Les Français ont redécouvert avec surprise, il y a quelques années, l’inflation, qui avait presque disparu depuis une génération. Ils en ont vu les conséquences sur leur pouvoir d’achat, leur épargne ou les taux d’intérêt de leurs emprunts. Certes, presque partout dans le monde, l’inflation a récemment diminué, mais elle n’a pas disparu et peut revenir en cas de dérapage monétaire ou d’une gestion budgétaire trop laxiste. Selon l’OCDE, l’inflation est encore en 2024 (communiqué du 4 septembre) de 5,4% en moyenne, de 6,7% pour le G20 e et de 2,6% pour la zone euro, C’est mieux qu’en 2022 ou 2023, mais on est loin de la stabilité des prix. La France, pour la même période, en est à 2,3% et le dernier chiffre de l’INSEE connu (septembre 2024) est de 1,2% seulement, en raison de la baisse exceptionnelle de certaines matières premières et du ralentissement économique. Donc l’inflation n’a pas totalement disparu et elle peut revenir à tout moment.
Même avec une inflation plus faible qu’il y a deux ans, il y a des secteurs où les prix augmentent beaucoup plus vite que la moyenne, par exemple parfois l’alimentation, parfois l’énergie, parfois le logement (loyer et charges) tandis que d’autres diminuent. Si l’on descend à un niveau plus précis, certains produits voient leur prix s’envoler, d’autres non. Quand ces produits ou services occupent une place importante dans les dépenses des ménages, cela pèse sur leur pouvoir d’achat. Certains hommes politiques (et pas seulement ceux du Nouveau Front Populaire), mais aussi une partie de l’opinion, proposent alors une réponse simple : il faut empêcher les prix de monter et pour cela les bloquer. Cela semble du bon sens : le gouvernement n’a qu’à bloquer les prix et ils resteront stables. Mais c’est une erreur majeure et le plus court chemin vers la pénurie du produit dont le prix est bloqué.
Le prix est un indicateur
Les besoins humains sont infinis et les moyens d’y répondre (matières premières, énergie, capitaux, ressources humaines, etc.) limités : la lutte contre la rareté est donc au cœur de l’économie. Aucun système économique n’échappe à cette réalité. Le marché est la manière la plus efficace -et la plus conforme à la nature humaine et à la liberté -de réduire la rareté et de répartir au mieux les ressources. Le cœur du marché, c’est le mécanisme des prix. Il n’est pas seulement normal, mais absolument nécessaire que les prix varient, en hausse ou en baisse ; il n’y a pathologie que si la majorité des prix est en hausse (inflation) ou en baisse (déflation), ce qui s’explique avant tout par une politique monétaire inappropriée, trop laxiste ou trop restrictive. Mais quand la monnaie est bien gérée, le niveau général des prix est stable : certains prix montent, d’autres baissent et la moyenne est stable. Empêcher artificiellement, par l’intervention de l’Etat, ces prix de monter ou baisser détruit toute l’efficacité du marché.
En effet, le prix est d’abord un indicateur : il apporte à tous (entreprises et ménages) des informations. Un prix qui monte est le signe d’un excès de demande et d’une insuffisance d’offre sur ce produit ou ce service. Il indique donc une tension et en donne la nature. Et bien sûr un prix qui baisse est le signe d’une faible demande face à une offre trop élevée. Il n’y a pas d’autre indicateur, pas d’autre vecteur de conformation, sur un marché que le prix.
Le prix est un incitateur
Cette information est une incitation : chacun, entreprise ou ménage, producteur ou consommateur, est sensible aux incitations. Si le prix monte, les consommateurs sont incités, puisque leur pouvoir d’achat est limité, à réduire leur demande et à se reporter sur d’autres produits, moins chers. Mais l’entreprise, le producteur, le distributeur ne restent pas inactifs face à cette information que donne la hausse du prix : cela offre de meilleures perspectives de profits, cela indique l’existence de débouchés pour ce produit et donc cela incite à accroitre l’offre du produit. L’information est devenue une incitation et conduit chacun à réagir et à s’adapter. Bien entendu, l’inverse se produit en cas de baisse du prix
Le prix permet le retour à l’équilibre
C’est là que le marché montre sa supériorité par rapport à tout à autre système. En effet, cette réaction de l’offre et de la demande, des entreprises et des ménages, fait disparaitre le déséquilibre initial et réduit la rareté. Un prix qui monte indique une insuffisance de d’offre et un excès de demande, signe d’une pénurie potentielle ; mais la réaction des uns et des autres conduit à accroitre l’offre et à diminuer la demande, faisant disparaitre le déséquilibre et stabilisant le prix. C’est ainsi que les entreprises, par exemple, s’adaptent sans cesse aux mouvements de la demande et aux changements des choix des clients. Bien entendu, il ne faut pas comprendre ce mécanisme d’une manière statique, comme si les prix n’allaient plus bouger ensuite, puisqu’on est revenu à l’équilibre, mais de manière dynamique, offre et demande changeant et s’adaptant sans cesse. Voilà pourquoi, sur un marché libre, les prix bougent en permanence. Contrairement à l’inflation, qui est la hausse de la majorité ou de la totalité des prix, la hausse du prix d’un produit (ou sa baisse) n’est pas une maladie, mais fait partie du fonctionnement normal du marché, conséquence de la modification permanente des choix de chacun.
Le blocage des prix provoque la pénurie
Imaginons un prix qui monte fortement, limitant ainsi les achats des clients. Un gouvernement « bienveillant », comme le réclament certains aujourd’hui, va décider de bloquer le prix de ce produit. Ce faisant, puisque le prix est artificiellement diminué, cela décourage les producteurs (le produit n’est pas rentable pour eux, ou pas assez) et cela encourage le client, puisque c’est moins cher. Inéluctablement, cela se traduit par une pénurie physique du produit, puisque la demande dépasse l’offre. On n’a pas fait disparaitre la rareté, on a empêché tout mécanisme de retour à l’équilibre et donc le produit est certes moins cher, mais il n’y en n’a pas assez pour tout le monde : c’est la file d’attente ou le rayon vide. Au nom de la protection du consommateur et de son pouvoir d’achat, on a en réalité privé certains d’entre eux du produit. Le blocage des prix, c’est la pénurie assurée.
Les leçons de l’histoire
Les leçons de l’histoire sont nombreuses et le résultat est toujours le même. En 301, sous l’empire romain, l’Edit de Dioclétien, fixant un prix maximum sur les marchandises, a poussé les marchands à ne plus les vendre sur les marchés officiels, pour ne pas faire des pertes, ou à les vendre au marché noir à leur vrai prix. Pendant la Révolution française, face à une hausse considérable des prix, une loi, promulguée le 4 mai 1793, fixait un maximum du prix des grains, donc du pain., par département, puis une loi du Maximum du 29 septembre 1793 fixait un maximum décroissant du prix des grains et d’un grand nombre de produits de première nécessité. Les résultats ont été immédiats, semblables à ceux de l’Edit de Dioclétien : effondrement de l’offre sur les marchés, car personne ne veut vendre à perte, provoquant une pénurie des produits et un rationnement, s’accompagnant de la délation, la répression, l’emprisonnant des contrevenants, parfois même guillotinés ! Le dirigisme peut conduire sur la route de la servitude. Bien entendu, une partie des récoltes s’est retrouvée au marché noir. Le mécontentement populaire a été une des causes de la réaction thermidorienne et à la chute de Robespierre.
Partout le contrôle et, a fortiori, le blocage des prix ont provoqué une pénurie des produits. On le voit encore aujourd’hui, dans les secteurs où les prix sont contrôlés. C’est le cas sur certains médicaments, pour lesquels le prix arbitraire fixé par la sécurité sociale conduit les laboratoires à réduire l’offre des produits non rentables au prix fixé. Dans certaines villes, où les prix des loyers ont beaucoup augmenté, le contrôle des loyers a contribué à la pénurie de logements, certains étant retirés du marché, faute de rentabilité, tandis que les investisseurs préféraient investir dans des secteurs plus rentables. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, dans de nombreux secteurs. L’effet est toujours le même : quand le prix est bloqué, « c’est pas cher, mais il n’y en n’a plus » !
Il peut aussi arriver que le gouvernement bloque certains prix pour les empêcher de baisser (produits agricoles, salaires sur le marché du travail,…). Dans ce cas, les effets pervers du blocage provoquent une réaction inverse : le prix artificiellement élevé encourage l’offre et décourage la demande ; cela se traduit par une surproduction, pour les produits agricoles, ou par du chômage, sur le marché du travail.
La liberté des prix et le miracle allemand
En sens inverse, lorsque, après la défaite d l’Allemagne, les prix se sont envolés, le futur chancelier Ludwig Erhard, alors directeur de l’administration de l’économie des trois zones occidentales, puis ministre de l’économie, a libéré les prix, provoquant rapidement des opportunités de profit pour les entreprises et donc une hausse de l’offre de biens et services. C‘est l’une des mesures clefs à l’origine du « miracle économique » allemand. Le résultat, c’est que dans les années 50/70 le jeu de la concurrence a fait que l’inflation a été plus faible en Allemagne, où les prix étaient libres, qu’en France, où ils étaient administrés.
Ceux qui préconisent aujourd’hui le blocage des prix, notamment des produits de première nécessité, au nom de la justice sociale, devraient réfléchir, face au raisonnement économique et aux leçons de l’histoire : est-ce un progrès social que de provoquer artificiellement la pénurie des produits dont on jugeait les prix excessifs ? A moyen terme, la hausse des prix ayant stimulé l’offre, la concurrence jouant à plein, les prix se stabilisent. En attendant que le mécanisme des prix ne produise ses effets bénéfiques, il peut exister des systèmes pour aider ceux pour qui le prix élevé constitue un obstacle majeur (bourses, allocation logement, etc.). Ici comme ailleurs, le paradoxe des dirigistes est le même : ils prennent des mesures pour empêcher le libre marché de fonctionner et font ensuite mine de s’étonner que celui-ci ne fonctionne plus, afin d’imposer leurs a priori idéologiques. La vérité, c’est que seule la liberté économique favorise à terme le progrès social.