jacques Rueff, j’avais estimé le taux optimal de dépenses publiques de l’État à 12 % du PIB, ce qui suffisait à financer les monopoles légitimes qu’il exerce : ceux de l’usage de la contrainte pour protéger les personnes et leurs biens. Faire des économies n’est donc pas la bonne recette, car on ne saura jamais où les trouver, et on les compensera par des niches fiscales, qui sont autant de passe-droits.
La progressivité : un principe arbitraire et destructeur
La fiscalité française se caractérise par un très haut niveau de progressivité.
Certes, des records avaient été battus ailleurs avec, pour les tranches extrêmes, des taux égaux ou supérieurs à 90 % (Angleterre et États-Unis avant Thatcher et Reagan).
Mais ces pays ont changé radicalement leur position, et l’effet Laffer a valu des années de croissance dans ces pays où le taux d’imposition peut être constant pour toutes les tranches de revenus avec la flat tax2, mais en tout cas, le nombre de tranches réduit à deux, avec le taux le plus élevé à quelque 20 %.
Faut-il revenir sur l’arbitraire de la progressivité ?
Imposer davantage les riches participe d’une idéologie égalitariste, qui explique les inégalités comme le fruit d’une rente ou d’une exploitation des personnes ordinaires par des possédants héritiers. L’héritage de Ricardo et de Marx est une aubaine pour la gauche révolutionnaire. Contrairement à son origine, l’impôt est donc devenu un outil de redistribution entre classes sociales et, dit-on maintenant, entre classes d’âges.
Messieurs Jean Tirole et Olivier Jean Blanchard ont plaidé pour la confiscation des héritages et leur redistribution aux jeunes qui seraient dotés d’un capital financier leur permettant de réussir leurs projets. Dans ce raisonnement il n’y a aucune référence, ni au sens d’un patrimoine constitué tout au long d’une vie pour assurer la retraite et la succession ni au devoir de travail, d’épargne et de créativité pour réussir.
Voilà précisément où est le drame de l’impôt progressif : il détruit les vertus économiques et humaines essentielles que sont le travail, l’épargne et l’esprit d’entreprise.
L’effet Laffer s’explique très simplement : il existe un taux critique d’imposition au-delà duquel les contribuables réduisent ou cessent leur activité. Il est prouvé que les contribuables sont heureux quand ils payent plus d’impôt, à condition qu’après son paiement il subsiste une part importante de leurs gains.
Ce qui est important, ce n’est pas ce qu’on paye, c’est ce qu’on conserve pour soi. Nul ne veut travailler pour le percepteur. À l’inverse, quand les gens ont le sentiment qu’il leur restera assez d’argent après le passage du fisc, ils multiplient leur activité.
Je me souviens hélas avoir visité Alain Madelin à Bercy en 1995 quand il fut (pour un temps très bref) ministre de l’Économie et avoir entendu dire : « À Bercy on ne croit pas à Laffer ». Aux États-Unis, Laffer apportera vingt ans de croissance ininterrompue et de plein emploi.
On dit encore que les Français sont rebelles au travail.
Mais d’une part, ils sont bénéfciaires d’aides sociales nombreuses qui les dispensent de travailler (indemnisation du chômage, stages de formation sans avenir) ; d’autre part, ils sont découragés par les revenus nets qu’ils vont gagner après prélèvements sociaux et taxes de toutes sortes.
Ils ne comprennent pas qu’ils n’ont pas les formations et expériences voulues pour être immédiatement productifs. L’expérience prouve que nul jeune, nul immigré, ne peut s’intégrer dans une société sans marché du travail libre et concurrentiel. En France, la fiscalité et le syndicalisme font tout pour marginaliser la jeunesse.
Ménages et entreprises : la lutte des classes
Ce n’est pas par hasard que madame Borne parle de « ménages » à propos de l’impôt.
Elle aurait pu distinguer impôt sur les personnes physiques et impôts sur les sociétés, comme on distingue aussi en économie consommateurs et producteurs. Mais la gauche a découvert un moyen adroit de donner une dimension plus politique aux relations qui s’établissent entre ménages et entreprises.
L’idée est que les entreprises ne rémunèrent pas le travail à sa juste valeur.
D’ailleurs, les revendications sont incessantes pour un « nouveau partage de la valeur » et une hausse des salaires pour lutter contre l’inflation. La justice sociale consiste donc à rétablir un équilibre rompu par le système capitaliste : pour éviter d’augmenter l’impôt sur les ménages, et pour maintenir les dépenses et déficits à un niveau « raisonnable », il faut et il suffit de prélever davantage sur les entreprises.
Nous avons même été gratifiés d’une brillante thèse de Anne-Laure Delatte dans son récent ouvrage L’État droit dans le mur , selon laquelle les « néolibéraux ont augmenté les impôts ».
Voilà un constat relevant de l’oxymore. Il doit y avoir erreur quelque part sur la définition des ultralibéraux ou sur les impôts. En réalité, la dame s’en sort très bien, au prix d’une démonstration assez sophistiquée.
Elle partant du constat que « les impôts payés par les entreprises et les ménages s’élevaient à 18 % du PIB en 1949, ils ont atteint les 30 % en 2021, soit 750 milliards d’euros cette année-là ! »
Or, ce n’est pas par hasard que cette croissance s’est produite car, écrit-elle, aux yeux des néolibéraux, « l’enjeu n’est pas la taille des impôts, mais plutôt qui les supporte et à qui ils profitent » (p. 51).
C’est que pour l’auteur, la fiscalité pèserait aujourd’hui dans notre pays sur les ménages bien plus que sur les entreprises, situation qui serait imputable… à l’application des principes « néolibéraux » depuis plusieurs décennies.
Voilà qui explique d’une part que la droite et les centrales patronales demandent moins d’impôts « sur la production » ; et d’autre part, qu’il faut à gauche demander de ne plus faire porter la charge fiscale sur les ménages, et la transférer sur les entreprises. Les patrons doivent combler les déficits publics, ils ont assez d’argent pour augmenter les salaires et pour payer plus d’impôts, alors que les gouvernements successifs n’ont cessé de leur faire des cadeaux (n’ont-ils pas aussi profité de ces multiples chèques du « quoi qu’il en coûte » ?).
Il va de soi que cette escroquerie intellectuelle n’est que propagande politique, elle n’est que campagne contre le capitalisme, au nom de la « justice sociale » qui vient compenser les tares de l’exploitation du prolétariat.
Évidemment, une évidence économique échappe au concept de lutte des classes : derrière les entreprises, il y a des hommes et des femmes. Les actionnaires eux-mêmes sont en grande partie des personnes de toutes sortes, des cadres et du personnel d’entreprises sociétaires ont des actions de leur entreprise (c’est une des formes possibles de la participation volontaire).
Dans la vie économique, sociale et politique, il n’y a pas de classe, il y a des êtres humains.
Évidemment, les sociologues occupent le terrain économique, et toutes leurs théories sont holistes, ignorent la logique et les procédures du comportement personnel. Les « partenaires sociaux » ont fait disparaître le libre contrat de travail et la liberté d’entreprendre. Et l’État est le juge suprême.
La propriété privée n’est plus reconnue
Madame Borne fait comme si les ménages ne payaient pas d’impôt foncier. Plus généralement, la richesse et le patrimoine sous forme immobilière sont non seulement fiscalisés, mais aussi spoliés par le droit positif.
L’impôt foncier s’est envolé depuis la suppression de la taxe d’habitation, présentée à tort comme un impôt injuste et impopulaire, alors qu’il était une des rares marques d’autonomie financière des communes.
Voici ce qu’en dit Jean Philippe Delsol, président de l’IREF :
« Sur l’immobilier pèsent encore les taxes foncières qui ne sont pas anormales en soi pour que les contribuables participent aux dépenses locales. Mais les bases de ces impôts, non révisées depuis 50 ans, sont injustes et incohérentes. Par ailleurs, la suppression de la taxe d’habitation incite les collectivités locales à reporter leurs hausses d’impôt sur la seule taxe foncière. Les taux s’envolent en 2023, et le législateur a décidé d’une augmentation de 7,1 % des bases fiscales concernant plusieurs impôts locaux (taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties, cotisation foncière des entreprises, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, les taxes d’habitation sur résidences secondaires…). Cette revalorisation forfaitaire des valeurs locatives est un record depuis au moins 30 ans après une hausse déjà significative de + 3,4 % en 2022 ».
Mais, pire encore, le président Macron a supprimé l’impôt sur la richesse mis en place par les socialistes, mais il a maintenu un impôt sur la fortune immobilière . (IFI). Vous pouvez donc accumuler des millions sous forme d’actions, obligations, créances de toutes sortes, actifs d’entreprises, tableaux de maîtres, momies égyptiennes, mais pas sous forme immobilière.
À quelle logique cette exclusion a-t-elle obéi ? Y a-t-il encore ici une réminiscence de la lutte des classes entre les propriétaires d’immeubles et d’appartements, et le prolétariat des locataires ?
Toute la législation des baux est dominée par cette asymétrie, et les choses se sont aggravées au fil du temps, jusqu’à rendre le propriétaire responsable des dégâts causés par des squatteurs ! Le blocage des loyers a été réintroduit dans la plupart des grandes villes, les risques locatifs n’ont cessé d’augmenter (loyers impayés, détériorations, expulsions). Rien d’étonnant à ce que l’investissement immobilier locatif disparaisse progressivement.
Ainsi l’État est-il responsable de la crise aiguë du logement que traverse la France aujourd’hui.
Les « logements sociaux » ont tué les logements privés en faussant la concurrence : construits dans le cadre de plans d’urbanisme aberrants et politisés, aggravés par les dispositions de la loi Gayssot (devenue loi RNUR, puis RUR), financés sur fonds publics à des taux ridicules, attribués suivant des critères souvent électoraux (un gros tiers des occupants est au-dessus du plafond de revenus prescrit par la loi), les HLM sont aussi devenues des ghettos pour immigrés, la « politique de la ville », dans laquelle l’État prétend avoir investi 40 milliards d’euros, a été un échec total, comme l’est habituellement un bien public géré par une bureaucratie politisée.
La propriété immobilière est-elle un crime social ?
La loi et la jurisprudence le laisseraient penser, mais l’accession à la propriété demeure un objectif pour une moitié de Français (moins propriétaires que le reste de l’Europe à l’exception des Suisses). L’investissement dans la pierre demeure une sécurité pour le troisième âge, soit pour éviter le paiement d’un loyer, soit pour percevoir des loyers. C’est la meilleure assurance contre l’explosion du système de retraites par répartition qui a la vie dure, en dépit de sa faillite déjà actuelle.
On voit aussi l’animosité de notre législation fiscale à l’encontre du patrimoine, à l’occasion des successions. Véritable spoliation puisque les impôts ont été déjà payés sur ce patrimoine durant toute une vie ; et véritable ignorance de ce qu’est une famille avec la solidarité intergénérationnelle, les impôts sur les successions n’existent pas dans la plupart des pays riches, et quand ils existent encore, c’est avec des exemptions très larges. Ils ne sont dûs que sur les très hauts patrimoines (ce qui est d’ailleurs injuste, mais qui permet de ne frapper que l’extrémité du neuvième décile de richesse).
Faut-il encore ajouter à ces drames fiscaux le fait que la France souffre d’une grave pénurie foncière ? Le prix du terrain à bâtir représente souvent la moitié du prix total de la construction. Cela concerne le pays à la densité de population la plus faible d’Europe.
Comme le dit un essayiste libéral qui assimile la bureaucratie française à l’hydre de l’Erne, existera-t-il un Hercule pour couper toutes les têtes ?
Frédéric Bastiat, apprécié à juste titre par tous les libéraux classiques français, rappelait que « l’homme naît propriétaire », et que la propriété est l’institution qui permet à chacun de démontrer ses propres capacités, au service de la communauté.
Le collectivisme supprime la personnalité, il ne peut pas reconnaître la singularité de l’être humain.
« Tout être humain est unique et irremplaçable » disait Jean Paul II, en écho à Léon XIII qui a dès le début condamné le socialisme parce qu’il supprimait la propriété privée. Les taxes ne sont pas assimilables à des impôts compte tenu de leur assiette : l’impôt est payé par tous les contribuables et sa destination n’est pas connue, il se fond parmi les recettes budgétaires, alors que la taxe est perçue en échange d’un service public rendu, même s’il est obligatoire (par exemple l’enlèvement des ordures ménagères, l’apprentissage ↩ À ne pas confondre la flat tax avec le PFU (Prélèvement forfaitaire unique, stupidement appelé flat tax par le gouvernement et les praticiens fiscaux). Sur la vraie flat tax et sa diffusion en Europe, on peut consulter l’ouvrage de Robert E. Hall et Alvin Rabushka (trad. de l’anglais par Jan Krepelka, préf. Jean-Philippe Delsol et Pierre Garello), La Flat Tax : La révolution fiscale , Paris, coll. « Studies in economic and social order », 2009, 191 p., 21 cm ↩