Par Olivier Maurice.
Y a-t-il encore une gauche en France ? On peut se poser la question : les derniers sondages indiquent que la somme des intentions de vote en faveur de candidats de gauche déclarés est à peine créditée d’un quart au premier tour de la prochaine élection présidentielle.
Alors bien sûr, un sondage à plusieurs mois de l’échéance électorale ne présume en rien de la réalité des opinions ou des décisions de votes qui seront finalement prises, mais le symbole est d’importance.
Où est passée la gauche triomphante et arrogante de mai 1981 , celle qui criait sa victoire à tue-tête ? Quels crédits ont encore toutes ces personnalités « engagées » qui monopolisent le paysage public depuis 40 ans ?
Où est passée la gauche revendicative et révolutionnaire de mai 1936 , celle qui fêtait la grève joyeuse et les lendemains qui chantent ? Quelle représentativité ont encore les syndicats devenus ultra minoritaires ou ultra conservateurs, claquemurés dans leurs bastions ?
Où est passée la gauche littéraire et utopique des grandes causes et des grandes idées ? La gauche de Zola et de Proudhon ? Ou sont passées toutes ces gauches qui s’écharpent et se déchirent, se réconcilient et s’unissent, se divisent et se rassemblent, se détestent et se rabibochent ?
Il ne semble rester que les querelles.
L’union de la gauche
Le maire de Paris, Anne Hidalgo et l’ancien ministre Arnaud Montebourg ont bien tenté de sauver les apparences en lançant l’idée d’organiser une primaire de gauche, afin de faire d’une pierre deux coups : cumuler les votes en faveur des petits candidats (c’est-à-dire eux-mêmes) et tenter de retrouver une dynamique au camp de gauche et peut-être même se sauver du naufrage, voire de l’humiliation avec un minimum de déshonneur.
Jean-Luc Mélenchon , Yannick Jadot et même Fabien Roussel et Philippe Poutou (qui ne peuvent raisonnablement pas espérer se retrouver au second tour) leur ont retourné une fin de non-recevoir .
De quoi mettre encore plus les électeurs de gauche dans l’embarras et dégoûter les derniers supporters du camp du bien.
L’élection présidentielle n’aura qu’un seul but à gauche, et on l’aura compris : utiliser le temps de parole médiatique pour faire de la propagande radio-télévisée à bas prix.
On ne peut raisonnablement plus parler de la gauche, ni même des gauches. Il ne reste que des chapelles.
La gauche française éternelle
La gauche française est née avec la démocratie et la République. C’est le clivage imposé par la règle majoritaire qui a créé cette division droite-gauche qui n’existait aucunement dans le paysage politique français. Avant, sous l’Ancien régime, la politique était une affaire de familles, une affaire de maison : les Guise contre les Valois, les Armagnac contre les Bourguignon…
La gauche européenne est née avec la révolution industrielle. Elle est devenue Internationale en 1864 , puis institutionnelle en 1880 . Elle est enfin devenue mondiale en 1917 , en 1935 , en 1959 …
En 200 ans, la gauche est devenue majoritaire et collectiviste, elle a dû s’adapter à la réalité du pouvoir et a voulu marquer son temps en imposant par l’État, par la force légale, tout une série de changements censés rendre le monde meilleur.
Et puis elle s’est effondrée d’un coup. Partout. Le 9 novembre 1989 , comme un château de cartes, la gauche s’est effondrée avec le mur, ou plutôt avec le rideau qui cachait la désolante bérézina de l’expérience marxiste .
On crédite Emmanuel Macron d’avoir fait exploser la gauche. Elle n’avait en fait juste besoin que d’un simple coup de pouce pour s’effondrer.
Une nouvelle gauche française ?
Ironiquement, paradoxalement, ce qui apparait encore comme la gauche aujourd’hui, ce sont ceux qui pendant deux siècles ont été les cibles de toutes ses critiques : les ennemis jurés, les coupables désignés, les cibles à détruire.
Il ne reste plus à la gauche que la classe bourgeoise urbaine dont les ainés votent bio et les enfants mangent révolutionnaire.
La gauche telle qu’on l’a connue appartient désormais au passé et ce mouvement n’est pas limité à la France. Les partis contestataires et révolutionnaires, comme Podemos en Espagne, ou Die Linke en Allemagne, sont en pleine déconfiture . Le succès du parti écologiste français est une exception européenne, ses homologues d’Europe du Nord abordant des lignes bien plus modérées et bien moins politiques.
Quant aux partis sociaux-démocrates, ils se sont partout transformés en partis de gouvernement progressistes, jetant aux orties toute idéologie, se contentant de survivre en s’érigeant en blancs chevaliers défenseurs d’un monde meilleur, vantant les louanges du capitalisme qu’ils n’avaient eu de cesse de combattre et de conspuer par le passé.
La gauche va devoir se réinventer, à moins qu’elle ne survive en se fossilisant pendant encore des années, barricadée dans ses citadelles, comme le parti communiste qui détient encore quelques municipalités malgré la dégringolade vertigineuse de ce qui fut un temps le premier parti de France.
Le retour des idéologies
Il est bien plus probable que la gauche de demain se trouve parmi la droite d’aujourd’hui.
Un peu partout dans le monde, on voit effectivement se détacher doucement deux droites selon un clivage qui marque le retour des idéologies dans ce camp politique.
À l’origine de ce mouvement de pensée et à l’instar de ce qui arrive parfois aux pôles magnétiques, il y a l’orientation sociologique qui s’est totalement inversée en quelques années. Les électeurs de gauche, le prolétariat comme on l’appelait, se sont largement déportés à droite. Les électeurs de droite, les bourgeois comme on les appelaient, se sont eux retrouvés à gauche.
Ce changement de population dans l’électorat de droite l’a obligé à se remettre en question.
Soutenir l’héritage politique et historique a toujours été le marqueur de droite, face à la gauche dont le credo était de le renverser. Or, l’héritage politique et historique de la France en 2021, ce sont 200 ans de déplacement continu vers la gauche, vers le socialisme, vers le centralisme, vers la moralisation…
L’héritage politique et historique de la France en 2021, c’est le jacobinisme , l’école publique , la santé collectivisée , le système social étatique, le paritarisme, la laïcité et la citoyenneté… La droite est ainsi clairement coincée dans une contradiction : déclarer une politique de droite, c’est-à-dire conservatrice du système politique en place, consiste en fait à vouloir protéger et défendre des héritages issus des idéologies de gauche.
Populiste vs libéraux
Il y a donc deux options pour la droite. Et de ces deux options sortiront la future droite et la future gauche (quels que soient leur positionnement final dans l’hémicycle). Revisiter l’idéologie de gauche pour se l’approprier : remettre au goût du jour la lutte des classes et le centralisme planificateur, rebaptisés lutte des peuples et nation souveraine pour l’occasion. Dépoussiérer une idéologie de droite enfouie sous 200 ans de glissade collectiviste.
Qu’elle le veuille ou non la gauche actuelle devra se repositionner dans cette nouvelle dichotomie. La gauche collectiviste a perdu la partie. Il est bien possible que dans cette transformation, elle retrouve les aspirations qui ont été écrasées par le marxisme et les impératifs de gouvernement.
Il est possible qu’elle dépoussière à l’occasion les grands oubliés de la gauche : les anarchistes utopistes, les rêves libertaires, le mutualisme… et tente de les réintégrer dans le monde moderne, tout comme la droite non nationaliste est en train timidement de dépoussiérer les grands oubliés de la droite – le fédéralisme, le libéralisme, la séparation des pouvoirs, le régalien… – poussée par l’impérieuse nécessité de ne pas se retrouver confondue avec l’autre droite.
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