Longtemps niée ou édulcorée par les organismes officiels, l’inflation s’est installée durablement à un niveau élevé dans le paysage économique. Irrésistiblement, elle rogne le pouvoir d’achat du plus grand nombre.
De ce fait la situation est de plus en plus tendue sur le front des salaires, ce dont témoigne de manière éclatante l’offensive lancée par la CGT dans le secteur de l’énergie. Les commentaires qu’elle suscite en boucle dans tous les média risquent toutefois de fausser l’analyse des tenants et des aboutissants de cette question devenue brûlante.
La fausse piste des superprofits
En polarisant l’attention sur ce qui se passe depuis trois semaines chez Total et Exxon, on oriente en effet l’analyse sur la fausse piste des superprofits et des injustices supposées de la répartition de la valeur ajoutée. L’envolée du cours des énergies fossiles est effectivement une aubaine pour les pétroliers. En 2021, les profits de TotalEnergies se sont élevés à 16 milliards de dollars dont six ont été affectés à l’intéressement du personnel (sous forme de prime s’ajoutant aux salaires), huit aux actionnaires sous forme de dividendes et deux à des rachats d’action pour en soutenir le cours.
Trouver que c’est beaucoup pour les actionnaires, c’est oublier qu’une évolution favorable de la valeur de ses titres est indispensable pour que l’énergéticien trouve à des conditions favorables les énormes capitaux dont il a besoin pour financer sa stratégie de redéploiement vers des sources d’énergie décarbonée. En émettant de nouvelles actions qu’elle n’aura jamais à rembourser à leurs propriétaires, l’entreprise émet en effet sa propre monnaie et doit faire en sorte que son cours soit le plus élevé possible.
On comprend bien qu’en 2022 les comptes devraient être encore plus florissants. C’est une très bonne nouvelle pour le futur de la transition énergétique à condition que les profits ne soient pas confisqués par la puissance publique ou ne servent à augmenter les rémunérations déjà élevées de son personnel.
La fausse piste de la pingrerie des patrons
Or pour une partie de ses membres, le groupe doit non seulement maintenir leur pouvoir d’achat mais aussi l’augmenter sensiblement en surindexant leurs rémunérations sur les prix.
Dans ce combat, ils se positionnent comme la force qui ouvre la voie à une augmentation générale des salaires dans tous les secteurs quelle que soit leur situation financière et fera rendre gorge au patronat. C’est le meilleur moyen pour enclencher une spirale infernale prix/salaires dont on sait qu’un pays ne sort jamais gagnant.
C’est aussi suivre une voie qui fait peser un fardeau injustifié sur le dos des entreprises. On les accuse d’entretenir le niveau relativement faible des salaires dans notre pays, et en particulier de ceux qui se situent en bas de la pyramide alors que leurs marges de manœuvre sont fortement contraintes par la surtaxation que leur impose l’État.
Outre la pingrerie dont elles feraient preuve dans le dialogue social, elles auraient aussi collectivement initié un processus de déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des revenus du capital, ce qui est grossièrement faux.
Depuis 40 ans la clé de répartition entre ces deux grandeurs est restée remarquablement stable, comme le montrent très clairement les études de l’INSEE.
La responsabilité des politiques publiques
Pour expliquer le bas niveau des salaires nets en France si on le compare à ce qu’on observe dans les pays de niveau de développement comparable, c’est vers l’État qu’il faut se tourner.
Omniprésent, il étouffe l’économie sous le poids de prélèvements obligatoires depuis longtemps anormalement élevés et qui de surcroit ont encore augmenté ces dernières années (41 % du PIB en 2009 – 44 % aujourd’hui). Autre chiffre encore plus significatif, le rapport des dépenses publiques à la richesse créée a bondi de 55,4 % en 2019 à 59 % en 2021. Entre ces deux agrégats le fossé est comblé par l’endettement des administrations publiques dont le montant vertigineux hypothèque le pouvoir d’achat futur en raison de l’énormité des charges d’intérêt et des remboursements à venir. En contrepartie, nos concitoyens ne bénéficient que de services publics médiocres et dont la qualité ne cesse de se dégrader qu’il s’agisse de l’éducation ou de la santé.
Si le niveau de rémunération stagne dans notre pays on le doit avant tout à l’État qui ponctionne les entreprises à travers une myriade de taxes et d’impôts (en particulier ceux qui frappent la production). En outre, dans la fonction publique comme dans le secteur privé, les 35 heures voulues par le gouvernement Jospin ont cassé la dynamique d’augmentation des salaires et démotivé les agents économiques.
Pas de meilleurs salaires sans moins d’État
C’est dans ce contexte que se profile aujourd’hui l’ombre de la « grande démission » qui déjà s’étend à bas bruit dans notre pays.
Par rapport à l’avant-covid, les offres d’emploi non pourvues ont été multipliées par plus de deux, les démissions ont augmenté de 20 % et les ruptures conventionnelles de 15 % . À leur niveau le plus élevé depuis 20 ans les tensions à l’embauche contribuent à leur tour à l’inflation et entretiennent la course sans issue des salaires et des prix. Manifestement, les nouvelles générations aspirent moins au travail que leurs ainés et la capacité collective de travail régresse, ce qui est de très mauvais augure au regard de l’immensité des efforts à accomplir pour adapter notre économie aux défis qui l’attendent.
Pour insuffler à nouveau le goût de l’effort et restaurer l’envie de travailler, un des principaux leviers est d’augmenter les incitations salariales. Pour y parvenir, la seule issue est de diminuer la pression fiscale réelle, c’est-à-dire réduire la place des administrations publiques. Seul le dégonflement de l’État nounou, envahissant et inefficace, permettrait de retrouver des marges de liberté au prix d’un peu plus de responsabilité.
Le moins qu’on puisse dire est qu’on n’en prend pas le chemin. Il est probable que cela est dû bien davantage au poids de l’inertie qu’à un véritable choix de société.