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L’agriculture biologique sous perfusion : un scénario prévisible ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Un gouvernement prompt à distribuer l’argent qu’il n’a pas a annoncé une aide de 60 millions d’euros, incluse dans une dotation supplémentaire de 200 millions, à une agriculture biologique en crise. Peut-être pour foncer encore plus vite dans le mur.

Sur un petit nuage…

Pendant longtemps, les idéologues et thuriféraires de l’agriculture biologique et du biobusiness vivaient sur un petit nuage. Une croissance continue, même à deux chiffres, des « conversions » vers l’agriculture biologique, gage d’augmentation des productions ; une demande croissante, également soutenue par une prolifération des magasins spécialisés ; une implication croissante de la grande distribution généraliste, soucieuse de ne pas perdre ce marché mais souvent accusée de gonfler ses marges ; un fort soutien des décideurs publics nationaux (gouvernements et élus) et locaux, etc.

Tout cela était alimenté par un marketing agressif et riche de fausses promesses , et d’allégations au mieux fallacieuses sur les prétendus vices de l’agriculture conventionnelle et, en regard, les prétendus bienfaits de l’agriculture biologique ; un échange de bons procédés avec des entités œuvrant pour l’interdiction des pesticides (de synthèse car, contrairement à de nombreuses allégations, l’agriculture biologique utilise aussi des pesticides, mais en principe pas de synthèse) et promouvant directement ou indirectement l’agriculture biologique ; la création de marchés captifs (la restauration collective publique) à compter du 1er janvier 2022 par l’article 24 de la loi dite EGalim .

On peut ajouter des médias largement acquis à la cause, des études en principe scientifiques mais singulièrement complaisantes , contestées sur le plan statistique et nutritionnel (parfois publiées par des revues aux motivations douteuses , ou même commandées par l’Union européenne …). Le Plan National Nutrition Santé a même été en quelque sorte piraté pour y inclure une recommandation de privilégier les fruits et légumes bio. Et la Cour des comptes a aussi produit le 30 juin 2022 un rapport sur le soutien à l’agriculture biologique qui reprenait sans recul ni esprit critique les éléments de langage des VRP de l’agriculture biologique.

Le 1er mars 2019, l’IREF a publié une étude de la plume de M. Laurent Pahpy, « Agriculture bio : tromperies subventionnées », qui résume bien la situation.

2021 : pas de souci, tout va (presque) bien…

L’euphorie a persisté quand sont apparus les premiers signes d’un ralentissement (une consommation en baisse de 1,34 % en 2021 , avec un chiffre d’affaires ramené à environ 12,66 milliards d’euros (pour une part de marché de 6,63 %), dans le contexte d’une baisse de 2,28 % de la consommation alimentaire) et de crises sectorielles importantes.

Sur son site, sur la page « Le bio en quelques chiffres » (qui demande à être mise à jour), l’Agence Bio écrit : « Le bio tousse après des années de croissance à deux chiffres ».

Plus lucide, mais encore timide, Mme Laure Verdeau, directrice de l’Agence, éditorialise, en juin 2022, dans le rapport d’activité 2021 :

« 2021 fut la première année où le secteur bio a connu une croissance bonne, certes, mais moins rapide, qui a suscité les premières interrogations sur l’adéquation offre-demande. »

2022 : la chute s’amplifie

En 2022, selon Réussir , les ventes ont baissé de 3,9 % en valeur, et de 7,8 % en volume. La baisse de l’offre en grandes et moyennes surfaces était de 8,5 % sur l’année, et a frôlé 12 % en décembre. Les grandes et moyennes surfaces généralistes ont réduit leurs linéaires bio.

Au total, 222 magasins spécialisés ont fermé en 2022.

Si, selon La France Agricole , Biocoop, premier distributeur spécialisé du pays avec 45,4 % de parts de ce marché, s’est dit optimiste pour 2023, des chiffres peuvent raconter une autre histoire. Son chiffre d’affaires s’est contracté de 5,6 % en 2022. Cette année-là, l’enseigne a ouvert 40 nouveaux magasins et en a fermé 36. En 2023, ce seront 17 et une quarantaine, respectivement.

Pour La Vie Claire , c’est -8,7 % en 2022.

Ayant subi une baisse de 7,8 %, Naturalia envisage d’étendre sa gamme à des produits non certifiés bio mais répondant à des attentes élevées de la clientèle.

Le secteur productif est touché

Le secteur de la production, c’était 58 413 exploitations, soit 13,41 % des exploitations agricoles, et 2,78 millions d’hectares (surfaces en conversion comprises), soit 10,34 % de la surface agricole utilisée.

Il subit deux phénomènes contraires : les arrivées de ceux qui ont accompli les deux (cultures annuelles) ou trois (cultures pérennes) années de conversion (+9 % en surface en 2021), et les départs liés à des cessations d’activité ou des « déconversions ».

Les chiffres du reflux ont longtemps été très difficiles à obtenir d’une Agence Bio singulièrement cachottière sur le deuxième volet, voire fâchée avec les statistiques . Les interrogations demeurent. Ainsi, les 278 353 hectares en première année de conversion de 2020 deviennent logiquement des surfaces en deuxième année de conversion en 2021, mais elles passent à 320 509 hectares. Ce chiffre inclut-il les troisièmes années ? Il suffisait de le préciser dans le tableau ou d’ajouter une ligne.

Les choses se sont cependant un peu améliorées. Pour 2021, l’Agence Bio a annoncé une attrition de 4,17 % en nombre d’exploitations.

L’Obs a par exemple publié un émouvant reportage sur un producteur de porcs qui a mis la clé sous la porte : « Le blues des agriculteurs bio : je ne voyais plus mes porcs mais mes pertes : de 40 à 50 euros par cochon  ».

Une autre réponse à la crise – qu’on espère temporaire – est la commercialisation de produits comme le lait, la viande et les œufs dans le circuit « conventionnel ». « Un litre de lait bio sur trois est aujourd’hui vendu comme du lait ordinaire » titraient ainsi Les Échos le 1er mars 2023… alors que la collecte bio continue d’augmenter (+2,7 % en 2022). Le prix du lait bio a même chuté temporairement en dessous de celui du lait conventionnel l’année passée.

Pourtant, les contraintes et exigences du bio se traduisent généralement par des coûts de production à l’unité de produit supérieurs, lesquels se retrouvent dans une partie des suppléments de coûts supportés par les consommateurs.

Le bio victime de ses idéologues

Et ces contraintes ont été alourdies par le nouveau règlement européen du 30 mai 2018, devenu applicable au 1er janvier 2022.

Les idéologues hexagonaux n’ont pas été en reste, par exemple pour le chauffage des serres pendant l’hiver . Certains producteurs ont ou auront interdiction de commercialiser des aubergines, concombres, courgettes, poivrons et tomates entre le 21 décembre et le 30 avril. Mais le cycle des saisons ne s’applique pas à tous , et les distributeurs peuvent s’approvisionner à l’étranger… et bénéficier de prix à la production beaucoup moins élevés.

Et, nécessité économique faisant loi, ces prix deviennent attractifs pour des distributeurs qui peuvent délaisser la filière d’approvisionnement locale et jeter les grands principes affichés aux orties… suscitant le décrochage de quelques affiches vantant les vertus du localisme, comme à Saint-Vigor-le-Grand, près de Bayeux (Calvados).

https://twitter.com/yvesdamecourt/status/1657603684677697537

Les boniments perdent en efficacité

L’inflation n’est pas la seule cause de cette situation.

Dans un premier temps, on a aussi cherché des boucs émissaires. Le Monde titrait ainsi le 10 juin 2022 : « Le marché du bio ralentit en raison de l’inflation et des labels trompeurs ». En ligne de mire, essentiellement, la Haute Valeur Environnementale (HVE), mais aussi des labels privés garantissant par exemple l’absence de résidus de pesticides dans les produits (le cas échéant dans les limites de quantification).

Artistiquement dézingués par l’UFC-Que Choisir – certes grande promotrice de l’agriculture biologique – ces produits ont vu leurs ventes progresser (par exemple en 2021, selon Réussir , de 9 % pour ceux du Collectif Nouveaux Champs qui regroupe plus de 600 producteurs). Mais il faut être prudent avec les pourcentages quand on ne connaît pas leur base, et en plus avec la signification de la hausse : est-ce lié à l’allégation de santé, ou plus simplement à la présence d’un produit visuellement attrayant sur l’étal des produits « conventionnels » ?

L’Agence Bio nous apporte des éléments de réponse. Elle écrit de but en blanc dans un communiqué de presse sur le vingtième baromètre de perception et de consommation des produits biologiques :

« Cette vingtième édition du baromètre de perception et de consommation des produits biologiques par les Français, menée par l’ObSoCo pour l’Agence BIO, révèle une hausse inédite de la défiance des Français envers les labels ou démarches de qualité et de respect de l’environnement, dont les labels bio Eurofeuille et AB. »

Elle évoque aussi en chapô un « manque d’informations des Français sur le bio ». Tout en vantant l’efficacité de la Campagne #bioreflexe, « à la fois sur la connaissance, la compréhension et la confiance du citoyen/consommateur pour le bio »…

Le gouvernement confronté à la crise

À l’occasion du Salon International de l’Agriculture, le gouvernement avait annoncé, assez discrètement, une aide à l’agriculture biologique de 10 millions d’euros.

Lors d’un déplacement dans l’Oise sur une exploitation laitière biologique, le 17 mai 2023, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, Marc Fesneau, a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 60 millions d’euros pour un soutien direct aux producteurs biologiques. « Insuffisant » a rétorqué une profession qui peut comparer cette somme, par exemple, au 1,2 milliard d’euros attribués à la filière volaille touchée par la crise de la grippe aviaire ou aux 270 millions accordés à la filière porcie.

Marc Fesneau a aussi évoqué un renforcement du plan de soutien avec un appui supplémentaire – ou peut-être seulement à hauteur totale – de 200 millions d’euros.

On peut critiquer l’aide d’urgence en faveur d’une filière malmenée, mais on peut aussi considérer que c’est la contrepartie d’une grande responsabilité de l’État nounou, microgestionnaire et un brin mégalomane dans la situation actuelle.

La folie des grandeurs bio

Le 25 juin 2018, à l’issue du Grand Conseil d’Orientation de l’Agence Bio (oui, ça existe…), le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, avait présenté un Programme Ambition Bio 2022 doté de 1,1 milliard d’euros et dont le premier axe majeur visait à « développer la production pour atteindre les 15 % de surface agricole française cultivée en bio à l’horizon de 2022 ».

Bien sûr, confronté à un échec prévisible (10,8 % de la surface agricole utile à l’heure actuelle), le gouvernement a recouru à la stratégie bien connue de la fuite en avant et porté l’objectif à 18 % dans le cadre du Plan national stratégique PAC, objectif réaffirmé le 1er mars 2023 dans l’annonce du plan de soutien … et réaffirmé (mais à 17 % selon La France Agricole , peut-être par erreur) le 17 mai 2023.

Quant à la Commission européenne, son délirant projet « farm to fork » (de la ferme à la table) ambitionne 25 % de surface agricole utilisée en bio d’ici 2030 .

Revenir sur Terre

À ce stade, la profusion de chiffres budgétaires donne le tournis – et dire que dans certains milieux on déplore le manque de moyens consacrés par les pouvoirs publics qui nourrirait la crise du bio… Ainsi, le ministère ajoute 500 000 euros au budget de l’Agence Bio dédié à la seconde campagne #BioReflexe. Dans le cadre des 200 millions ou en sus ?

Mais le fond du problème n’est pas là.

Il est plus que temps de tirer les leçons du marasme actuel de la filière biologique, qui touche aussi d’autres pays comme l’Autriche , qui se voulait le meilleur élève de l’Europe en la matière.

La crise liée au covid et la guerre d’agression de la Russie en Ukraine ont montré l’importance de la souveraineté alimentaire, même pour notre pays qui est (encore) un exportateur net de denrées alimentaires.

Il faut être conscient de l’écart de rendement entre bio et « conventionnel : en moyenne décennale sur 2009-2018, ce sont 29,2 contre 71,6 quintaux/hectare en blé (ou près de 2,5 hectares en bio pour produire la même quantité de nourriture qu’un hectare en « conventionnel ») et 58,4 contre 92,9 quintaux/hectares en maïs (1,6 hectare).

En France, les rendements du bio sont un quasi-secret défense. La profession est plus transparente en Allemagne . Elle illustre l’importance des enjeux : des réductions de rendements, en gros du quart à la moitié selon les espèces.

L’inflation récente, surtout des prix alimentaires, démontre – s’il le fallait encore – que les réponses aux enquêtes à l’entrée d’un supermarché ne correspondent pas au contenu du chariot à la sortie ; des enquêtes souvent biaisées du reste. Et l’expérience récente nous incite à penser que les consommateurs ont compris qu’ils étaient menés en bateau, et ne s’en laissent plus conter.

Au discours fallacieux, voire mensonger, des bénéfices des produits de l’agriculture biologique pour la santé – fondés sur une intense création de peurs face aux résidus de pesticides – il faut opposer un discours rationnel. Ces résidus ne sont pas ubiquitaires dans les produits conventionnels et quand ils sont présents, c’est à des niveaux sans danger pour le consommateur. En revanche, le risque peut être bien plus grand avec les produits biologiques s’agissant des contaminations par des bactéries, des mycotoxines ou des adventices toxiques. En outre, la santé publique doit arbitrer entre ces peurs infondées et le risque réel que les populations défavorisées renoncent aux fruits et légumes s’ils devenaient hors de portée de leur budget.

L’idéologie de l’agriculture biologique est aussi un frein considérable aux progrès agronomiques et même nutritionnels (songez aux « OGM cachés », dont certains apportent un bénéfice nutritionnel avéré, et aux belles perspectives de développements grâce aux nouvelles techniques génomiques d’amélioration des plantes).

Les mérites de l’agriculture biologique du point de vue environnemental sont aussi, pour le moins, contestés (c’est par exemple le débat entre le land sharing et le land sparing).

Les idéologues de l’agriculture biologique ont longtemps grenouillé pour l’introduction d’un système de notation environnemental. Quand ils ont vu l’agribalyse fondée sur l’analyse du cycle de vie, prélude à un écoscore, ils sont tombés de leur chaise . En bref, les bénéfices allégués de l’AB, calculés à l’hectare, ne se retrouvent plus au niveau de l’unité produite. Qualifiant l’écoscore de « déloyal à l’égard de la production biologique et déceptif pour les consommateurs », ils grenouillent maintenant pour un système qui, à notre sens, relève de la tromperie, le Planet Score .

L’agriculture biologique a cependant une place dans l’écosystème économique, mais pas celle que les idéologues de la filière, des gouvernements et des ONG veulent imposer. C’est aussi dans l’intérêt des producteurs de la filière biologique que de la remettre à sa vraie place : un marché de niche.

Il serait grand temps de faire un audit sérieux et complet.

Mais en suivant les préceptes de Frédéric Bastiat , en tenant compte de ce qu’on voit et de ce qu’on ne voit pas.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2023/0...