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Justice : Éric Dupond-Moretti se met au déstockage

, par  Régis de Castelnau , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

L’État français serait-il en voie de désintégration ? Pointer l’affaiblissement drastique de l’exercice des fonctions régaliennes est devenu une banalité. Justice, police, ordre public, sécurité, diplomatie et affaires étrangères, défense, finances, donnent un sentiment de dégradation et d’abandon. Mais c’est la même chose pour les grands services publics, santé, énergie, transports, éducation, qui sont plus qu’en souffrance. Et les Français assistent effarés au spectacle de la disparition d’une force administrative autrefois puissante. Mais finalement, le pire est que ceux qui gouvernent ce pays, constatant le naufrage, ont décidé de se contenter de misérables tentatives de colmatage des voies d’eau. Le premier d’entre eux persiste de son côté à prendre l’Élysée pour une estrade de théâtre et à confondre gouverner et se mettre en scène. Alors que la France se prépare à un hiver qui par certains aspects pourrait être tragique, il annonce triomphalement donner 1 milliard d’euros à l’Afrique du Sud pour l’aider dans « sa transition énergétique ».

L’exemple de la justice est de ce point de vue une caricature. Ce service public essentiel, celui qui doit avec les forces de l’ordre permettre d’assurer la sécurité des citoyens est plus qu’un parent pauvre. Son budget est simplement ridicule, avec le ratio fonds alloués par nombre d’habitants le plus bas de l’Union européenne. Pour diriger ce service public essentiel, Emmanuel Macron a choisi un pur représentant de la société du spectacle qui confond l’Assemblée nationale avec le prétoire pour y éructer ses bons mots.

L’opinion publique vient d’apprendre avec stupéfaction l’existence d’une circulaire en date du 31 mai 2021, « visant à apurer les stocks de procédures non traitées dans les services de police et de gendarmerie ». Les praticiens n’ont pas été surpris, ils savent très bien que, faute de moyens, la justice pénale française pratique plutôt l’abattage. Mais qu’on lui demande désormais officiellement de pratiquer le déstockage démontre qu’on a franchi un cap.

Comment se pose le problème ? Le principe français en matière de poursuites pénales est celui de « l’opportunité des poursuites » qui donne aux parquets le pouvoir de décider ou non de poursuivre des faits portés à la reconnaissance et constituant des infractions avérées et réprimées par le Code. Ce principe d’opportunité s’oppose au « principe de légalité » qui ne prévoit pas cette possibilité. L’objectif de principe était de moduler la répression pénale, de la réserver aux infractions les plus sérieuses et d’éviter de poursuivre celles tombées en désuétude. Cela se justifiait particulièrement jusqu’en 1994 dates de la promulgation d’un nouveau Code pénal. Le précédent, datant de 1810, contenait un certain nombre d’infractions dont la répression n’aurait plus eu aucun sens. On a oublié que jusqu’en 1976, l’adultère était une infraction pénale, ce qui, évidemment, ne donnait plus lieu à des poursuites, et ce depuis bien longtemps ! Pour éviter un trop grand arbitraire dans ses décisions et pour que les droits des victimes ne soient pas négligés, le droit français avait prévu une mesure d’équilibre avec la plainte avec constitution de partie civile, qui oblige à l’ouverture d’une procédure pénale avec la désignation dans certaines conditions d’un magistrat instructeur.

Le nouveau Code pénal avait remis de l’ordre dans tout cela, et on aurait pu imaginer que le nombre annuel de classements sans suite allait baisser. Il a au contraire explosé. Il est très difficile aujourd’hui d’obtenir des statistiques fiables, mais il y a une vingtaine d’années le chiffre était d’un million et demi d’infractions avec auteur connu faisant l’objet de classement. On peut imaginer que désormais, vingt ans plus tard, le chiffre doit avoisiner les 2 millions. Eh bien, pour le ministère et celui qui le dirige, ce n’est pas suffisant. On ne va quand même pas augmenter un budget de misère, augmenter les moyens de la police judiciaire et de la magistrature, alors qu’il suffit de refuser de poursuivre et de se débarrasser des plaintes de tous ses citoyens qui aimeraient bien que l’État se préoccupe d’assurer leur protection. C’est un système particulièrement pervers dont la seule cause réside dans le refus du néolibéralisme financier de donner à l’État les moyens d’accomplissement de ses missions essentielles.

Dans la vision de ceux qui dirigent politiquement et économiquement la société, l’État n’est là que pour assurer « l’efficience » du marché, dès lors qu’il assure leur domination et leur fortune. À quiconque parcourt les tribunaux français, s’entretient avec les magistrats et les auxiliaires de justice, la clochardisation saute aux yeux. Il faut être clair, l’appareil judiciaire n’est actuellement pas capable de répondre à la demande sociale d’accomplissement de sa mission fondamentale. Et toutes les réformes proposées ne sont que des pansements sur des jambes de bois quand elles ne sont pas dictées directement par la volonté de faire des économies en violant les principes. La suppression du jury populaire dans les cours d’assises pour toute une série de crimes en est peut-être le plus criant exemple. Ce principe, utilisé dans toutes les démocraties dignes de ce nom, est la clé de voûte de la justice pénale, et permet de considérer que les décisions les plus importantes sont bien rendues par le peuple. Cela coûte cher ? Alors on demande à l’avocat-ministre qui a fait sa carrière dans les cours d’assises de le supprimer. Ce qu’il va faire sans états d’âme. Parce qu’en effet, pour répondre à l’accusation de « laxisme » lancé à la justice française, Éric Dupond-Moretti a avancé les chiffres des quantums de peine moyens rendus par les tribunaux français. Oui, mais il y a quand même un petit problème, parce que ce calcul ne porte que sur les décisions prononcées et n’intègre absolument pas les classements sans suite d’infractions avec auteurs connus, ni les procédures inabouties. Parce que si on les incorporait, les décisions de justice ne prononçant par définition aucune peine, la statistique du bateleur Dupond-Moretti aurait une autre allure.

Autres effets pervers dans les critères de choix des procédures devant être classées, ce sont naturellement celles de la délinquance du quotidien, celles qui pourrissent la vie des citoyens et nourrissent leur sentiment d’une montée de la violence de l’insécurité. Et parce qu’il ne faut pas non plus tromper, les préjugés politiques et idéologiques de ceux qui font ces choix sont une réalité. La magistrature est un corps qui a construit son indépendance, non pas pour asseoir son impartialité, mais pour agir en tant que force politique. Et cette politisation, qui a de multiples raisons sociologiques et idéologiques, s’est manifestée dans l’activisme pour faire élire Emmanuel Macron en 2017, dans sa protection judiciaire et celle de ses amis, dans la répression massive à l’encontre des mouvements sociaux. Elle trouve aussi à s’exprimer dans le choix des infractions que l’on entend poursuivre. Il serait très intéressant d’avoir des éléments statistiques, sérieux cette fois-ci, sur la typologie des affaires ayant fait l’objet de ces fameux classements sans suite. Ceux dont la place Vendôme demande aujourd’hui la systématisation.

Un beau bureau place Vendôme vaut bien quelques reniements. Et quelques manipulations statistiques glapies à l’Assemblée nationale.
Régis de Castelnau

Voir en ligne : https://www.vududroit.com/2022/11/j...