Ces dernières semaines, tout s’accélère. L’épuisement des foules au sujet de la pandémie, la normalisation du virus et l’abandon progressif des mesures sanitaires pour calmer les agacements de plus en plus palpables de la population ont laissé place à l’hystérie entourant la guerre russo-ukrainienne et, avec elle, à ce qui s’apparente maintenant à un véritablement basculement géopolitique.
Il est évident qu’au milieu de ce conflit, les choses sont encore confuses : il faudra probablement des années pour que les nouveaux équilibres s’établissent à partir des tendances qui viennent de se mettre violemment en mouvement ces dernières semaines mais il n’en reste pas moins évident que ce qui tenait encore d’une évidence il y a trois mois est remis en question chaque jour qui passe.
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Ainsi, la suprématie militaire et organisationnelle de l’OTAN tenue pour acquise depuis les démonstrations de force de l’invasion irakienne au début du millénaire, semble bien lointaine alors qu’un constat de relative impuissance doit être établi face à l’utilisation offensive du bouclier nucléaire par les Russes.
Ainsi, les décisions politiques européennes ont clairement aggravé les difficultés de l’Union et de chacun de ses membres au lieu de parvenir à remédier à la crise observée. L’entente européenne, déjà fragile après la disparité des réactions face à la pandémie et la démonstration de désorganisation de l’Union à ce sujet, ne ressort certainement pas renforcée des débats internes concernant l’énergie que cette guerre met douloureusement en exergue. Si, de surcroît, l’on se rappelle qu’en 2000 l’Europe pondait un « livre vert » insistant sur la nécessité de diversifier ses sources et ses types d’énergies pour éviter toute dépendance mortifère, pour constater la trajectoire allemande presque diamétralement opposée aux recommandations de l’époque, on comprend que le bloc européen n’en est pas un, très loin s’en faut. Ceux qui évoquent à présent une « Europe de la Défense » en croyant que les circonstances aideraient son avènement se bercent d’illusions enfantines.
Mais bien avant ces éléments, on ne peut que voir se réaliser devant nos yeux le basculement d’une mondialisation quasi unipolaire américaine et entièrement pilotée par le dollar vers une nouvelle géopolitique multipolaire et dans laquelle le dollar n’a plus aucune hégémonie, et où l’euro ou la livre ne peuvent même pas prétendre prendre la relève (loin s’en faut).
Et non, il ne s’agit pas d’une exagération. Les tendances sont claires et le mouvement est maintenant sans appel : le règne du dollar américain est en train de s’achever sous nos yeux et cela ne doit surprendre personne.
Il y a beaucoup trop de dollars dans l’économie actuellement : l’avalanche de billets verts dans l’économie mondiale, directement provoquée par leur production dantesque ces dernières années, explique notamment l’inflation observée. On peut argumenter que la pandémie a certes nécessité des dépenses exceptionnelles qui expliqueraient cette inflation.
Cependant, la désorganisation massive des chaînes logistiques pendant et après la pandémie est largement due aux décisions des États d’imposer contrôles, confinements et arrêts de production là où, la plupart du temps, cela n’était pas nécessaire. Réorganiser ce qui a été ainsi bousculé coûte du temps et de l’argent, beaucoup d’argent. Cette augmentation des coûts pour revenir à la normale, réoptimiser les chaînes ou contourner les nouveaux problèmes, tout ceci entraîne mécaniquement une hausse des coûts logistiques qui se traduisent par une hausse des prix.
De même, les chaînes pas encore rétablies entraînent pénuries et ralentissements qui, là encore, se traduisent concrètement par des hausses de coûts et donc de prix. Les mésaventures de Maersk (un des plus gros affréteurs mondiaux) confronté en Chine à des ruptures importantes illustrent fort bien le problème.
Tout ceci favorise directement une inflation des prix, largement alimentée par la présence sur le marché d’une quantité énorme de monnaie « fraîchement imprimée ». Cette inflation peut aussi être interprétée par une baisse du pouvoir d’achat du dollar et donc, de fait, une baisse de sa valeur auprès de tous les acteurs de l’économie.
Inutile de dire que les sanctions qui frappent actuellement la Russie ajoutent à ces problèmes logistiques, mais entraînent d’autres impacts plus monétaires ceux-là : en montrant que les réserves de monnaie en euro ou en dollar ne sont pas à l’abri de saisies arbitraires par l’Europe ou les États-Unis, l’Occident a clairement mis en danger la sécurité des fonds dont il a souvent la garde. Pour les pays tiers, il devient donc vital d’envisager l’usage de monnaies de substitution.
Là encore, cette nouvelle donne affaiblit notoirement le dollar à tel point qu’on voit maintenant passer des gros titres qu’on aurait cru impensables il y a encore quelques mois : l’Inde envisage actuellement des paiements directs en roupie et en rouble pour son commerce avec la Russie, sans passer par le dollar ; l’Arabie saoudite envisage à présent d’accepter le yuan contre son pétrole, ce qui augmenterait considérablement le pouvoir de la monnaie chinoise.
Du reste, le mouvement qui consiste pour certains pays du Moyen-Orient ou d’Asie à se débarrasser progressivement du dollar n’est pas entièrement nouveau puisqu’il était déjà évoqué courant 2019 , et que certains pays envisagent – comme j’en faisais mention dans un récent billet – très sérieusement le paiement de leurs ressources dans leur monnaie ou, alternativement, en or.
Le pivot du « Monde d’Après » en dehors du dollar semble se préciser, avec en toile de fond une question lancinante : l’inflation sur l’euro et le dollar pourra-t-elle être maîtrisée ?
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Rien n’est moins sûr et on ne peut s’empêcher de penser que cette inflation serait un moyen rêvé pour les banquiers centraux d’accomplir deux buts fort pratiques.
Le premier consisterait à noyer les dettes actuelles des principaux pays occidentaux qui en ont accumulé bien au-delà de tout ce qui est raisonnable et, en tout cas, bien au-delà de ce qu’ils peuvent rembourser : une inflation galopante suffisamment longtemps permet de rembourser avec de la monnaie de singe des dettes devenues effectivement insupportables.
Le second, plus vicieux mais pas moins pratique pour les gouvernements et les banques centrales, consiste à pousser plus ou moins violemment les populations concernées vers une numérisation complète des moyens de paiement et une centralisation pointue et même définitive de ceux-ci.
Prétextant la lutte contre l’inflation qui, dans les faits, détruit complètement le pouvoir d’achat de tous ceux qui ne tètent pas directement aux robinets des banques centrales, on peut aisément imposer la mise en place de monnaies numériques entièrement émises, pistées et suivies par les banques centrales, sobrement baptisées « monnaies numériques de banques centrales » (CBDC ). En lieu et place d’un compte dans des banques de dépôt, chaque citoyen se voit attitré un compte directement à la banque centrale de la zone monétaire dont il dépend (à la Banque centrale européenne pour les citoyens européens, typiquement, ou à la Fed pour les Américains), compte qui, entièrement numérique, est entièrement à la merci de ces institutions dont, on le rappellera, aucun des responsables n’a jamais été élu par le peuple.
Tout ceci n’est pas un projet en l’air : l’e-dollar est déjà étudié et envisagé voire appelé de leurs vœux par beaucoup qui croient voir en lui un nouveau moyen de réguler qui la finance, qui les méchants fraudeurs et autres escrocs, qui l’évasion fiscale, qui les cryptomonnaies et j’en passe. Pour l’euro numérique, c’est pareil, on sent certains, à la Banque centrale européenne , se pourlécher les babines rien que d’y penser. D’autres banques centrales, et pas des moindres (Bank of England , Bank of China ), ne voudront pas rester hors course…
Pourtant, peu nombreux sont ceux qui rappellent qu’un monde où chaque transaction est scrutée par les États est un monde cauchemardesque où chaque citoyen n’a plus aucune liberté, comme je le mentionnais dans un précédent article .
L’Occident, qui fut longtemps le synonyme de progrès, de capitalisme et de liberté, est en train de perdre rapidement tous ses attributs. Certains de ses dirigeants et une partie du peuple abruti par la propagande délirante de ses médias semblent avoir choisi la sécurité d’un capitalisme de connivence et de surveillance permanente au détriment de tout ce qui a fait sa puissance.
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