Selon l’INSEE, le taux de chômage en France est resté stable au premier trimestre 2024, à 7,5 % de la population active, cet organisme soulignant qu’il demeure ainsi nettement en dessous de son pic de mi-2015 (10,5 %), soit trois points de moins en neuf ans.
Pourtant, une analyse plus fine et les comparaisons internationales montrent qu’il n’y a pas de quoi se réjouir, même si le résultat est moins catastrophique qu’il y a quelques années.
Les spécificités du chômage français
Les données de l’INSEE montrent d’abord une forte composante structurelle, ce qui signifie que le chômage en France n’est pas dû seulement au ralentissement de la croissance. C’est ainsi qu’on observe un fort sur-chômage des jeunes (15-24 ans) avec un taux de 18,1 %, soit bien plus du double de la moyenne nationale. C’est un signe évident d’un problème d’inadaptation des formations au marché du travail, alors que, dans d’autres pays, où le système éducatif est plus performant et mieux adapté, ce sur-chômage est quasi inexistant. On note aussi un important chômage de longue durée (549 000 personnes, soit 1,8 % de la population active), signe là encore d’une dimension structurelle du chômage et d’un manque de flexibilité du marché du travail.
Autre spécificité, le taux faible d’activité des 50-64 ans (67,7 %), certes en hausse, mais inférieur à bien d’autres pays, ce qui montre une sous-activité des seniors, en dépit des réformes diverses de l’âge de la retraire. On dit souvent que les Français ne travaillent pas assez en termes de durée (hebdomadaire ou annuelle) du travail, c’est vrai, mais la faiblesse du taux d’activité des plus de 50 ans est aussi un handicap pour notre économie.
Par ailleurs, la publication par l’OCDE (Communiqué du 16 mai) des taux de chômage permet des comparaisons internationales. La dernière statistique concerne mars 2024. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE (en gros, les pays développés à économie de marché), le taux de chômage moyen est de 4,9 %, très en dessous de celui de la France (7,3 % selon l’OCDE).
Il y a bien un sur-chômage français. Certes, la moyenne est tirée vers le bas par des pays comme les États-Unis (3,8 %) ou le Japon (2,6 %), mais le chômage français est également bien au-dessus de celui de l’Union européenne (6,0 %) ou de la seule zone euro (6,5 %), et bien entendu du G7 (4,2 %).
Notre premier partenaire économique, l’Allemagne, est à 3,2 %. Même l’Italie ne fait pas plus mal que nous (7,2 %). Nous pouvons certes nous consoler avec quelques autres pays comme l’Espagne (11,7 %), mais ils sont peu nombreux à faire plus mal que nous.
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Plus de flexibilité pour diminuer le chômage
Les pays qui ont les meilleurs résultats sont ceux qui ont un marché du travail fluide et qui ont réduit au maximum des rigidités.
Du côté de l’offre de travail (il faut faire attention au vocabulaire, ce sont les salariés qui offrent leur travail et demandent un emploi) les systèmes généreux d’assurance chômage (qui ont déjà été modifiés et devraient l’être encore) n’incitent guère les chômeurs à accepter un emploi (on connait le rôle important des incitations en matière économique) et entraine ce paradoxe : un nombre élevé d’offres d’emplois non satisfaites, alors qu’il y a un nombre élevé de chômeurs. De plus, l’offre de travail est insuffisante et freine la croissance (on l’a vu avec le taux faible d’activité des plus de 50 ans).
Parallèlement, le taux élevé de chômage des jeunes vient largement d’une formation inadaptée aux emplois proposés et, par exemple, les pays qui, comme l’Allemagne, ont un taux beaucoup plus élevé que nous de formation en alternance permettent beaucoup plus facilement que nous l’insertion des jeunes sur le marché du travail (selon l’OCDE, taux de chômage des 15-24 ans : 5,8 % en Allemagne, contre 16,9 % en France. Verdict sans appel). Sans parler du nombre de formations universitaires dans lesquelles les étudiants n’ont jamais vu une entreprise et ne la connaissent que via l’idéologie.
Du côté des offres d’emplois par les entreprises (donc de la demande de travail), on sait que les salariés français sont surprotégés par rapport aux autres, rendant les licenciements plus difficiles et diminuant la flexibilité du marché du travail. Ce maintien artificiel dans l’emploi sur place diminue la productivité de l’économie, et surtout freine considérablement l’embauche. Dans une conjoncture incertaine, une entreprise sait qu’elle aura du mal à se séparer d’un salarié, alors que cela peut être nécessaire, et elle hésitera donc à embaucher. Le résultat, c’est que la durée moyenne du chômage en France est plus longue que dans d’autres pays : on est moins souvent au chômage, mais on y est pour plus longtemps. Quand le marché du travail est flexible , on peut perdre plus facilement son emploi, mais on en retrouve un très rapidement. Or, c’est le chômage de longue durée qui est, socialement et humainement, le plus dur à supporter.
De plus, en France les règles et contraintes sont de plus en plus dures au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de salariés, ce qui, même s’il y a eu là quelques progrès, provoque des effets de seuil : on hésite à embaucher si cela fait franchir un seuil plus contraignant. Plus généralement, tout ce qui libère l’offre et allège les contraintes favorise l’activité économique et l’emploi, à commencer par les contraintes fiscales et sociales. Alléger les charges et impôts qui pèsent sur les entreprises ce n’est pas « favoriser les riches », mais c’est contribuer à favoriser la croissance et l’emploi. Que la France soit championne des prélèvements obligatoires n’est pas sans impact sur le taux de chômage.
L’offre et la demande
Enfin, l’offre et la demande de travail (donc la demande et l’offre d’emploi) se rencontrent sur le marché du travail, dont le prix, comme sur tout marché, est le régulateur.
Le prix, ici, c’est le salaire, ou plutôt le coût salarial. Ce prix n’est pas libre, par exemple avec le Smic. Or ceux qui, pour « aider » les salariés, réclament de fortes hausses du Smic ne réalisent pas qu’ils créent ainsi du chômage : c’est mieux payé, mais à ce prix là on ne trouve pas d’emplois. De plus, c’est pratiquement en France que le poids des charges sociales est le plus élevé, approchant le montant du salaire net, et donc doublant presque celui-ci. Certes, c’est le prix de la protection sociale, mais sommes-nous certains d’avoir la meilleure protection sociale du monde, et la moins coûteuse, en refusant toute concurrence dans ce domaine ?
Toujours est-il que nous avons là un paradoxe français : en raison de ces charges sociales, les entreprises trouvent le coût du travail excessif et souvent supérieur à ce qu’il est à l’étranger, tandis que les salariés trouvent le salaire net insuffisant, parfois plus faible qu’à l’étranger. Ici aussi, les rigidités du prix du travail que cela entraîne favorisent le chômage.
On dit les Français allergiques aux réformes, surtout concernant le marché du travail et la protection sociale. Mais a-t-on fait suffisamment d’efforts pédagogiques pour expliquer que la tyrannie du statu quo est préjudiciable à tous, salariés et entrepreneurs. En dernier ressort, c’est là une partie du mal français : l’ignorance économique , qui favorise toutes les démagogies et les fausses solutions. S’y ajoute l’idéologie de la lutte des classes, qui fait croire que les intérêts des salariés et des entreprises sont opposés, alors qu’il n’y pas d’économie solide et donc de plein emploi sans entreprises solides.