Par Adelin Remy.
Le débat sur le voile (n’importe lequel, pas seulement le voile intégral) existe en France depuis 1989 : il est considéré comme un vêtement religieux et une marque de soumission de la femme, généralement musulmane, et son interdiction est vécue comme une agression par la plupart des femmes musulmanes qui revendiquent la liberté de le porter.
Le 24 octobre 2019, le président Macron a déclaré :
« Le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire […] Dans les services publics, à l’école, c’est mon affaire. Dans les services publics, il y a un devoir de neutralité, etc. »
Quoi qu’il en soit, plus international que ses prédécesseurs, il a dû se rendre compte de l’image détériorée de la France à l’étranger.
En 2009, le président Obama déclare au Caire avant de se rendre en Normandie :
« Il est important que les pays occidentaux n’empêchent pas les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils l’entendent – par exemple, en dictant les vêtements qu’une femme musulmane doit porter. Nous ne pouvons pas dissimuler l’hostilité envers une religion quelconque derrière le prétexte du libéralisme. Je rejette l’opinion de certains en Occident selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir les cheveux est en quelque sorte moins égale, mais je crois qu’une femme qui se voit refuser une éducation se voit refuser l’égalité. »
Le président Sarkozy semblait tout à fait d’accord avec lui.
En 2016, le maire de Londres Sadiq Khan déclare :
« Je pense que personne ne devrait dire aux femmes ce qu’elles peuvent et ne peuvent pas porter. Point à la ligne. C’est aussi simple que ça… l’une des joies de Londres est que nous ne tolérons pas simplement la différence. Nous la respectons, nous l’embrassons et nous la célébrons. »
C’était juste après que quatre policiers verbalisent une femme sur la plage de la Promenade des Anglais à Nice pour avoir porté des jambières (leggings), une tunique et un foulard, ce que les médias français ont appelé à tort le burkini et qui a ajouté au caractère ridicule de cet épisode. Ils auraient dû aller dans n’importe quel hôtel du Maghreb pour constater que la coexistence du burkini et des tenues de bain occidentales ne posait aucun problème.
Le débat n’est toujours pas clos puisque, durant la campagne présidentielle de 2022, la surenchère a repris à l’initiative de plusieurs partis dits de droite.123
Un faux débat
Il s’agit d’un faux débat puisqu’il est toujours possible de trouver un caractère religieux à pas mal de vêtements : le voile des veuves en Sicile, en Corse, en Grèce… le turban sikh, le voile des femmes yezidi, des Arméniennes et des femmes coptes, toute coiffure qu’il est absurde d’interdire.
À gros traits, on a prétendu que les présidents Ataturk (Turquie 1923-1938) et Nasser (Égypte 1956-1970) avaient prohibé le voile alors qu’ils avaient seulement interdit son port obligatoire (Égypte) ou encouragé de ne plus le porter (Turquie) jusqu’à ce que l’armée turque ne l’interdise totalement en 1997. Opération ratée puisqu’en 2014, l’épouse du président Erdogan devient la première first lady voilée.
Pour revenir à la France, le voile musulman étant considéré comme un vêtement religieux, il contrevient à la laïcité, une vertu cardinale des valeurs républicaines (les valeurs démocratiques pour les monarchies voisines). Y aurait-il plus de Français qui proclament que le voile est un signe religieux que de Français musulmans ?4
La jurisprudence française, celles du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’Homme, n’ont jamais invoqué le principe de laïcité. Elles ont seulement reconnu que l’État peut réglementer le vêtement pour des raisons d’ordre public (nudité intégrale), d’hygiène (dans une piscine publique, pas dans la mer) et d’organisation (écoles publiques, armée, police…). Dans le secteur privé, il suffit que la contrainte vestimentaire obéisse à la loi du marché : trop de contraintes, pas de personnel, pas de client, c’est aussi simple que ça. Autrement, on se retrouve à Kaboul.
Il faut observer que, dans les pays les plus prospères, comme la Suisse où le débat a eu lieu, la population n’a pas jugé utile d’interdire par référendum le hijab, seulement le niqab qui couvre le visage. Intuitivement, la politique serait mieux inspirée de faire participer tous les citoyens, sans exception, à la croissance économique et au vivre ensemble plutôt qu’à des problèmes identitaires susceptibles de donner à une frange importante de la population (les musulmans, près de 10 % de la population française) le sentiment de pas être des citoyens comme les autres.
Au XXIe siècle, le vêtement ne peut plus être réglementé pour tout ou partie d’une population : c’est ce que les Américains et les Anglais ont compris depuis toujours. Éric Zemmour, « Imposer la discrétion. Interdire le port du voile islamique dans l’espace public », Programme Zemmour 2022 ↩ Valérie Pécresse, « J’interdirai le port du voile forcé pour les fillettes. », « le voile n’est pas un vêtement comme les autres », le 13 février 2022 ↩ Il serait intéressant d’examiner s’il existe une corrélation entre l’écart sondages/voix recueillies et la position des candidats à l’élection présidentielle sur le voile ↩ Rachid Benomari (condamné en Belgique à 18 ans de prison pour terrorisme en Somalie) dit ne pas comprendre cette Belgique qui inflige 125 euros d’amende à une femme portant le niqab alors que la police escorte dans les rues de Bruxelles un groupe de cyclistes nus (La Libre Belgique, 3 septembre 2014) ↩