C’est un épisode de l’histoire, et même l’Histoire, que l’on commémore pour ses 150 ans, avec des controverses pour savoir si cet évènement doit être fêté ou oublié.
Il s’agit bien sûr de La Commune .
Rappelons les faits, pour ceux qui auraient oublié, ou ceux qui n’en auraient même pas entendu parler (il y en a), malgré l’abondante littérature.
1870, c’est la défaite de la France face à la Prusse. Napoléon III capitule le 2 septembre et est fait prisonnier des Prussiens. Le 4 septembre, une foule de Parisiens envahit le Palais Bourbon (le bâtiment abritant l’Assemblée nationale, en criant « La déchéance ! Vive la République ! ». Et c’est Léon Gambetta qui proclame la République au balcon de l’Hôtel de Ville. Un gouvernement de Défense nationale est constitué « pour sauver la patrie en danger ».
Le 28 janvier 1871, un armistice est signé, et la France s’engage à élire une Assemblée pour ratifier la paix. C’est alors que de nombreux Parisiens se sentent « trahis » par les « ruraux ». En février 1871, les élections à l’Assemblée nationale donnent la majorité aux monarchistes. Adolphe Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif et les manifestations hostiles au gouvernement vont se développer à Paris. Cela marque le début d’un conflit entre les « Versaillais » de Thiers et les « insurgés ». Le Comité central créé à Paris organise des élections municipales en mars 1871, où sur 230 000 votants, 190 000 vont aux candidats de la Commune, celle-ci étant proclamée depuis le balcon de l’Hôtel de Ville en mars le 28 mars 1871. Ce sera une forme de démocratie directe, en opposition à une formule de représentation représentative.
Vont s’enchaîner les combats de rue, jusqu’à ce que l’on a appelé la « semaine sanglante », du 22 au 28 mai 1871, ce jour où l’insurrection est écrasée et ses membres exécutés en masse. Le nombre de victimes est controversé, entre 6000 et 30 000.
Et c’est pendant cette semaine que les insurgés vont entreprendre d’incendier Paris et de faire abattre la colonne Vendôme. Nicolas Chaudin relate avec force détails ces tristes évènements dans son ouvrage Le brasier – Le Louvre incendié par la Commune .
La Commune et la destruction de la bibliothèque impériale
Parmi les bâtiments du Louvre incendiés figure la Bibliothèque impériale. Ce bâtiment faisant partie de l’ensemble du Louvre contient un fond d’études initialement constitué en 1798 à l’usage du Conseil d’État, et successivement enrichi par les souverains successifs. Dès Napoléon Ier, l’habitude a été prise d’y déposer les présents bibliophiliques faits par les chefs d’État étrangers. Des dépôts de legs sont venus ajouter de la poésie, de l’histoire, de la géographie, de l’histoire naturelle, ainsi qu’une collection de reliures armoriées de la Renaissance et du Grand Siècle.
En tout près de 100 000 volumes, par exemple le manuscrit de La Botanique de Jean-Jacques Rousseau, ou cinq planches aquarelle des « Oiseaux d’Amérique » d’Audubon, ou les dessins de Claude Perrault pour le château de Versailles. On accède à cette bibliothèque par ce qui est appelé « l’escalier du Ministre » que Nicolas Chaudin décrit comme « un morceau de bravoure conforme à l’idée un peu bavarde qu’on se fait alors de la Majesté ». C’est cet escalier qui subsiste aujourd’hui. Le reste a disparu.
Comment cela est-il possible ?
Nicolas Chaudin évoque un célèbre poème de Victor Hugo, dans le recueil L’année terrible écrit en 1872, juste après ces évènements. Le poème intitulé À qui la faute ? aide à réfléchir à la réponse :
– Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.
Dans cette France de la fin du XIXe siècle où de nombreux Français sont illettrés ou analphabètes, Victor Hugo porte indirectement l’accusation vers l’État qui organise une sorte de mise à l’écart sociale et culturelle de toute une partie de la population qui n’a justement pas accès à ces livres qu’il aime tant.
On pourrait comparer ces évènements à ceux de l’épisode des Gilets jaunes, qui aux aussi, avaient parfois soif d’incendies. Mais cette fois c’est le Fouquet ’s qui en est l’objet. Le Fouquet’s et la bibliothèque des Tuileries peuvent-ils être comparés ? C’est la même valeur symbolique, et la même utilisation par les médias pour discréditer les « insurgés ». Mais peut-on imaginer ce que Victor Hugo écrirait aujourd’hui :
– Tu viens d’incendier le Fouquet’s ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Pas sûr que cela aurait le même effet. Chaque époque a les symboles qu’elle mérite.
Le pouvoir de la culture
Ce pouvoir de l’éducation et des livres reste un sujet pour aujourd’hui. Mais pour lire il ne suffit pas de déchiffrer les mots et les phrases (pratiquement tout le monde sait le faire aujourd’hui, ou presque, quoique). Mais c’est aussi comprendre, assimiler, savoir interpréter et en tirer leçons et réflexions. Et là, on perd du monde, même parmi les collaborateurs de nos entreprises, ou nos étudiants. Et quand on n’a pas le plaisir de comprendre, ce sont les fake news, et les idéologies qui prennent le dessus.
Ce matin Tom Peters consacrait sa Weekly Quote à la lecture justement.
« Out-READ the Competition !!! Take notes ! Summarize ! Share with others what you read ! »
On peut encore méditer. Aurait-on ainsi évité l’incendie du Louvre ?
On peut se prendre pour Tom Peters ou Victor Hugo pour essayer d’y croire.
Vivent les livres et surtout la lecture !
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