Par Claude Robert.
Le rebondissement de plusieurs affaires multiplie les soupçons à l’encontre du Parquet National Financier. Le PNF serait-il une officine au service du pouvoir, aux antipodes même des exigences d’un État de droit ? Analyse.
Pourquoi un PNF ?
Selon le site web du PNF on apprend :
« Le procureur de la République financier (PRF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière […] Sa compétence est nationale et limitée à trois catégories d’infractions : les atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme, etc.), les atteintes aux finances publiques (fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA, etc.) et les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (délit d’initié, manipulation de cours, etc.) ».
Le PNF voit le jour pendant le mandat de François Hollande, très vraisemblablement en réaction à l’affaire Cahuzac . Sur les recommandations de la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, et avec la bénédiction du président, sa direction est confiée à Éliane Houlette, direction que cette dernière assurera jusqu’en avril 2019.
Une réputation de plus en plus embarrassante
Le PNF a suscité la polémique dès le début de l’affaire Fillon . Mais bien d’autres dossiers ont alimenté la critique depuis. Au-delà des soupçons à l’encontre de la présidente du PNF elle-même1, trois affaires particulièrement encombrantes viennent de refaire surface et jettent le doute sur l’indépendance de cette institution : l’enquête sur la taupe ayant informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes ; la suspicion de classement sans suite du cas Alexis Kohler sur demande de l’Élysée ; l’aveu récent par Éliane Houlette de l’existence d’intenses pressions sur le procès de François Fillon.
Une troublante enquête dans l’affaire des écoutes de Sarkozy
Selon Le Point , le PNF aurait surveillé plusieurs avocats pour tenter de savoir qui avait informé l’ancien président de sa mise sur écoutes (Huffpost 26 juin 2020). On découvre que maître Olivier Cousi, bâtonnier de Paris, engage une action en justice contre l’État qu’il accuse « d’avoir porté atteinte au secret professionnel des avocats, à leur intimité, à leur vie privée ».
Il estime que cette enquête du PNF « est hors-norme et inquiétante. Elle ne peut se justifier que si des indices graves et concordants permettent de penser qu’il y avait une raison de le faire. » Parmi les nombreux avocats surveillés, Éric Dupond-Moretti a également annoncé porter plainte .
On peut se demander en effet dans quelle mesure l’identification de la « taupe » justifiait l’utilisation de tels moyens d’investigation. Si ces techniques généralement actionnées en dernier recours le sont pour si peu, la question se pose en effet de savoir si nous ne serions pas à présent devant un État policier, dont les officines en charge du sale travail ne lésinent pas sur les moyens.
Le cas Kohler classé sans suite après une lettre de l’Élysée
Alors que pour les écoutes dans l’affaire Sarkozy, on devine les contours plus ou moins obscurs d’un excès de zèle voire d’un véritable acharnement, l’affaire concernant Kohler suggère l’inverse, à savoir la protection d’un proche du président actuel.
Au départ, il s’agissait d’accusations de conflit d’intérêts mêlant Alexis Kohler lorsqu’il était en 2010 et 2011 représentant de l’Agence des participations de l’État (APE), l’armateur MSC fondé et dirigé par des membres de sa famille, ainsi que le port du Havre, dont il était membre du conseil de surveillance.
En 2010, Mediapart avait également accusé Alexis Kohler d’un autre conflit d’intérêts , du fait de son appartenance au conseil d’administration de STX France (chantiers navals de Saint-Nazaire) alors que MSC en était le plus gros client (Le Parisien, 7 août 2018).
La très récente révélation par Médiapart de l’intervention personnelle d’Emmanuel Macron afin de classer l’affaire remet un coup de projecteur sur les possibles faiblesses du PNF.
S’appuyant sur la lettre du président, le site affirme :
« Passant outre la séparation des pouvoirs, Emmanuel Macron a écrit au PNF à l’été 2019 pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant. À la suite de cette lettre, un second rapport d’enquête a été écrit, aboutissant à des conclusions inverses. Un mois plus tard, l’enquête sera classée sans suite » – Médiapart, 23 juin 2020
Prouver l’existence d’un lien de causalité direct entre cette lettre et l’enterrement de l’affaire sera sans doute difficile. Mais il s’agit par contre d’une énorme méprise de la part du président. Une méprise qui suffit amplement à alimenter les doutes quant à la véritable indépendance du PNF.
Le PNF sous constante pression pendant l’enquête sur Fillon
Pourtant assimilé à gauche et non concerné par l’affaire Fillon, maître Éric Dupond-Moretti avait très tôt remis en cause la légitimité du PNF qu’il accusait de dépendre de l’Élysée et par conséquent, d’être à la fois juge et partie2. Il a déclaré :
« Selon le droit parlementaire, c’est au bureau de l’Assemblée nationale de se saisir de cette affaire et d’enquêter » – La Croix, 7 février 2017
Aux journalistes du quotidien Le Monde régulièrement alimentés des PV de l’enquête, ce qui est parfaitement illégal, il s’était adressé ainsi :
« Il n’y a pas d’avocats qui ont les pièces à ce stade, il n’y a pas de mise en examen, c’est donc la police ou le PNF qui vous communique les pièces » – Le Point, 18 février 2017
Pourtant, à cette époque, ni l’Appel des treize juristes3 ni les remarques d’avocats comme Éric Dupond-Moretti n’avaient réussi à infléchir le cours d’une action judiciaire qui soulevait déjà tant d’interrogations.
La récente déclaration de l’ancienne présidente du PNF remet tout d’un coup le sujet sur la table. Lors de son passage devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, donc trois ans après les faits, Éliane Houlette avoue avoir subi d’incessantes pressions de la part du parquet général. Des pressions au sujet desquelles elle va jusqu’à déclarer :
« On ne peut que se poser des questions, c’est un contrôle très étroit et c’est une pression très lourde » – LCI, 19 juin 2020
Ces aveux n’auraient probablement pas fait beaucoup de bruit si, à la suite de l’article du journal Le Point qui les a révélés, plusieurs personnalités politiques ne s’en étaient publiquement offusquées.
Le PNF, une officine à deux visages ?
On pourrait gloser sur l’autre affaire, celle dont le PNF n’a pas voulu se saisir au moment des élections présidentielles de 2017. On pourrait également sourire sur la façon dont le PNF s’est montré d’une patience, d’une discrétion et d’une correction exemplaires dans l’enquête sur les emplois présumés fictifs du Modem .
Quoi qu’il en soit, ces trois récents rebondissements portent un sérieux préjudice à l’application de la fameuse théorie des apparences qui nous vient du droit anglo-saxon.
Cette théorie mise en avant par la Cour européenne des droits de l’Homme, et officiellement transposée au droit français, stipule qu’il est d’une « importance fondamentale que la justice ne soit pas seulement rendue formellement mais qu’elle le soit impérativement de façon à écarter l’existence de tout doute4. »
Loin de nous laisser abuser par un excès d’apparences rassurantes, nous voici au contraire bombardés d’indices de nature à détruire notre confiance en la justice française. À travers le PNF, son indépendance présumée, condition sine qua non à l’existence d’un État de droit, nous paraît de plus en plus menacée.
Cette situation est délétère. Elle doit être combattue sans délai. Cf. page Wikipédia consacrée à l’ex-présidente du PNF ↩ Cf. son interview à ce sujet sur BFM TV ↩ Sous la houlette de Patrice Fontana, ce groupe (auquel il faut aussi rajouter quelques universitaires spécialistes du droit) avaient lancé une alerte circonstanciée sur les irrégularités de cette affaire, tant sur son déclenchement anticonstitutionnel que sur le déroulement illégal de l’enquête. Mais en vain… ↩ Cf. « Théorie des apparences » Wikipidia ↩
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