En relisant dans une revue sociale une double-page consacrée aux 70 ans du « Monde », ce « quotidien de référence » imposé à tous les élèves et étudiants de France dans les bibliothèques et autres CDI, je redécouvre l’article du 17 Avril 1975 décrivant l’enthousiasme populaire à l’entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh. Il s’agit sans doute là d’un des sommets de l’irresponsabilité journalistique. La respectabilité du journal permettait à la sympathie idéologique de camoufler de la propagande en information. Les années qui suivirent verront ces « sympathiques » révolutionnaires idéalisés par les gauchistes de Mai 1968 devenir des génocidaires sans pitié. Le Cambodge communiste, allié de la Chine maoïste, sera victime d’un massacre de masse parmi les pires de l’Histoire : entre un et deux millions de morts, « un habitant sur sept au moins, et plus probablement un sur quatre ou cinq » est-il rappelé dans « Le Livre Noir du Communisme » publié 20 ans plus tard.
La liberté de la presse est un pilier de la démocratie. On peut regretter qu’elle soit limitée par une loi qui élargit sans cesse le délit d’opinion au profit d’une pensée unique qui désinforme à jet continu. Si certaines idées sont bannies, en revanche, on peut vérifier chaque jour l’identité des contenus, la concentration des thèmes abordés, et sur certains sujets, la domination d’une orientation de la pensée. Dans cet espace, le journaliste jouit d’une grande liberté, d’une protection de ses sources, qui doit certes être sauvegardée, mais qui frise parfois la complicité. Chauve-souris de la société, il est porteur des idéologies qui la traversent, et revendique cependant les ailes d’une indépendance qui n’interdit rien et lui offre d’être au-dessus de la mêlée. Sauf à renforcer la liberté d’expression en abrogeant toutes les lois qui la restreignent, et à poursuivre au contraire les pratiques qui font d’un citoyen, qu’il soit journaliste ou non, le complice d’un délit ou d’un crime, on ne voit pas comment améliorer les choses sinon en appelant les journalistes à une plus grande responsabilité.
Ces dernières 48 heures ont été envahies par un sujet : la présence de « français » parmi les assassins de l’ »état islamique ». Que le sujet soit préoccupant est une évidence. Que la manière de le traiter soit une aberration en est une seconde plus inquiétante peut-être que les faits eux-mêmes. J’ai entendu un commentateur vanter les mérites, s’extasier presque, en « spécialiste » du savoir-faire de « Daesh », l’acronyme arabe utilisé pour ne pas stigmatiser l’Islam. Cette « exécution » de masse de prisonniers de l’armée régulière syrienne, celle que la France aide à combattre, quel exploit médiatique ! En parallèle, l’égorgement à tour de rôle des otages, avec annonce du suivant, quelle technique ! Plus c’est horrible, plus on en parle ! Ils sont vraiment très forts ! Si on ne montre pas l’atrocité, on la commente, pendant que passent les images de défilés martiaux des « djihadistes, afin que la publicité, recherchée avec tellement de talent, soit encore plus opérante. En prime, on voit les parents éplorés implorer la mansuétude des fanatiques. Une américaine, couverte d’un voile, le regard baissé, la voix cassée, en appelle à la miséricorde pour son fils converti, mais ancien soldat en Irak passé à l’humanitaire. Un prétendu « état » s’est installé à cheval sur la Syrie et l’Irak, en réunissant de façon improbable des salafistes et des baasistes revanchards, grâce à la totale impéritie d’Obama, la coqueluche un peu défraîchie de nos médias. Il tient tête au monde entier et à sa plus grande puissance militaire qui n’ose même pas l’affronter au sol. Humilier l’ennemi, se faire craindre de lui ! Quelle aventure exaltante pour les jeunes désaxés de nos sociétés ! Et si trois « français » lancent un appel à rejoindre le combat, nos télévisions d’information s’empressent de le relayer. La presse suit. Des « français » brûlent leurs passeports : le mépris des pays, la guerre à celui-ci sont diffusés en boucle Effectivement, la propagande est efficace, mais grâce à qui ? Les renégats qui devraient être traités avec mépris, ignorés des médias, et circonscrits aux réseaux terroristes sur Internet, et aux recherches de la police, deviennent des stars. On reconnaît l’un, on a des doutes sur l’autre. Pourquoi une telle complaisance ? Mesure-t-on l’effet produit sur les candidats éventuels par une telle mise en valeur ? Evalue-t-on le risque auprès des jeunes à qui on aura déjà appris à haïr la France et son Histoire ? Mais, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, courrez donc chercher la connexion sur votre PC !
L’information est le reflet condensé de notre société. Son irresponsabilité est l’aveu de celle qui la traverse de part en part. L’absence de maîtrise de l’immigration, l’effet à sens unique et suicidaire de la laïcité, l’idéologie multiculturaliste et communautariste, la politique étrangère absurde qui rend notre pays complice de la guerre civile répandue dans le monde arabe et musulman et nous met dans la situation stupide de combattre à la fois les islamistes et le nationalistes syriens au profit de « modérés » imaginaires, forment une série ininterrompue de contre-sens. L’information sur le mal qui se mue en propagande involontaire de celui-ci est la cerise sur ce gâteau empoisonné.