Par Cécile Philippe et Nicolas Marques.
Un article de l’Institut économique Molinari
Dans le monde d’avant comme dans celui d’après, les entreprises jouent un rôle incontournable. Au final, tout le monde le sait. Les uns reçoivent des salaires, les autres le rendement de leur épargne ou des transferts sociaux.
Qu’on le veuille ou non, la création de valeur monétaire part le plus souvent de l’entreprise et y revient, quelle que soit sa forme. Si certaines ont meilleure presse que d’autres, en particulier, la petite entreprise, nous n’avons rien à gagner de débats biaisés fustigeant les plus grandes.
Si certains pensent qu’on peut fiscaliser et réglementer davantage les grandes entreprises comme celles du CAC 40 , cela relève soit d’une opération de destruction massive, soit d’une myopie dont nous devrions nous prémunir.
Le principe de « l’incidence fiscale »
Les entreprises sont des lieux de coordination d’individus pour réaliser des projets, dont on espère qu’ils vont produire de la valeur pour leurs consommateurs. Les fiscaliser n’est jamais anodin. Comme l’explique l’économiste Pascal Salin , les entreprises en tant que telles ne paient pas d’impôts. En bout de ligne, ce sont les individus comme vous et nous qui les payons. L’entreprise répercute le coût de la pression fiscale sur les personnes physiques, consommateurs, salariés ou épargnants. C’est le principe de « l’incidence fiscale ».
Comme la France produit plutôt des produits peu différenciants, elle ne peut augmenter fortement ses prix de vente. Du coup, une partie du poids de la fiscalité est reportée sur les salariés. Plus la fiscalité est lourde, plus il y a de modération salariale, voire des pertes d’emploi.
Le coût des impôts peut aussi être répercuté sur les épargnants-actionnaires, qui comparent le rendement après impôts. Les entreprises sont alors contraintes de faire davantage d’efforts pour compenser le poids de la fiscalité française. Lorsque la fiscalité est trop élevée et que les coûts de l’entreprise se révèlent trop importants, elles peuvent être amenées à se délocaliser ou disparaître.
C’est ainsi qu’on a découvert douloureusement pendant la crise que nombre de produits de première nécessité n’étaient plus fabriqués en France. Penser qu’on pourra rapatrier les productions sans toucher aux impôts de production qui représentent 3,2 % du PIB en France, contre 1,6 % dans l’UE et 0,4 % en Allemagne, est une vue de l’esprit.
Présentation biaisée
On ne peut pas raisonner en France à propos des entreprises sans avoir bien en tête les ordres de grandeur les concernant, aussi bien en matière fiscale et réglementaire. Or, c’est très exactement ce qu’essaie de faire le dernier rapport d’Oxfam à propos des entreprises du CAC 40.
À partir d’une présentation biaisée de ces entreprises, l’ONG propose des solutions qui tirent toujours plus fort sur la corde fiscale et réglementaire, avec le risque de cliver encore plus la société. Dans les faits, les salariés ont besoin des dirigeants comme des actionnaires. Tous ont intérêt à la bonne santé financière de l’entreprise.
Le dernier rapport d’Oxfam est ainsi censé décrire l’évolution du CAC 40 entre 2009 et 2018, mais ce n’est pas le cas. Oxfam a construit un indicateur qui ne correspond ni à la composition du CAC 40 de 2018, ni à sa composition dans les années qui précède, ni au noyau dur des 32 entreprises faisant partie du CAC 40 en 2009 et 2018.
L’ONG prétend éclairer l’évolution des inégalités avec son indicateur « maison » qui n’est pas représentatif. Il intègre même une entreprise, Solvay, absente du CAC 40 au début comme à la fin de la période sur laquelle Oxfam se focalise.
La période d’analyse d’Oxfam est tout aussi contestable. L’ONG a choisi de se focaliser sur 2009-2018 pour analyser l’évolution des rémunérations des salariés, actionnaires et dirigeants. L’ONG s’alarme d’une progression des inégalités, les rémunérations des actionnaires et des dirigeants ayant progressé plus vite que celles des salariés sur cette période.
Mais 2009 n’est pas une année anodine, les dividendes et les rémunérations des dirigeants étant cette année-là à leur plus bas. Oxfam oublie de préciser que les dividendes avaient, en effet, baissé de 18 %, entre 2008 et 2009 et que les rémunérations des dirigeants avaient chuté plus encore, avec -45 % entre 2006 et 2009.
En écartant les baisses de rémunérations des actionnaires et des dirigeants et en se focalisant sur les périodes de hausse, Oxfam produit une analyse biaisée. Les rémunérations des actionnaires et des dirigeants augmentent lorsque la santé financière des entreprises est bonne et diminuent lorsque c’est l’inverse.
Oxfam s’indigne d’une augmentation bien plus rapide de la rémunération des dirigeants figurant dans son échantillon sur sa période d’analyse, mais oublie de préciser que sur un cycle économique complet la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 a progressé d’à peine 1,4 % de 2006 à 2018, soit 0,11 % par an.
Le sujet de la rémunération des dirigeants, fort intéressant soit-il, ne devrait être en aucun cas l’alpha et l’oméga du débat politique. L’an passé, la rémunération des 40 dirigeants représentait 0,07 % ou 1/1335ème des dépenses de personnel des entreprises du CAC 40.
Et contrairement à une idée reçue, les dirigeants et les assemblées générales sont précautionneux. Les chiffres publiés il y a quelques jours par Ethics & Board montrent que les rémunérations des dirigeants français ont baissé de 9,1 % en 2019, alors que le CAC avait enregistré sa meilleure performance depuis deux décennies, avec + 26,5 %.
Loin des idées reçues, on ne constate pas que le fossé se creuse entre dirigeants et sur le cycle économique que nous venons de traverser de 2006 à 2019. Bien au contraire, on observe que les rémunérations des salariés ont progressé bien plus vite que celle des dirigeants du CAC 40.
D’une manière générale, les chiffrages que nous avons publiés récemment montrent que les salariés ne sont pas les victimes des entreprises . En 2019, 5 millions de salariés des entreprises du CAC 40 ont bénéficié de 267 milliards d’euros de dépenses de personnels, suivis par les Etats, avec 80 milliards de prélèvements obligatoires, puis des actionnaires, avec 42 milliards de dividendes après impôts.
Les entreprises ne sont certainement pas parfaites, mais il n’y a rien à gagner à multiplier les propositions de changements radicaux à partir de constats inexacts. On risquerait de faire plus de mal que de bien.
Dans cette phase difficile qui s’annonce, nous avons plus que jamais besoin des entreprises et il convient de garder les idées claires à leur sujet. Elles doivent concilier les intérêts de toutes les parties prenantes et non s’aligner sur les attentes de ceux qui sauront crier le plus fort.
Les entreprises françaises souffrent d’un excès de fiscalité et de normes. Il serait destructeur d’amplifier ces travers au nom d’enjeux plus politiques qu’économiques.
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