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La réindustrialisation de la France : « Une ardente obligation »

, par  Claude Sicard , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

On se souvient qu’au lendemain de la libération de la France, le général de Gaulle avait créé avec Jean Monet le Commissariat général au Plan pour redresser et moderniser l’économie française, et ce fut un succès.

Il avait dit :

« Il faut que les objectifs à déterminer par le Plan revêtent pour tous les Français un caractère d’ardente obligation ».

Aujourd’hui, il serait utile que les Français et leurs dirigeants considèrent que la réindustrialisation du pays est « une ardente obligation » car il n’y a pas d’autre solution pour redresser la situation aux plans économique, social, et politique. Le général de Gaulle avait le sens de la formule et il connaissait la puissance des mots.

Ce n’est seulement qu’avec la crise du Covid-19 que la France a découvert les graves inconvénients de la désindustrialisation du pays, et encore les médias n’ont-ils mentionné que le problème de la sécurité des approvisionnements, oubliant complètement d’évoquer ses effets délétères sur l’économie du pays, en général, et sur le niveau de vie des Français, en particulier.

Le rôle de l’industrie dans la création de richesse

L’industrie joue un rôle clé dans la création de richesse.

Ce phénomène est aisé à mettre en évidence en examinant la relation existant, dans différents pays, entre leur production industrielle et le PIB par tête de leurs habitants, le PIB/capita étant l’indicateur qu’utilisent les économistes pour mesurer la richesse des pays.

C’est ce que montre le graphique ci-dessous où il est pris, en abscisses, pour variable explicative, la production industrielle des pays calculée par habitant, et en ordonnées, les PIB/capita de ces pays. Pour ce qui est des données sur la production industrielle, il s’agit des informations fournies par la BIRD qui inclut la construction dans l’industrie, les productions industrielles étant mesurées, ici, en valeur ajoutée selon les données des comptabilités nationales des pays. Et les PIB/capita sont ceux fournis, également, par la Banque mondiale.

Graphique correlation prod.indus par habitant et PIB/capita

https://www.contrepoints.org/?attac...

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En France, les effectifs du secteur industriel ont fondu, passant de 6,5 millions de personnes à la fin des Trente glorieuses à seulement 2,7 millions aujourd’hui.

Ainsi, avec une production industrielle faible de 6432 dollars par habitant le pays dispose d’un PIB/capita de seulement 39 030 dollars ; avec un ratio bien meilleur de 12 279 dollars l’Allemagne a un PIB/capita de 46 208 dollars ; avec un chiffre record de 22 209 dollars la Suisse en est à un PIB/capita de 87 097 dollars, le plus fort d’Europe.

Aussi les maux de notre économie ont-ils pour origine essentielle la désindustrialisation du pays : taux de chômage très élevé que les pouvoirs publics ne parviennent pas à réduire balance commerciale déficitaire depuis 20 ans et dont le déficit va en s’aggravant dépenses sociales et publiques à des niveaux extrêmement élevés prélèvements obligatoires record, les plus importants de tous les autres pays de l’OCDE au regard du PIB

La population réclame sans cesse une amélioration de son niveau de vie, et cela se traduit par des grèves et des mouvements populaires . La France est ainsi, et de très loin, le pays où chaque année le plus grand nombre de journées sont perdues du fait des grèves.

Des top-sectors en déclin

Le gouvernement des Pays-Bas désigne par top-sectors, dans sa politique d’intervention dans l’économie, les secteurs clés qui méritent une attention particulière : il s’agit dans ce pays de l’agro-alimentaire et de l’agriculture, avec notamment le secteur de la floriculture où les Pays-Bas sont champions mondiaux.

En Allemagne, il existe quatre top-sectors : la machine outil, la construction automobile, l’agroalimentaire, et la chimie.

En France , il existe quatre top-sectors également :

La construction automobile

La branche est en pleine révolution.

La production décline depuis plusieurs années, les constructeurs doivent faire face maintenant à une mutation brutale : le passage du thermique à l’électrique. On est passé de 3,5 millions de véhicules fabriqués en 2000, à 1,35 million en 2020, pour tomber à 0,92 million en 2021.

Pour des raisons de compétitivité les constructeurs ont considérablement délocalisé leur production. Le secteur automobile est quatre fois moins puissant à présent que le secteur allemand.

Un autre danger apparait avec la voiture électrique . L’Europe ne se protège pas des exportations chinoises, alors qu’avec la révolution technique dans ce secteur d’activité la Chine est devenue un producteur très important de voitures électriques et de batteries. Au dernier salon de l’automobile à Paris la présence des grands constructeurs chinois a beaucoup marqué les esprits, les véhicules présentés étaient au meilleur niveau technique, avec des prix 20 % inférieurs à ceux des voitures fabriquées en Europe.

Plusieurs constructeurs chinois ont annoncé qu’ils allaient installer des unités de production en Europe, probablement dans les pays où le coût de la main-d’œuvre est le plus bas.

L’agro-alimentaire

Ce secteur industriel est traditionnellement très important au plan national.

Dans une étude parue en janvier 2018 Alexandre Mirlicourtis du cabinet Xerfi, société d’étude spécialisée dans les études sectorielles, révèle que c’est un « fiasco français ».

Le secteur est constitué de beaucoup trop de très petites entreprises qui manquent de compétitivité et de créativité. Ces dernières années, la France a été battue à l’exportation à la fois par les Allemands et les Hollandais. Ce secteur a perdu un peu plus de 20 000 emplois en 10 ans, et il a besoin d’être restructuré.

La construction aéronautique

La France est un leader mondial grâce à des firmes comme Airbus, Snecma, Dassault.

Ce secteur a certes souffert de la crise sanitaire mais l’activité repart fortement. Il emploie 177 000 personnes, dont 36 000 ingénieurs et il réalise 75 % de son chiffre d’affaires à l’exportation.

Le secteur du luxe

Il est l’un des deux joyaux de l’industrie française . Les experts de la branche annoncent 165 000 emplois, un chiffre d’affaires de 90 milliards d’euros dont 85 % réalisés à l’exportation, soit 76,5 milliards d’euros.

Selon le journaliste économique Jean-Marc Sylvestre dans Atlantico  :

« La France qui s’est cherchée une activité dominante pendant un demi-siècle l’a trouvée dans l’industrie du luxe ».

Dans ce secteur, les Français dominent le marché mondial : LVMH (Bernard Arnault) est le numéro un mondial, Kering (François Pinault) est numéro deux. Les groupes français détiennent 130 marques de prestige sur les 270 mondiales recensées aujourd’hui. Parmi les dix premiers groupes mondiaux figurent aussi Hermès et l’Oréal.

Il s’agit donc pour l’économie française d’une carte maîtresse, notamment en matière de commerce extérieur, soit 75 % de son chiffre d’affaires à l’exportation.

Un secteur industriel en manque d’ETI

La France s’est fortement désindustrialisée.

Son secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB. Elle est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part.

Sur les quatre secteurs clés de son industrie, deux sont en difficulté, ce qui est extrêmement préoccupant. Et pour le reste de l’industrie le diagnostic n’est pas bon non plus : les entreprises industrielles françaises ont des problèmes de compétitivité, les produits ne sont pas suffisamment différenciés.

Il y a trop peu d’ETI en France, ce qui est très pénalisant, car en plus des grands groupes, ce sont elles qui font de la recherche, qui sont capables d’exporter et qui peuvent se robotiser. Elles sont près de trois fois moins qu’en Allemagne et deux fois moins qu’en Grande-Bretagne.

Avec la crise mondiale créée par la guerre en Ukraine les prix de l’énergie ont explosé, alors que le prix de l’énergie était le principal avantage dont pouvaient bénéficier nos entreprises industrielles. Il y a, de surcroit, pénurie de beaucoup d’éléments de la chaine de valeur, dont les composants électroniques . France-Industrie estime que la production industrielle pourrait reculer de 10 % sur le seul dernier trimestre 2022, et que la situation risque d’empirer au début de l’année prochaine.

Les activités énergo-intensives sont particulièrement touchées : le verrier Duralex , par exemple, a dû diminuer considérablement son activité, et Aluminium Dunkerque a annoncé devoir réduire de 22 % sa production. Les clients des entreprises grandes consommatrices d’énergie vont aller se fournir ailleurs.

Dans un article dans Le Figaro du 18 octobre 2022 le journaliste économique Emmanuel Egloff alerte : « Le risque de désindustrialisation européenne est bien là ».

Le plan « France 2030 » pour la réindustrialisation selon Macron

Dans ce contexte difficile, la France doit impérativement se réindustrialiser.

Selon François Bayrou, nouveau Haut Commissaire au Plan , « la réindustrialisation doit devenir une obsession nationale ».

En octobre 2021 et en présence de 200 chefs d’entreprise Emmanuel Macron a donc annoncé son plan « France 2030 », avec les objectifs suivants : Faire émerger des réacteurs nucléaires de petite taille Devenir le leader de l’hydrogène vert Décarboner l’industrie Produire deux millions de véhicules électriques Produire un avion bas carbone Produire 20 bio-médicaments contre le cancer et les maladies chroniques

Au total, la puissance publique consacrera un budget de 30 milliards d’euros à ce plan, soit un rythme de 6 milliards d’euros par an. Il ne s’agit là que de mesures d’accompagnement. Ce plan est totalement insuffisant compte tenu des enjeux à relever.

Pour un plan ambitieux de réindustrialisation de la France

Il n’existe donc pas, actuellement, de plan de réindustrialisation de la France.

Ce serait pourtant la tâche du nouveau Commissariat général au Plan de le concevoir et le faire approuver par le Parlement.

Quel pourrait être un tel plan ?

L’objectif serait de rétablir la situation économique dans une période de 10 ans : Objectif : porter le secteur industriel à 18 % du PIB Doctrine : pas d’intervention de l’État dans le choix des investissements Moyen d’action : accompagnement de l’État par des aides étalées sur 10 ans, liées à la création d’emplois Durée du Plan : 10 années

Le montant des investissements à réaliser peut être estimé à 350 milliards d’euros, soit un rythme d’investissements de 35 milliards d’euros par an.

Manifestement, les entreprises françaises et les éventuels nouveaux investisseurs nationaux n’y suffiront pas. Il faudra donc recourir très largement aux investissements étrangers, ce que les économistes nomment des IDE (investissements directs étrangers). Actuellement, en France, un montant annuel d’une dizaine de milliards d’euros est investi dans l’industrie. Il faudrait arriver, pour le moins, à 15 milliards.

Le plan d’investissement annuel se répartirait de la façon suivante et pour un total de 35 milliards d’euros : Entreprises françaises…………. 20 milliards d’euros Entreprises étrangères…………. 15 milliards d’euros

Les investissements étrangers interviendraient donc pour 40 % dans la réindustrialiserion de la France. Il faudra pour cela que le pays soit particulièrement attractif. Au plan européen, les IDE industriels s’élèvent à une cinquantaine de milliards d’euros par an. La France doit être en mesure de capter, à elle seule, chaque année, environ 30 % de ce flux.

Pour parvenir à réaliser un tel rythme d’investissement dans le secteur industriel, il faudra d’importantes mesures d’accompagnement de la part de la puissance publique. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’Emmanuel Macron vient d’obtenir que la nouvelle usine de composants électroniques de ST Microelectronics et Sotelec vienne s’installer à Crolles, prés de Grenoble. Elles seront indispensables du fait que les entraves à la création et au développement d’activités industrielles dans notre pays sont nombreuses et diverses : fiscalité rendant les entreprises industrielles non compétitives droit du travail rigide nuisible à la flexibilité des entreprises réglementations nombreuses alourdissant les coûts et freinant les acteurs économiques

Et sans oublier la concurrence des pays de l’est de l’Union européenne dont les coûts du travail sont considérablement plus bas, comme l’indique le tableau ci-dessous, en euros et par heure (Source : Insee-Dares, Ed 2020) : France………….. 37,3 Allemagne…….. 35,9 Hongrie………… 10,7 Pologne………… 10,4 Roumanie……… 7,3

Bon nombre de mesures ont certes été prises ces dernières années pour rétablir la compétitivité des entreprises françaises : CICE, pacte de responsabilité, transformation du CICE en allégements de cotisations sociales, réduction de l’IS, début de la diminution des impôts de production, etc.

Mais elles restent totalement insuffisantes, d’autant qu’il va falloir attirer massivement les investissements étrangers.

Pour Nicolas Dufourcq , le directeur de la BPI, interrogé par Ouest-France à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le 8 juillet 2022 :

« Pour réussir la réindustrialisation, il va falloir mettre beaucoup de cœur, d’émotion et de solidarité collective […] Il n’y a rien d’irréversible ».

Gageons qu’il ait raison, mais la tâche est considérable et extrêmement ardue.

Il s’agit de remettre sur pieds toute la machine économique du pays. Cet objectif doit constituer « une ardente obligation » pour les pouvoirs publics. Pour l’instant, ce n’est guère le cas. Le gouvernement préfère distribuer des chèques pour soutenir le pouvoir d’achat plutôt que de s’attaquer aux causes du mal.

Le pays va donc continuer à décliner, sa dette va continuer à augmenter, et sa position dans le concert des nations ne va pas manquer de s’affaiblir chaque jour davantage.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/1...