Par Romain Delisle.
Un article de l’Iref-Europe
Hébété par l’avancée du Covid-19 comme 81 ans plus tôt par la percée des troupes allemandes dans les Ardennes, le pays de Pasteur contemple son armée sanitaire en déroute. Une fois de plus, la ligne Maginot n’a pas tenu ses promesses, une fois de plus c’est la débâcle.
Hôpitaux au bord de la rupture, vaccin français reporté aux calendes grecques, série de confinements-reconfinements jouant avec les nerfs de nos compatriotes : notre pays est le seul membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir de vaccin national, avec les conséquences en termes de souveraineté sanitaire que cela entraîne.
Il n’est pas opportun de faire le point ici sur les responsabilités de l’impréparation de notre système de santé , l’histoire s’en chargera. En revanche, le retard accumulé par notre pays dans le domaine de l’innovation pharmaceutique, la défaillance des financements publics de notre recherche et les faiblesses structurelles de la filière demeurent des éléments saillants que, comme souvent, la crise ne fait que révéler.
La défaillance de l’État dans le financement de la recherche
Le processus d’innovation pharmaceutique se décompose en plusieurs phases : la découverte fondamentale, une nouvelle molécule par exemple, aboutit à un produit commercial, un médicament ou un vaccin. La première phase de recherche fondamentale ne dispose pas de résultats commercialisables et doit recevoir des financements publics, tandis que la recherche appliquée a vocation à voir ses coûts supportés par le secteur privé.
Contrairement à sa voisine d’outre-Rhin qui y consacre 3 % de son PIB, la France dépasse tout juste les 2 % en ce qui concerne les financements publics de la recherche, dont seulement 18 % sont consacrés à la biologie-santé.
Seules 117 start-ups françaises du secteur ont été financées en 2018 pour un montant moyen de 9 millions d’euros, contre 135 au Royaume-Uni pour un montant moyen de 12 millions d’euros.
En 2020, aucune université française n’intègre le top 50 du classement de Shangaï en santé publique, seulement deux en pharmacie et une en biologie. Clochardisés, les chercheurs français gagnent en début de carrière 63 % de la moyenne des salaires de leur profession par rapport au niveau de l’OCDE, avec pour conséquence une fuite des cerveaux , vers les États-Unis notamment.
Un deuxième constat apparaît alarmant : le financement public de la recherche n’est pas aussi efficient qu’il devrait l’être. Si la France accueille un grand nombre d’essais cliniques des médicaments, ceux-ci se concentrent plus largement sur des essais non aléatoires avec des normes scientifiques plus faibles, majoritairement financés par les pouvoirs publics.
Les faiblesses structurelles du secteur pharmaceutique français
Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a dû faire face à un important virage technologique, passant d’une industrie de fabrication de médicaments par synthèse de produits chimiques à la production de biomédicaments, c’est-à-dire fabriqués (ou extraits) à partir d’organismes vivants. Concrètement, les médicaments conçus en masse pour un large public (les blockbuster) sont supplantés par des médicaments complexes, ayant des coûts de production élevés et destinés à des marchés réduits (les niches-buster). L’European Medicines Agency (EMA) a, par exemple, autorisé en 2000 deux médicaments traitant des maladies orphelines, contre 113 en 2019.
La filière se structure autour de grandes multinationales qui gèrent la commercialisation et le développement du produit fini, s’appuyant sur un écosystème de PME financés par des fonds de capital-risque.
Le besoin de financement de ces sociétés a explosé à mesure que le coût moyen de développement d’un médicament augmentait. Avec une croissance de 8,5 % par an, le coût moyen de développement d’un médicament est passé de 802 millions de dollars en 2003 à 2,5 milliards de dollars en 2016. Financer un médicament est donc un processus cher et long, 10 à 15 ans en moyenne, le temps de développement du produit ayant lui aussi augmenté.
Or, notre pays a mal négocié ce virage. De 1995 à 2008, il était le premier producteur européen de médicaments en valeur, en 2017 il se retrouve à la quatrième place. En cause, la délocalisation de la production des produits à faible valeur ajoutée dans les pays à bas coûts, comme la Chine ou l’Inde, et l’atonie du développement de médicaments innovants. La production nationale concerne actuellement, à 80 %, des médicaments d’origine chimique dont 49 % possèdent un brevet expiré. Dans le même temps, l’investissement en faveur des biomédicaments baissait de 183 à 148 millions d’euros de 2010 à 2015.
Le tableau de la situation du secteur pharmaceutique français peut sembler assez sombre et inquiétant : en effet, le sous-investissement de l’État dans le secteur est chronique et ce malgré la crue continue de la dépense publique dans notre pays. Comment ne pas imaginer que de l’argent investi, c’est-à-dire de l’argent qui doit créer de l’argent, ne soit pas un élément considéré comme prioritaire par nos gouvernants ?
A minima, nous sommes en droit à rêver à un effort de recherche comparable à celui de l’Allemagne ou mieux, à un véritable choc de compétitivité sanitaire, puisque désormais le cruel besoin de souveraineté dans ce domaine se fait sentir. Ne faut-il pas à cet effet faciliter la vie des entreprises pharmaceutiques, alléger les procédures, réduire les règlementations, libérer les prix…
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