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L’agence spatiale française se comporte comme l’agence d’un grand pays mais avec des moyens limités

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Le CNES, Centre national d’études spatiales, est l’agence spatiale de l’État français . Elle est chargée d’élaborer et de proposer à son gouvernement un programme spatial, puis de le mettre en œuvre. Son président, Philippe Baptiste , a présenté ses vœux à la presse le 9 janvier. Ce qui frappe à première vue dans son message, c’est l’ambition, ce qui est bien, mais aussi le grand nombre d’objectifs. La France, pionnière dans le domaine spatial, a une tradition qui l’entraîne à se lancer dans de multiples projets. Mais, en tant que puissance publique, elle a de moins en moins d’argent, elle est sérieusement contrainte par l’Europe, et elle n’a plus de lanceur propre.

Comme le budget 2024 du CNES a été fixé, il n’y aura pas de surprise, il sera réalisé. Mais dans la réalité, il y aura dispersion du fait du saupoudrage, et l’on peut craindre un faible effet de la plupart des actions entreprises. Des pistes seront ouvertes, qui risquent de ne mener nulle part ou de ne pas accoucher sur grand-chose, faute pour le CNES d’avoir les moyens de les développer.

De plus, malgré ces limitations, certains choix présentés comme prioritaires peuvent être critiqués. Pourquoi donner autant d’importance à l’écologie et au climat si ce n’est par idéologie à la mode ? Par ailleurs, le CNES s’obstine à ignorer les vols habités, comme jadis le réutilisable. Ces inadéquations sont peut-être normales pour une entreprise publique dirigée par un haut fonctionnaire, certes polytechnicien, mais qui, avant sa nomination à ce poste en 2021, n’avait pas démontré un intérêt particulier pour l’espace. Malheureusement l’entreprise est en concurrence sévère avec plusieurs géants mondiaux qui ne lui feront pas de cadeaux.

Pour aborder sérieusement le sujet, il faut d’abord décrire le contexte institutionnel dans lequel le CNES travaille, puis mentionner les montants en jeu, et enfin ne pas oublier que la France mais aussi l’Europe, sont en pleine crise de leurs moyens de lancement, ce qui les contraint à acheter fort cher le service des autres, à commencer par ceux de SpaceX.

Une autonomie limitée

Contrairement à la NASA, le CNES n’intègre pas les lancements dans ses responsabilités. Cette différence résulte de l’importance relative de la société qui a effectué jusqu’à ce jour la quasi-totalité des lancements, ArianeGroup, restée autonome et très puissante. À côté, Roscosmos avec ses Soyouz ainsi que l’Italien Avio avec ses Vega ont utilisé les installations du Centre spatial guyanais (Kourou) qui appartiennent au CNES. Bientôt sans doute, d’autres sociétés du monde du NewSpace pourront aussi collaborer avec lui. On verra alors si les rapports entre têtes pensantes et transporteurs changeront.

Au-delà de ces rapports techniques avec ArianeGroup, l’autonomie du CNES est contrainte une première fois par l’appartenance de la France à l’ESA, l’Agence spatiale européenne. Cette dépendance est toutefois atténuée par le fait qu’elle en est le contributeur le plus important, ce qui lui donne un effet de levier non négligeable sur ses partenaires.

Elle est contrainte une seconde fois par l’appartenance de la France à l’Union européenne , les États membres (qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de l’ESA) ayant reconnu à l’Union une compétence dans le domaine spatial. Cela a donné lieu à la création en 2021 de l’EUSPA (European Union Agency for the Space Program), une agence spécifique (différente de l’ESA) qui travaille en collaboration avec la Commission de l’Union européenne et avec l’ESA. Union européenne et ESA sont liées par un accord conclu en 2004 (« Framework agreement between the European Community and the European Space Agency »).

La création de l’EUSPA marque une intention dont on n’a pas fini de constater les conséquences. L’Union européenne s’exprime par l’intermédiaire d’un commissaire, Thierry Breton, en charge de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace. Le 8 novembre, après le sommet interministériel des pays membres de l’ESA, à Séville, ce dernier a déclaré que l’Union européenne « devait avoir le contrôle de la politique des lanceurs spatiaux aujourd’hui exercé par l’ESA ». Il souhaité « qu’à l’avenir, la politique des lanceurs soit définie et pensée dans le cadre de l’Union comme déjà fait pour Iris2, la future constellation de satellites de communications sécurisées ». Dans ce contexte, la liberté de politique spatiale de l’ESA est évidemment compromise mais celle du CNES maintenant coiffé par l’EUSPA l’est tout autant.

Des ambitions disproportionnées aux moyens

Pour 2024, le budget du CNES est de 3,029 milliards dont 1,108 pour la participation de la France au budget de l’ESA et 0,898 pour le programme national auxquels s’ajoutent principalement 0,211 millions pour le Programme France 2030 (pour mémoire le périmètre des dépenses publiques de la France pour 2024 est de 492 milliards). Le budget de l’ESA est de 7,8 milliards ; celui de la NASA, de 27 milliards. On voit donc que l’effort de la France pour le spatial est très faible, tant au plan national qu’au plan international. Hors contribution à l’ESA, sa marge de manœuvre est limitée à un peu plus d’un milliard.

Enfin, la France, l’Europe et l’ESA traversent actuellement une crise touchant leurs moyens de lancements, donc leur autonomie d’accès à l’espace puisqu’il n’y a plus d’Ariane-5 (dernier lancement juillet 2023), que la première Ariane-6 ne pourra voler (au mieux) qu’en juin/juillet prochain, que le petit lanceur Vega-C peine à faire ses preuves, et que les autres jeunes pousses qui l’entourent n’ont pas encore poussé (et ne proposent dans un premier temps que des micro ou des mini lanceurs). Par ailleurs, les lancements d’Ariane-6 resteront nettement plus coûteux que ceux des Falcon-9 et Heavy de SpaceX.

Dans ce contexte, les projets du CNES semblent disproportionnés car ils sont tous azimuts.

D’abord, le site des lancements, le Centre spatial guyanais à Kourou sera actualisé pour être plus vert. Le ministre de tutelle, Bruno Le Maire (dont la responsabilité principale est l’économie) veut décarboner la filière en développant les champs de panneaux solaires (en Guyane, couverte en principe de forêts) ou l’exploitation locale de l’hydrogène vert (c’était peut-être une bonne idée avant, mais personne ne lui a dit que l’on passait aujourd’hui au méthane, beaucoup plus facile à utiliser). Ce sont nos concurrents Chinois ou Indiens qui doivent bien s’amuser. Mais SpaceX appréciera sûrement aussi.

Dans la même veine, un effort particulier sera fait pour suivre l’évolution du climat car, pour les Français, l’espace est avant tout un espace pour la Terre : mission franco-américaine SWOT (Surface Water and Ocean Topography), développement du SCO (Space for Climate Observatory), satellite TRISHNA (Thermal infraRed Imaging Satellite for High-resolution Natural resource Assessment) en coopération avec l’ISRO indienne, MicroCarb (pour mesurer la concentration en CO2).

Dans l’espace, le CNES travaille aussi et travaillera encore pour la défense française. Divers systèmes doivent être mis en place à l’horizon 2030 : satellites IRIS, satellites Celeste, satellites Syracuse-5, satellites Yoda, satellites Égide. Sur les années à venir, jusqu’en 2030, la dépense représente quelque six milliards d’euros (donc le plus gros des dépenses propres). La France se voit encore comme une grande puissance militaire mondiale. Peut-être sa vision est-elle un peu datée et trop large (sans compter que dans ce domaine plus que d’autres, l’autonomie d’accès à l’espace est indispensable).

Le CNES sera aussi présent dans les technologies de communication dites innovantes : Kinéis (intercommunication des objets), renforcement du système Cospas-Sarsat (qu’on peut voir comme le successeur de SOS), soutien à Galileo (analogue GPS) et projet IRIS2 (qui se veut le concurrent du Starlink d’Elon Musk, ce qui pour un pays qui se veut écologique est assez contradictoire).

Au-delà de l’espace pour la Terre, le CNES poursuivra ses participations à diverses missions scientifiques d’exploration du système solaire en fournissant divers équipements ou services d’importance variable : Juice (lunes de Jupiter) ; Euclid (origine de l’accélération de l’expansion de l’Univers) ; SuperCam de Perseverance (Mars) ; rover Idefix de la sonde MMX de la Jaxa avec la DLR (Phobos) ; participation à la mission SVOM de la Chine (sursauts gammas) ; participation à la mission chinoise Chang’e 6 avec l’instrument DORN (détection du radon sur la Lune) ; mission HERA (support aux deux cubesats Juventas et Milani, pour examiner l’impact de DART sur l’astéroïde Dimorphos) ; participation aux programmes EnVision (nature de l’activité géologique de Vénus) et LISA (ondes gravitationnelles).

Quelques initiatives porteuses d’espoir

Dans le domaine de l’ingénierie spatiale, une initiative intéressante, qui s’apparente à l’action de la NASA (via le NIAC) est le programme Connect by CNES. C’est le guichet du CNES dédié au NewSpace : idéation, incubation, financement, accélération, avec accompagnement technique. 250 entreprises en ont déjà bénéficié dont 35 startups dont la mise sur orbite a été accélérée. Avec 230 millions pour 2024, il y a de quoi faire. C’est pour moi, avec la recherche scientifique, le paragraphe le plus positif du budget, mais il faudrait que les sommes allouées soient conséquentes sur la durée, et on peut déjà constater que vu le nombre d’entreprises aidées, elles seront faibles pour chacune.

Le volet spatial du programme d’investissement public France 2030 lancé en 2022, avant les élections présidentielles, se rapproche de cette initiative (une suite possible). Dix commandes publiques et quatre appels à projets ont été lancés dans ce cadre pour des micro/mini lanceurs réutilisables et sur les micro/mini satellites en orbite. Il faut bien commencer quelque part, et l’initiative est porteuse d’espoir. Mais on est encore loin des lanceurs moyens ou lourds dont disposent les Américains ou les Chinois, et dont on a besoin si l’on veut jouer dans la cour des grands.

Ces deux dernières initiatives sont peut-être dans la ligne de ce que disait Philippe Baptiste des souhaits d’Emmanuel Macron pour le transport cargo : « ouvrir, comme pour les lanceurs, la voie aux initiatives privées en autorisant les paris les plus risqués ». Et on ne peut que l’approuver car c’est en prenant des risques que l’on peut vraiment innover et gagner des marchés.

L’action la plus intéressante est sans doute celle qu’elle entreprend dans l’exploration de l’espace profond et dans le NewSpace. Mais, concernant ce second secteur, on sait qu’il faut beaucoup d’argent pour développer une activité dans l’espace. À la différence de la NASA qui a acheté les vols de Falcon de SpaceX, ni l’ESA ni l’EUSPA n’auront de moyens aussi importants, et Ariane-6 non réutilisable coûtera toujours trop cher. La seule chance du NewSpace français sera donc l’intelligence dans l’innovation de jeunes pousses (comme Maia, HyPrSpace ou Latitude) et le support de grandes fortunes du secteur privé en plus du soutien, forcément limité, de l’État ou de l’Europe. C’est malheureusement là où le bât blesse, puisqu’en France il n’y a pas de fortune privée qui s’intéresse à l’espace (comme aux États-Unis pays de la science-fiction et pays d’origine du NewSpace). Des garanties données par l’État, via le CNES seraient sans doute utiles pour déclencher des soutiens extérieurs.

Rien dans le programme du CNES ne traduit un intérêt quelconque pour les vols habités

Décidément, les actions dans ce domaine sont en France totalement négligées sinon ignorées. C’est dommage, car la France et indirectement l’Europe, risquent d’être totalement absentes des seconds pas sur la Lune et des premiers pas sur Mars. L’Europe se comporte dans ce domaine comme dans celui du réutilisable en considérant que ce n’est pas digne d’elle de s’y intéresser (le réutilisable était bon pour le cowboy Musk mais il a fait sa fortune).

C’est d’autant plus regrettable que des recherches importantes devraient être menées sur l’effet des radiations sur le corps humain, notamment des radiations des rayons cosmiques HZE, les plus nocifs. Avec sa tradition de recherche médicale, la France pourrait œuvrer pour trouver des contre-mesures. Je ne voudrais pas omettre d’aborder le problème des vols en apesanteur. On connaît les dommages qu’ils causent, mais on ne voit dans le programme du CNES aucune mention de la contre-mesure majeure qui serait la mise en œuvre de la gravité artificielle. À mon avis, les très brillants dirigeants du CNES, cette élite intellectuelle de la France qui n’aurait pas l’idée de penser en dehors de la boîte, s’en moque totalement. Ce sera donc d’autres qui le feront, hélas !

On peut être déçu, mais il ne faut pas s’étonner, car depuis 2021, le CNES a à sa tête un homme qui a été voulu par le palais d’où la France est dirigée. Un polytechnicien haut fonctionnaire, qui n’avait pas de vocation particulière pour l’espace mais un intérêt très marqué pour l’informatique. L’ancien chef de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur ambitionne de convertir définitivement le spatial français au numérique. C’est certes très important, mais est-ce vraiment le profil adéquat pour diriger une agence spatiale évoluant dans une concurrence débridée ? Pas sûr.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2024/0...