Dans un État de droit , il est nécessaire de pouvoir critiquer objectivement les institutions ayant pour mission de sauvegarder nos droits et libertés fondamentaux.
En effet, être attaché à ces droits et libertés sous-tend un devoir de « contrôle » sur ces institutions, lequel contrôle s’exprime notamment par la critique universitaire et la critique populaire. Si par le passé j’ai pu faire l’éloge du Conseil constitutionnel , il n’en demeure pas moins qu’il concernait le principe de la justice constitutionnelle en elle-même, notamment au regard de la production normative de l’institution mentionnée, et non l’organe qui l’exerçait. Je n’ai jamais caché mon scepticisme sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Si je lui suis attaché il est tout aussi important de penser contre soi-même, ce à quoi nous invite Lauréline Fontaine.
Les critiques universitaires sur le Conseil constitutionnel touchent principalement la faiblesse de la motivation de ses décisions lesquelles entraînent un manque de cohérence des notions employées. Mais rares sont les critiques qui portent sur le Conseil en lui-même ; autrement dit sur ce qu’il est réellement.
C’est à cela que nous invite donc Lauréline Fontaine dans son dernier ouvrage paru au début du mois de mars 2023 : La Constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel.
Une critique du Conseil constitutionnel sur différents points
La recension de cet ouvrage très stimulant sera assez générale. J’ai fait le choix d’éviter d’entrer trop en détails dans le livre afin de laisser tout le plaisir de la découverte aux futurs lecteurs.
En tant que spécialiste de la justice constitutionnelle, Lauréline Fontaine n’hésite pas à critiquer fortement le Conseil constitutionnel sur de nombreux points. Ceux-ci sont d’autant plus importants qu’ils touchent à l’organisation, à la composition et au fonctionnement du Conseil constitutionnel.
Mais avant d’aborder ces éléments, Lauréline Fontaine fait à raison une critique du discours universitaire sur le Conseil constitutionnel. Elle nous invite ainsi à remettre en cause le discours dominant qui l’entoure depuis la décision du 16 juillet 19711 selon lequel il serait « le gardien des libertés » en France.
Abandonner ce mythe est alors nécessaire pour toute remise en question objective du Conseil constitutionnel et de ce rôle qu’il s’est lui-même attribué et que la doctrine a su, de manière brillante, alimenter, au travers d’un véritable « catéchisme » (p.30).
Ainsi affirme-t-elle que « son rôle de protecteur des droits est tout simplement usurpé » et ce faisant elle nous invite à comprendre comment le Conseil constitutionnel fonctionne réellement afin de saisir pourquoi la protection des droits et libertés paraît si faible en France, malgré sa présence. Ce faisant, Lauréline Fontaine se place dans le même mouvement que Bruno Latour2en regardant, non le discours sur le Conseil constitutionnel, qu’il soit médiatique ou universitaire, mais la pratique réelle de l’institution.
Lauréline Fontaine évoque en premier lieu le « problème récurrent de l’impartialité »
Le problème est en effet bien connu. La (re)lecture du livre de Jean-Louis Debré permet d’apporter de nombreux éléments factuels à ce problème. En effet, la présence de personnalités politiques pour contrôler des politiques doit par évidence interroger, de même que la présence anachronique des anciens présidents de la République. La présence de personnalités politiques ne constituerait pas un problème si ces dernières avaient des connaissances juridiques suffisantes pour pouvoir exercer de la meilleure des manières leurs offices de juges constitutionnels. Or ces conseillers n’ont souvent pas ces connaissances.
Cette faiblesse dans la compétence des conseillers se répercute sur l’institution elle-même, qui souffre alors d’une pauvreté intellectuelle se répercutant enfin sur la qualité des décisions qui sont très faiblement motivées.
À lire une décision du Conseil constitutionnel, on peine à comprendre ce qu’il a voulu dire, et pour cause : les conseillers peinant à argumenter en droit, on voit mal le cheminement intellectuel qui amène à privilégier telle solution plutôt qu’une autre. De même, on voit mal pourquoi telle norme (ex : l’exigence de normativité des dispositions législatives) est rattachée à tel énoncé (ex : l’article 6 de la Déclaration de 1789) et on voit ainsi mal pourquoi un énoncé devrait être normatif, surtout quand on sait que le juge constitutionnel, véritable alchimiste, peut transformer un énoncé non-normatif en norme et ce par une simple opération d’interprétation.
Le Conseil constitutionnel fait ici pâle figure par rapport à ses homologues européens. Rien qu’ici, il est difficile de souhaiter qu’il devienne une « cour constitutionnelle de référence » (L.Fabius) sans se préoccuper de la motivation des décisions. Cette pauvreté intellectuelle explique aussi pourquoi les conseillers raisonnent d’abord en termes d’opportunités politiques (F. Luchaire), avant d’employer des arguments juridiques pour soutenir cette solution (p.112).
Lauréline Fontaine porte aussi sa critique sur l’organisation du Conseil constitutionnel
En effet, on y découvre un manque criant de moyens. Le budget alloué au Conseil constitutionnel est de 13 millions d’euros en 2023, soit deux millions de moins qu’en 2022. Il se trouve sous-doté en matière de personnels avec une soixantaine d’employés (contre 1500 pour la Cour de Karlsruhe ). Le travail de recherche nécessaire pour prendre une décision réfléchie en pâtit nécessairement (p.161).
La critique porte aussi sur l’absence de déontologie de ses membres, déjà critiquée par Jean-Louis Debré. En effet, alors que les autres cours constitutionnelles européennes ont accepté de se doter de règles déontologiques minimales (comme en Allemagne), l’institution française s’y refuse toujours par l’absence d’édiction de règlement en ce sens (p.170). Lauréline Fontaine pointe aussi du doigt les lobbys qui l’entourent (p.202). Qu’ils soient politiques ou économiques, ces lobbys s’expriment notamment par les « portes étroites » leur permettant de tenter d’influencer les décisions rendues.
Cette manière indirecte de faire vient s’ajouter avec une manière plus directe qui passe notamment par la visite de certains lobbyistes dans les bureaux des membres ou par des déjeuners officieux avec certains d’entre eux. Cela pose donc de véritables questions quant à l’impartialité du Conseil constitutionnel.
La protection des droits fondamentaux par le Conseil constitutionnel
J’aimerai terminer cette recension par une ouverture sur la protection effective des droits fondamentaux par le Conseil constitutionnel.
Sans être absent du livre de Lauréline Fontaine, ce point doit être souligné, notamment dans un contexte où les parlementaires veulent constitutionnaliser certains droits.
Cette ouverture fait écho à une tribune publiée par Olivier Beaud du 1er avril 2023 qui faisait suite à un débat qu’il avait eu avec Stéphanie Hannette-Vauchez sur l’interprétation de l’amendement constitutionnel de Philippe Bas et le débat entre « droit » et « liberté ». Sans minorer le débat sur l’interprétation, dont l’auteur de ces lignes est friand, il s’agit de poursuivre la conclusion d’Olivier Beaud dans sa dernière tribune sur le blog de Juspoliticum . Ce dernier pose in fine la question de la pertinence de la constitutionnalisation d’un droit déjà reconnu par le Conseil constitutionnel.
Je rejoins évidemment cette interrogation et souligne le caractère principalement symbolique d’une telle constitutionnalisation.
Mais au regard du livre de Lauréline Fontaine, la question à se poser est la suivante : le Conseil constitutionnel est-il le gardien effectif et efficace de nos droits fondamentaux ?
Si en période d’exception, sa jurisprudence a de quoi inquiéter3, en temps normal, elle a de quoi interroger.
En effet, toujours en raison de sa pauvreté intellectuelle et de son opportunisme politique, le Conseil constitutionnel n’hésite pas à faire prévaloir l’intérêt général (ou la préservation de l’ordre public) dans la balance de conciliation qu’il doit opérer. Or, ni la préservation de l’ordre public ni l’intérêt général sont rattachés à un fondement textuel4. Si le premier est un objectif de valeur constitutionnelle5, le second relève d’une catégorie encore indéfinie.
Cela pose d’autant plus problème que cette notion est subjective et que le Conseil constitutionnel peut utilement l’invoquer à l’appui de n’importe quel texte portant atteinte aux droits fondamentaux. Qui plus est, dépendant « intellectuellement » du secrétaire général du gouvernement (lui-même en étroite relation avec le secrétaire général du Conseil constitutionnel), les membres du Conseil s’en remettent souvent à ses arguments, ce qui influence nécessairement les choix de la solution.
Se pose donc la même question : le Conseil constitutionnel protégerait-il les atteintes portées au droit fondamental que constitue l’IVG, droit qui, pour rappel, fait déjà l’objet d’une constitutionnalisation implicite et indirecte ? S’il est probable qu’il sauvegarderait ce droit d’une violation certaine (en raison des « garanties légales des exigences constitutionnelles »6), se pose quand même la question de cette protection en cas d’une simple atteinte qui ne heurterait pas les exigences constitutionnelles.
Plusieurs interprétations possibles
Pour conclure, plusieurs interprétations peuvent être faites de l’ouvrage de Lauréline Fontaine.
Selon moi, cet ouvrage nous invite à renforcer notre vigilance à l’égard du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux. Cette vigilance nécessaire dans un État de droit doit pousser l’institution à revoir ses habitudes, son fonctionnement, la motivation de ses décisions, afin qu’elle devienne une véritable Cour constitutionnelle.
Ce livre pousse les universitaires à revoir leur manière d’appréhender le Conseil constitutionnel pour, là aussi, être plus vigilants sur la manière de rendre la justice constitutionnelle et pour pouvoir aussi la penser de manière plus réaliste.
Ainsi, ce livre est une invitation à développer une véritable justice constitutionnelle en France afin de protéger de la manière la plus efficacement possible nos droits et libertés fondementaux. Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971 dite « Liberté d’association » ↩ Bruno Latour, La fabrique de la loi, une ethnographie du Conseil d’État, ed. La Découverte ↩ Notamment quand il évoque les « circonstances exceptionnelles » pour ne pas opérer un contrôle de constitutionnalité approfondi sur une loi dont l’inconstitutionnalité est fort douteuse (voir en ce sens : CC, n° 2020-799 DC du 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ↩ Alors qu’il ne serait pas difficile d’en trouver : article 1, 5, 10, 12 et 17 de la Déclaration de 1789 ↩ Décision n°89-261 DC, 28 juillet 1989, cons. 12 ↩ Décision n°2005-530 DC du 29 décembre 2005, cons. 45 (cela constitue un seuil en dessous duquel le législateur ne pourrait descendre, un standard) ↩