Avez-vous pris votre abonnement 2024 ? Non ! CLIQUEZ ICI !
Ou alors participez avec un DON


Découvrez des pages au hasard de l’Encyclo ou de Docu PN
A compter du 25 mai 2018, les instructions européennes sur la vie privée et le caractère personnel de vos données s’appliquent. En savoir +..

L’âpre bataille des femmes syriennes pour l’égalité

, popularité : 2%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
JPEG - 50 ko

Au lendemain de la guerre, les femmes syriennes ont pris en charge une grande partie du fardeau d’une économie disloquée et d’un tissu social en lambeaux. Présentes sur le marché du travail, même dans des secteurs traditionnellement dévolus aux hommes, elles occupent désormais une place importante dans un pays à reconstruire.

Les luttes des femmes syriennes ne sont pas nouvelles, mais elles évoluent rapidement. La dernière décennie de conflit a perturbé les normes sociales et la dynamique des genres. Les récits des femmes de Damas et de ses environs témoignent de changements brutaux qui s’étendent à tout le pays. Cette responsabilité nouvelle est lourde en soi, et s’y ajoutent les traditionnelles formes de discrimination et d’exploitation profondément enracinées qui continuent de peser sur elles. En dépit des obstacles, certaines femmes ont trouvé le moyen de faire de cette situation difficile le marchepied d’une autonomie et d’une autorité sans précédent, qu’elles cherchent à consolider à l’approche d’un avenir nouveau et incertain pour la Syrie.

Une force nouvelle dans la cité

« Le marché aux légumes de ma ville est exclusivement l’affaire des femmes », explique une militante de la banlieue orientale de Damas. Si les femmes ont toujours fait partie de la main-d’œuvre de la ville, elles assument depuis peu un rôle plus important et plus diversifié que jamais : « Elles font tout : elles s’occupent des ventes, elles font le tri entre légumes frais et légumes abîmés ; elles vont même chez les grossistes pour acheter et transporter de lourds cageots de légumes. C’était auparavant un travail d’homme. »

La disparition brutale, ces dernières années, de la population masculine de Syrie a conduit à la féminisation des espaces publics et des lieux de travail. « Les bureaux du gouvernement sont pleins de femmes fonctionnaires maintenant », remarque une chercheuse. Elle plaisante à moitié sur le fait que cela l’a désavantagée : «  Quand nous avons de la paperasse à faire, elles traitent toujours mon mari mieux que moi — je suppose que c’est parce qu’elles flirtent. » Un fonctionnaire du ministère des affaires sociales et du travail a décrit le même phénomène, en chiffres :

Il est arrivé qu’un service gouvernemental publie 80 offres d’emploi et reçoive 3 500 candidatures, dont 60 seulement émanaient d’hommes. Une autre fois, j’ai visité une école dans le centre de Damas où j’ai vu 40 enseignantes à côté de deux hommes. L’un d’entre eux avait 50 ans [c’est-il avait dépassé l’âge de la conscription) et l’autre était le fils unique de sa famille (et donc exempté de la conscription).

Si ces exemples donnent un aperçu des mutations en cours, l’ampleur du changement défie toute quantification précise. Dans un rapport de 2022, la Banque mondiale a estimé que la participation des femmes au marché du travail en Syrie a doublé depuis 2011, passant de 13 à 26 %. Le chiffre réel pourrait être encore plus élevé compte tenu de la prévalence du travail informel et de la difficulté d’obtenir des statistiques précises. Cette transformation ne s’exprime pas qu’en chiffres, il faut aussi prendre en compte l’origine sociale des femmes qui entrent sur le marché du travail et quel type d’emploi elles occupent. « Dans le passé, les femmes mariées de ma ville natale ne travaillaient généralement pas , raconte une mère et veuve de Darayya, une banlieue rebelle de Damas qui a été rasée par l’artillerie syrienne. « Ça a changé lorsque nous avons perdu nos maris, fui nos maisons et que nous avons dû subvenir à nos besoins par nous-mêmes. »

L’une des conséquences est que les femmes occupent désormais des emplois qui auraient été inhabituels ou tabous par le passé. Dans une autre banlieue de Damas, une femme s’est lancée dans une approche tout à la fois entrepreneuriale, inconfortable et triste : elle s’est installée comme cireuse de chaussures sur la voie publique. Ayant éprouvé des difficultés à trouver une clientèle parmi les passants hommes, elle a placé une pancarte les invitant à ne pas craindre de faire cirer leurs chaussures par une femme. Le fonctionnaire a fait part de son propre étonnement quant à l’ampleur de ces changements :

Les femmes font tous les métiers imaginables, de la vente de cigarettes dans la rue à la direction de banques privées. J’ai visité une usine qui comptait huit entrepôts dont six étaient gérés par des femmes. Il y avait des femmes qui portaient de lourdes caisses, qui réparaient des machines, je n’arrivais pas à y croire.

Leur travail contribuant à faire tourner l’économie, les femmes ont également commencé à gérer des entreprises, à administrer des ONG et à occuper des postes dans les milieux managériaux. Dans certains quartiers, les habitants constatent que les femmes sont de plus en plus nombreuses à prendre les rênes de « comités d’immeubles », des groupes de bénévoles qui coordonnent la gestion d’immeubles d’habitation, par exemple en percevant des cotisations pour les dépenses communes. Si certaines assument ces rôles par nécessité, d’autres cherchent à échapper à l’ennui, ou le font par ambition ou par désir de trouver des moyens modestes, mais constructifs de façonner un environnement autrement contraignant. Un travailleur d’une ONG de Dummar, dans la banlieue de Damas, a décrit comment ces facteurs peuvent progressivement amener les femmes à jouer un rôle public : « Ma belle-mère dirige le comité de son immeuble. C’est beaucoup de travail, mais je comprends la raison pour laquelle elle veut prendre en main la résolution de certains problèmes, d’autant que la plupart de ses amies ont quitté la ville ».

Le même constat s’est vérifié lors des élections parlementaires de 2020 qui ont vu davantage de femmes solliciter des responsabilités au niveau local. Certes, les résultats ont donné l’impression d’un retour en arrière. Le nombre de femmes élues a en fait diminué, passant de 32 en 2016 à 27 en 2020. Mais compte tenu de la corruption qui caractérise les élections syriennes, le plus intéressant est d’examiner le profil des quelque 200 femmes qui ont brigué un siège. Historiquement, la représentation féminine était limitée à une poignée de personnalités emblématiques associées au parti au pouvoir. En revanche, certains militants notent que ce dernier scrutin a vu l’arrivée de candidates plus indépendantes, jouant un véritable rôle de leader authentique dans leur communauté. Un policier d’une trentaine d’années a décrit comment il a pu percevoir cette évolution au sein de sa propre famille. :

Ma sœur est une directrice d’école à la forte personnalité et qui est respectée. Elle et son mari sont tous deux des personnalités publiques au sein de leur communauté, mais ils ont estimé qu’elle avait une plus grande réputation de leader. Ils ont donc décidé que c’était elle qui devait se présenter au Parlement. Au bout du compte elle a perdu, mais je pense quand même qu’elle a fait mieux que lui n’aurait fait.

L’évolution des rôles dans la sphère privée

Cette réorganisation spectaculaire de la sphère publique syrienne est sous-tendue par la transformation plus silencieuse, mais non moins profonde des relations personnelles et familiales au sein de la sphère privée. Des femmes de tous horizons ont vite constaté que l’évolution de l’assignation des rôles en fonction du genre avait ébranlé des normes culturelles pourtant profondément ancrées. Elles en ont tiré une autorité et une autonomie accrues lorsqu’il s’agit de décider de leurs déplacements, de ce qu’elles portent, comment elles dépensent leur argent et avec qui elles sortent.

Pour quelques-unes d’entre elles, ce changement est ressenti comme une forme d’autonomisation, voire d’émancipation, qu’il faut apprécier et protéger. Une femme déplacée de la banlieue conservatrice de Damas, Kafr Batna, a exprimé ce sentiment en des termes pour le moins étranges : « War is beautiful. La guerre a un côté positif ». Elle et sa famille ont énormément souffert pendant le conflit, ayant fui leur maison pour s’installer dans une zone voisine où ils ont eu du mal à joindre les deux bouts. Pourtant, elle est parvenue à tirer parti de ces difficultés en profitant de la pression économique et d’un nouvel environnement moins conservateur pour revendiquer un espace qui lui avait été refusé par le passé :

Chez moi, mes proches m’obligeaient à me couvrir le visage en dehors de la maison. Je n’étais autorisée à sortir pour faire des courses qu’accompagnée de ma belle-mère. Après notre déplacement, j’ai commencé à aller m’acheter des choses pour moi-même et j’ai pris la décision de ne plus me couvrir le visage.

D’autres sont plus partagées, voire carrément irritées par les lourdes charges qu’elles n’ont d’autre choix que de supporter. Pour les femmes soutiens de famille en particulier, les responsabilités accrues peuvent ressembler davantage à une camisole de force qu’à une libération, suscitant la nostalgie de l’époque où les hommes s’occupaient généralement des besoins de leur famille. « Nous, les femmes, vivions dans le luxe, raconte une veuve pourtant pauvre de la banlieue de Damas, assise à l’arrière du pick-up qui la ramène d’un centre pour femmes où elle suit des formations professionnelles. On subvenait à tous nos besoins. Maintenant, nous n’avons que nous-mêmes ».

Aujourd’hui, pour survivre, il faut souvent cumuler plusieurs emplois dans des conditions d’exploitation pénibles. Beaucoup n’arrivent toujours pas à joindre les deux bouts et sont obligés de prendre des décisions douloureuses : quel repas sauter, quand retirer les enfants de l’école pour les mettre au travail, s’il faut marier les jeunes filles pour se débarrasser du fardeau économique que représente leur nourriture. Les mariages d’adolescentes sont en hausse. En 2019, un responsable du ministère syrien de la Justice a publiquement affirmé que le taux de mariage des mineurs à Damas et dans sa banlieue avait plus que quadruplé depuis 2011. Dans certains cas, ces choix sont motivés non seulement par la pression économique, mais aussi pour la sécurité des jeunes filles : « Ma fille de 16 ans et moi vivons entourées de soldats et d’ivrognes, s’inquiète une femme déplacée. « Je veux la marier le plus vite possible pour ne plus avoir à m’inquiéter de sa sécurité ».

Alors que les femmes se battent pour obtenir davantage de responsabilités, elles sont également confrontées à des problèmes anciens et familiers, allant de codes sociaux répressifs aux violences domestiques. L’exploitation sexuelle est plus répandue que jamais, alimentée par un mélange de désespoir économique et d’effritement du tissu social. « De plus en plus de femmes vendent des services sexuels en ligne pour couvrir leurs besoins économiques », explique un instructeur qui dispense des formations aux femmes. « Elles envoient des photos de nus à des hommes qui leur transfèrent ensuite des crédits téléphoniques ou de l’argent pour le loyer. Beaucoup de ces hommes se trouvent dans d’autres pays arabes et exploitent le fait que les femmes syriennes se retrouvent seules. » De telles anecdotes sont légion, et ne sont pas limitées au monde virtuel d’Internet : des professeurs sollicitent des relations sexuelles avec des étudiantes en échange de bonnes notes ; des managers troquent des emplois contre des faveurs sexuelles ; des bureaucrates et des responsables sécuritaires promettent de faciliter des procédures pour les femmes qui couchent avec eux.

Ces pratiques prédatrices laissent entrevoir des transformations plus profondes dans le rapport de la société à la sexualité. L’effondrement des codes sociaux traditionnels a entraîné la diminution de certaines contraintes liées au droit de disposer de son corps. En public, les médias et l’industrie de la publicité affichent la sexualité féminine de manière toujours plus libérale, permettant aux mannequins et aux influenceuses des médias sociaux de gagner leur vie en commercialisant leur féminité. Derrière des portes closes, un nombre croissant de femmes — en particulier dans les milieux urbains, laïcs et de classe moyenne — a expérimenté des relations amoureuses occasionnelles, défiant les vieux tabous sur les relations sexuelles avant le mariage.

À mesure que les femmes font tomber les barrières qui entravaient leurs relations sentimentales, elles revendiquent en même temps la liberté de pouvoir décider d’y mettre un terme, y compris au sein de communautés où le divorce était autrefois fortement stigmatisé. Une jeune pharmacienne explique qu’elle ne regrette pas d’avoir divorcé de son mari peu après avoir donné naissance à leur premier enfant : «  Nous nous sommes disputés, et je suis partie en taxi. Il m’a poursuivie dans sa voiture en me criant de sortir du taxi. J’ai décidé à ce moment-là que je ferais mieux d’élever mon enfant seule. »

Bien entendu, ces transformations ont également un profond impact sur les hommes. Certains ont accepté ces changements, soit parce qu’ils croient sincèrement à l’égalité hommes-femmes, soit par pragmatisme, considérant qu’il est nécessaire de s’adapter à un monde en évolution. Au nom d’une situation économique difficile, ils peuvent désormais accepter que leurs femmes, leurs sœurs ou leurs filles occupent des emplois dans des endroits qui leur étaient autrefois interdits, ou qu’elles adaptent leur tenue vestimentaire de manière à se fondre dans leur nouvel environnement. En écho à la femme de Kafr Batna qui a choisi d’enlever son voile, une autre jeune femme qui a quitté la ville religieuse de Douma pour s’installer à Dummar, moins conservatrice, a expliqué : « Ce sont les hommes de ma famille qui m’ont demandé d’arrêter de me couvrir le visage afin de ne pas me faire remarquer. » Cette influence considérable que les hommes continuent souvent d’exercer sur les conditions et l’étendue de l’autonomie des femmes de leur entourage illustre bien l’ampleur du travail qui reste à accomplir.

Les progrès sont en outre ralentis par le fait que tous les hommes ne sont pas aussi ouverts au changement. D’autres sont plus réticents à l’idée de voir les femmes de leur entourage assumer une indépendance et des responsabilités croissantes, que ce soit en raison de croyances sociales conservatrices ou de la crainte liée à l’évolution de la dynamique du pouvoir au sein de foyers autrefois dominés par les hommes. « Les hommes auxquels nous sommes liées détestent que nous sortions tous les jours et que nous ayons des contacts avec d’autres hommes », a déclaré la femme déplacée de Kafr Batna, qui se querellait parfois avec son mari lorsqu’il lui demandait de s’abstenir de travailler ou de suivre des formations professionnelles. « Beaucoup de femmes finissent par mentir à leurs maris pour pouvoir faire ce qu’elles veulent ».

Il reste à voir comment ce bras de fer évoluera dans les années à venir. Alors que certains hommes chercheront à réduire l’espace que les femmes se sont taillé, d’autres s’adapteront au nouvel équilibre entre les sexes que connaîtra la Syrie et seront même façonnés par cette évolution. Le plus curieux est peut-être qu’un nombre sans précédent de garçons sera élevé par des mères célibataires dans des communautés où les femmes sont aux commandes. Bien qu’il soit trop tôt pour dire ce que cela représentera, il est certain que cette génération grandira avec une vision des femmes très différente de celle de ses grands-parents.

Faire bouger les lignes

Bien entendu, les femmes syriennes seront amenées à jouer un rôle majeur dans cette évolution. Alors qu’elles tracent une voie à suivre encore hésitante, certaines trouvent les moyens de consolider les gains modestes, mais significatifs qu’elles ont obtenus. La femme de Kafr Batna est retournée dans sa ville natale et est passée d’un emploi mal rémunéré dans la broderie à une occupation plus stable et financièrement plus avantageuse dans un centre communautaire. La femme de Darayya, qui a perdu son mari et a lutté pour subvenir aux besoins de ses enfants, a également accédé à un poste de direction dans une ONG, tout en trouvant contre toute attente le temps de s’inscrire à un programme de licence à l’université de Damas.

La plupart des trajectoires, cependant, sont moins rectilignes, car les femmes cherchent à trouver un équilibre entre ce qu’elles étaient, ce qu’elles sont devenues, et ce que d’autres voudraient qu’elles soient à l’avenir. Une étudiante universitaire d’une vingtaine d’années, qui a suivi cinq années de formation dans la capitale, a décrit comment les traditions patriarcales limitent encore l’émancipation des femmes dans son village natal, conservateur, de la campagne de Damas :

En ville, je sortais toujours en chemisier moulant et maquillée, mais si je fais ça ici, les voisins parlent mal de nous. Alors je suis revenue aux chemisiers longs et je ne me maquille plus. Ma sœur est plus têtue et a continué à s’habiller comme avant. Mes parents ne sont pas contents. Nous avons la réputation d’être trop libérales pour pouvoir être mariées.

Ces luttes individuelles sont liées à un processus plus collectif de réflexion sur la place des femmes dans la société. Il y a dix ans, les discussions sur les droits des femmes et l’égalité des sexes en Syrie étaient confinées à des cercles élitistes de militantes féministes dont les opinions de gauche ne parvenaient généralement pas à toucher un échantillon plus large de la société. Aujourd’hui, ces discussions sont de plus en plus variées, publiques et au goût du jour. Lorsque, par exemple, une jeune femme syrienne a été battue à mort par son mari le soir du Nouvel An, cela a déclenché des discussions sur la violence domestique dans différents coins du pays, depuis les banlieues conservatrices de Damas jusqu’aux prisons pour femmes.

Ces changements reflètent en partie les efforts soutenus de groupes de plus en plus soudés de féministes, tant dans le pays qu’au sein de la vaste diaspora syrienne. Alors que le mouvement #MeToo prenait de l’ampleur dans le monde, les militantes syriennes basées en Europe ont rassemblé des dizaines de milliers de « followers » qui discutaient des droits des femmes sur Facebook et TikTok. Elles se sont attaquées à des tabous tels que la violence sexiste et l’autonomie sexuelle, et ont partagé des conseils juridiques pour les femmes réfugiées aux prises avec des violences domestiques dans un environnement nouveau et peu familier. De retour au pays, des militantes ont profité de cet élan mondial pour développer leurs propres tactiques. Elles ont organisé des discussions en face à face, d’autres virtuelles, mené des campagnes de sensibilisation au harcèlement sexuel et créé des associations qui offrent un soutien juridique et psychologique aux victimes d’abus. Elles ont également tissé des liens par-delà les frontières, contribuant à coordonner des campagnes de sensibilisation transnationales qui dénoncent la violence à l’égard des femmes dans le monde arabe.

Le rôle contesté des soutiens occidentaux

Alors que les femmes syriennes consolident leurs avancées, certaines d’entre elles ont fait appel à des soutiens financiers occidentaux censés contribuer à leur autonomisation. Cette pratique a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des femmes qui y participent. Les programmes de « moyens de subsistance durables », par exemple, ne génèrent que rarement des moyens de subsistance durables, sur un marché du travail où rares sont les emplois offrant un salaire viable. Qui plus est, ces mêmes projets — dont beaucoup sont axés sur la couture et l’artisanat — renforcent indéniablement les stéréotypes concernant le type de travail que les femmes devraient exercer. La responsable de l’association de Darayya est du même avis : « Je suis excédée du nombre de fois où mon organisation m’a filmée et a partagé mon histoire pour collecter des fonds pour des formations en couture. »

Pourtant, même celles qui critiquent ces états de fait y trouvent parfois leur intérêt. Certaines réussites sont limpides : la femme de Darayya est un exemple relativement rare de quelqu’un qui a commencé comme stagiaire et a accédé à un poste stable qui lui permet de payer ses factures. D’autres réussites sont moins évidentes : si une femme des classes défavorisées ne parvient pas à transformer ses cours de tricot en un véritable emploi, elle peut néanmoins trouver des moyens plus créatifs d’en tirer parti, que ce soit en vendant son fil pour acheter de la nourriture ou simplement en utilisant le centre de formation comme un espace pour se détendre, entrer en contact avec d’autres femmes et discuter de problèmes communs. « Nos activités sont particulièrement importantes pour les femmes âgées qui n’ont pas beaucoup d’occasions de sortir et de rencontrer des gens », déclare une instructrice dans un atelier d’artisanat. Ainsi, même lorsque les programmes d’autonomisation n’atteignent pas leurs objectifs, les femmes peuvent néanmoins y puiser les ressources dont elles ont besoin pour continuer à avancer.

Une révolution tranquille

Alors que des femmes de tous horizons vont de l’avant, leur force la plus grande et la plus durable ne réside peut-être pas dans les carrières qu’elles entreprennent, les salaires qu’elles gagnent, ni même les libertés qu’elles s’arrogent, toutes choses qui pourraient s’éroder au fur et à mesure que la Syrie avance de manière erratique. Un atout plus certain, sur lequel les femmes elles-mêmes exercent un contrôle important, est la révolution tranquille qui se déroule dans la façon dont elles se parlent, apprennent les unes des autres et se soutiennent. Sur les lieux de travail, dans les espaces communautaires et en ligne, les femmes syriennes n’ont jamais été autant connectées les unes aux autres ainsi qu’à des alliés potentiels dans le monde arabe et au-delà.

Les femmes à la tête de ces changements sont les premières à reconnaître l’ampleur du travail qui reste à accomplir. Elles restent divisées selon les mêmes lignes de fracture que celles de la société : entre celles qui vivent à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie, entre les riches et les pauvres, les jeunes et les vieilles, les laïques et les croyantes. Pourtant, cette pluralité est aussi une force en soi. Comme dans toute dynamique en développement, les divisions et les désaccords peuvent favoriser le progrès ou l’entraver. C’est aussi une partie intégrante de la manière dont les femmes assument leur véritable place dans une société complexe et fragmentée dont elles façonnent déjà l’avenir incertain.

#

Traduit de l’anglais par Christian Jouret .

Cet article, dont le titre original est «  Syria Becoming. Women’s tough bargain » a été rédigé collectivement par l’équipe de Synaps en Syrie.

Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/la-...