Par Georges Lafon *
La présente analyse suppose qu’il n’y ni deux, ni dix, mais quatre France de dimensions inégales qui cohabitent actuellement sur le territoire national Une France rayonnante, constitué du cœur des principaux pôles urbains métropolitains. Une France CSP+, incarnation de la start-up nation, cumulant les emplois qualifiés et les hauts revenus, dont la richesse produite ne ruisselle que dans ses environs immédiats. Une France pro-européenne, intégrée aux circuits de communication internationaux. Une France du pouvoir d’achat, sensible aux questions sociétales et qui mange bio. Une France qui vote Macron ou écolo en toute bonne foi. Une France attractive, bénéficiant avant tout d’un emplacement privilégié, autour des métropoles, des frontières suisse et allemande et des littoraux. Bénéficiant de ressources liées au tourisme, à des industries non délocalisées, à l’économie frontalière ou à la présence de retraités avec un bon pouvoir d’achat, le chômage et la pauvreté sont relativement moins élevés qu’ailleurs. Attachée à son terroir, cette France vote plutôt pour des candidats et des partis modérés et ancrés depuis longtemps sur ce territoire : Les Républicains, Parti Socialiste, Modem, UDI, Radicaux et plus récemment Verts. Une France oubliée, périurbaine et rurale, incluant les territoires d’Outre-Mer, tenue éloignée des grands centres urbains, industriels ou touristiques. Une France vieillissante, perdant des habitants, où les jeunes qui partent sont difficilement remplacés. Une France de petites villes et de campagnes, une France d’agriculteurs, d’ouvriers et d’employés, de petits entrepreneurs qui ont tous connu la précarité à un moment ou à un autre. Une France qui ne s’exporte pas à l’international, et où les touristes s’y font rares hors saison. Dans cette France qui respecte la loi et paie ses impôts, les Gilets jaunes furent appréciés et les ronds-points souvent occupés. Une France qui s’abstient massivement, ou vote de plus en plus souvent pour un parti contestataire (FI, ou le plus souvent RN) lors des élections. Une France perdue par la République, par l’accumulation de handicaps non résolus depuis 40 ans. Autrefois poches de misère appelées à se résorber par les effets conjugués de la politique de la ville et de l’éducation, de plus en plus de territoires basculent peu à peu dans une réalité qui s’affranchit des lois communes. Les problèmes de sécurité publique y sont devenus récurrents, des trafics s’y sont développés, le maintien de services publics apparaît de plus en plus aléatoire. Ces territoires « perdus de la République » (5), et parfois même « conquis de l’islamisme » (6), sont une terre d’accueil (par défaut) de populations et de familles paupérisées, déracinées, au faible capital culturel et social. La proximité géographique avec les centres métropolitains permet toutefois un accès à l’emploi (le plus souvent non qualifié) plus aisé que dans la France oubliée. Cette France de « quartiers prioritaires » et de « reconquête républicaine » a vu se développer de nouvelles formes et de contrôle et de gestion du territoire qui se sont progressivement substituées aux institutions républicaines. L’abstention y est massive depuis de nombreuses années, et les comportements électoraux résiduels semblent conditionnés par des pratiques clientélistes fondées sur des bases communautaires, ethniques et/ou religieuses. Cette France perdue est devenue une « terre de mission » à reconquérir voire à libérer.
On parle beaucoup des métropoles et des quartiers sensibles, mais finalement assez peu du reste du territoire, pourtant largement majoritaire. L’attention générale (et les fonds publics) est souvent portée davantage vers le rayonnement de la France et de ses grandes entreprises, ou à la gestion de ses quartiers défavorisés les plus visibles.
Or, la grande majorité de la population (40 à 60 millions) vit ailleurs. Dans cette France profonde, pacifique, légaliste et laborieuse, attractive et oubliée, constamment ignorée par les élites, invisible la plupart du temps, et pratiquement instrumentalisée lors des élections.
Partant de ce constat d’une France aussi divisée, comment imaginer réunir de nouveau les Français autour d’un projet fédérateur à même de transcender les différences et les divergences d’intérêt ?
La tâche du candidat populaire ne sera pas facile, mais accessoirement, son programme sera probablement le seul à même de réconcilier la grande majorité des Français avec eux-mêmes. De réduire le gouffre s’élargissant entre les métropoles et les territoires périphériques. De mieux répartir les activités et les ressources entre les territoires attractifs et les territoires oubliés. Et enfin, de résorber durablement les plaies ouvertes qui ont conduit à la perte de contrôle de quartiers entiers, et qu’il est urgent de raccrocher à la République. Mais impossible n’est pas français, n’est-ce pas ?
(*) Historien de formation, Georges Lafon est cadre dans la fonction publique, en charge de questions liées au développement économique.
Source : site du Front populaire