Noël 1925 à Oran.
La famille au complet est réunie autour de la table, attendant que sonne l’heure de réveillonner. Dans les plats, c’est un amoncellement de friandises et fruits secs de circonstance , nougats aux amandes, nougats tendres, pralines et dragées importées de la péninsule ibérique, marrons glacés voisinant avec leurs frères à la brune pelure, les noix, les amandes, les dattes muscades et les raisins secs de Malaga. Et, petits et grands, aux yeux de clairs regards de joie, croquent à belles dents, arrosant mais pas trop cette frugale nourriture, de vin blanc tiré du coin sombre de la cave, où l’avait caché grand-papa.
Le phonographe graillonne des airs à la mode : fox trott, blues et tango, accueillis avec joie par les adolescents. Ailleurs, c’est au son de l’accordée populaire, de la mandoline, du piano, du violon et voire de l’harmonica, que l’on danse gaiement, sans souci du vain protocole.
Dans les rues et les boulevards, brillamment illuminés, l’animation est grande. Les taxis font d’excellentes affaires ; il en est de même des pâtisseries, dancings, restaurants et cafés. Dans l’air, que n’agite aucune brise, volent des bribes de chansons, de musiques. C’est la joie, c’est le bonheur qui adoucit l’amertume de la vie.
Puis, c’est minuit. Les cloches lancent leur appel vers la ville et les fidèles, par petits groupes, se dirigent, qui vers les églises de quartier et qui vers la Cathédrale du Sacré Cœur. Celle-ci regorge de monde. Les élégantes habituées y sont venues plutôt pour montrer leurs luxueuses toilettes que pour y prier et adorer l’Enfant-Dieu. Quant aux âmes simples, elles songent à ce symbole éternel de Dieu adoptant l’enveloppe charnelle afin de sauver l’humanité embourbée dans le Mal.
Enfin, c’est le retour au logis, l’intime réunion autour de la table plantureusement servie ; c’est l’allégresse du ventre bien rempli, éclatant en exclamations joyeuses, en chansons de circonstance. Et la nuit où l’on commémore la Naissance de Jésus-Christ, s’achève comme elle a commencé : dans le délire et la joie.
Mais n’oublions pas les enfants ! La coutume veut que, vers minuit, le Papa Noël, à la blanche barbe, passe dans toutes les cheminées et garnisse les petits souliers de jouets et de friandises. Quelle explosion de joie, quels rires perlés, en découvrant ces petites merveilles ! Et, durant quelques jours, ce seront des jeux continuels : la patinette, le clairon aux accents guerriers, le grand cheval mécanique cher à notre enfance et, pour les filles, l’éternelle poupée fermant les yeux et poussant des bêlements traduits par des mots : Papa ; Maman !
La Vie algérienne, tunisienne et marocaine. Revue illustrée du dimanche. Lettres, arts, sports
INFANTES-POQUET.