Notre industrie s’étiole, étouffée par les prélèvements obligatoires, les contraintes environnementales et les règlements innombrables. Quel est son avenir ?
En 1973, l’industrie représentait 25 % de la richesse nationale. Cinquante ans plus tard, en 2023, cette part n’atteint plus que 15 %, soit une perte de 10 points. Les emplois industriels ont baissé de 44% depuis 1973 et le secteur n’emploie plus et aujourd’hui que 3,2 millions de personnes, soit 15,5 % de l’emploi privé. Le tissu productif demeure dense, avec 274 000 entreprises générant 1 255 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 368 milliards d’euros de valeur ajoutée, mais il n’exerce plus son rôle moteur d’autrefois. Au cœur de cette dégradation, un facteur revient de manière récurrente : la pression fiscale. Dans un rapport publié le 22 septembre, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a évalué cette charge et ses conséquences.
L’industrie surtaxée bien au-delà de son poids réel
En 2023, l’industrie française a supporté 90,9 milliards d’euros de prélèvements obligatoires, hors droits de douane. Rapporté à sa part dans la richesse nationale estimée, on le rappelle, à 15 %, ce niveau de prélèvements apparaît disproportionné. Le détail révèle une charge lourde et diverse : 50 % de ces prélèvements correspondent à des cotisations sociales effectives, soit 45,3 milliards d’euros, ; 24 %, à des impôts courants sur le revenu pour un montant de 22,1 milliards d’euros, dont près de 13 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés net après crédit d’impôt ; 14 %, à des impôts de production représentant 13,1 milliards d’euros, comprenant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et la cotisation foncière des entreprises (CFE) ; 7 %, à des impôts sur les salaires et la main-d’œuvre (6,6 milliards d’euros) ; 4 %, enfin, à des impôts sur les produits, soit 3,8 milliards d’euros.
Cette situation se traduit par un déséquilibre dommageable : l’industrie est surtaxée par rapport à son poids réel. Elle supporte 25,9 % du total de la CVAE, 29,6 % de la C3S et 24,4 % de la CFE. Le rapport du CPO précise que la seule suppression de la C3S représenterait un gain net de 1,026 milliard d’euros, tandis que celle de la CVAE apporterait 848 millions d’euros supplémentaires. Les effets sont concrets : les entreprises ayant bénéficié de la suppression de la C3S ont enregistré une hausse de leurs exportations d’environ 1 % par rapport à celles qui en sont restées redevables.
Comparaisons internationales
Sur le plan international, la France se distingue par une pression fiscale sur l’industrie nettement plus élevée que celle de ses principaux voisins. Selon un autre rapport du CPO, « le niveau de prélèvements obligatoires sur les entreprises industrielles demeure significativement plus élevé en France que dans les grands pays comparables. En 2022, l’écart en points de valeur ajoutée dans le secteur manufacturier atteint près de 9 points avec l’Allemagne, 3,5 avec l’Italie et 9,7 avec la Pologne », malgré un certain rattrapage ces dernières années. Sans surprise, les entreprises françaises doivent consacrer une part plus importante de leur valeur ajoutée au financement de l’État, réduisant d’autant leurs marges et leur capacité à investir ou à innover.
Par ailleurs, même si l’impôt sur les sociétés est désormais inférieur à ceux de l’Allemagne ou de l’Italie, il reste au-dessus de la moyenne de l’OCDE (25,8 % contre 23,9 %).
Et bien que les prélèvements obligatoires soient de plus en plus faibles, le rapport rappelle que « ce mouvement de convergence demeure partiel, comme en témoignent les écarts encore élevés avec l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. En particulier, la France se caractérise toujours par un poids important des cotisations sociales et des impôts sur les salaires, qui représentent les trois quarts de l’écart avec l’Allemagne. »
Paradoxalement, les aides aux entreprises françaises sont bien supérieures à la moyenne européenne : en 2021, elles représentaient 0,42 % du PIB, plus du double de cette moyenne (0,18 %), dont une grande majorité sous forme de crédits d’impôt. Cela démontre une nouvelle fois que les aides et autres subventions aux entreprises sont autrement moins efficaces que la liberté économique.
La fiscalité écologique contre la compétitivité industrielle
Le CPO appelle à une réforme en profondeur de la fiscalité des entreprises et propose deux orientations : stabiliser durablement un cadre fiscal plus favorable à la compétitivité industrielle et poursuivre l’allègement des impôts de production en privilégiant la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés.
Cela peut certes sembler intéressant, mais le Conseil des prélèvements obligatoires insiste également sur le rôle central de l’industrie dans la transition vers une économie décarbonée. Il considère que l’effort ne doit pas être relâché et que la politique de prélèvements sur les entreprises « doit contribuer à établir un cadre structurant et stable pour la transition environnementale et climatique », par le biais des marchés carbone et du mécanisme d’ajustement carbone aux frontière (MACF) ainsi que par des mesures d’incitation ou de taxation des externalités négatives. Toutefois, l’expérience tend à prouver que cela ne marche pas de cette manière. L’IREF ne cesse de le marteler et de le démontrer, les taxes et les réglementations environnementales ne sont pas une solution pour relancer la réindustrialisation du pays.
De manière générale, et bien qu’elle soit très lourde, la fiscalité française n’explique pas à elle seule la désindustrialisation de notre pays. Pour inverser la tendance, d’autres leviers doivent être activés : maîtriser le coût de l’énergie, faciliter l’accès aux réseaux de transports, garantir la disponibilité d’un foncier ainsi que d’une main-d’œuvre adaptée et simplifier le cadre réglementaire. Rappelons aussi que si elle reste raisonnable, la réduction de la part de l’industrie dans la production de richesse nationale n’est pas nécessairement un signe de faiblesse. Elle peut n’être que le reflet du progrès et de l’évolution de nos économies vers les services qui contribuent de plus en plus, à leur manière et indirectement, à la production industrielle elle-même.
L’article L’industrie française : trop de pression fiscale et une multitude de freins est apparu en premier sur Contrepoints .