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Ils croyaient à l’éternité ....(Norbert Régina)

, par  FERNON Jean-Paul , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Norbert RÉGINA (1947-2000) est né à Oran et a été élève au Lycée Lamoricière.

Il est l’auteur d’ouvrages divers dont cette fresque :

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Ils croyaient à l’éternité

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https://editions.flammarion.com/Cat... Les crépuscules d’Alger

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La femme immobile

où l’histoire d’un pays, d’une ville et de ses habitants, revit entre 1942 et 1962 à travers les destins croisés de deux familles oranaises, les Régnier et les Partouche. Les uns, de riches bourgeois, n’imaginent pas la fin de leurs privilèges. Les autres rêvent d’intégration sociale. Tous aiment passionnément une terre de lumière et d’ombre, où les passions se jouent derrière les persiennes closes... Mais bientôt les "événements" vont bouleverser leur vie.

Dans le premier volet de cette saga attachante, l’auteur évoque de façon très réaliste la vie du Lycée Lamoricière dans les années 50.

CHAHUT ORGANISÉ AU LYCÉE LAMORICIÈRE

Dans 1a classe dc première moderne, au lycée Lamoricière, le chahut faisait rage. Les chiffons empoussiérés dc craie traversaicnt 1e ciel commc des avions, les pupitres avançaient en raclant 1e sol, telle une armée de fantassins, encerclaient 1e prof d’anglais. Une grêle de cahicrs bombardaient les quatre coins de la salle. Les injures sifflaient, pareilles à des balles, en français et en espagnol.

Richard Partouche, debout sur son banc, dirigeait 1a manœuvre. Une étrange ivresse lui montait à la tétc : faire 1e mal en sachant que c’était 1e mal ; braver sa famille, Nina ct Lucien, qui l’aimaient mais le traitaient comme un minus. Richard voyait clairement les risques qu’il courait, et i1 s’enragcait davantage. Il entonna : « Allez lycée, allcz lycée, allez ! » sur l’air des encouragements pendant les matches de foot. Les pupitres, en bout de course, cernaient maintenant l’estrade. Dans un nuage de poussière - fumée des bombes - le prof bêlait sans forces, incapable dc couvrir les hurlements déchaînés :

« Messieurs, messieurs, je vous en prie. »

Richard jubilait. Humilier cet homme qui symbolisait tout cc qu’il haïssait, ceux qui l’avaient chassé du lycéc pendant tant de mois.

Pauvre prof ! Un « Frangais de France », son premier poste, à Oran ! Parmi ces sauvages !

Il eut enfin un geste de courage, quitta l’estrade où i1 était une cible parfaite, se planta devant Richard. II ne savajt plus ce qu’il disait, cria : « Partouche, votre nom ! Partouche, votre nom ! » S’il était possible, les hurlements, cette fois de joie, devant ce pauvre diable qui perdait complètement les pédales, montèrent d’un cran. Tumulte effroyable. On l’entendait à l’autrc bout du lycée. Le censeur se mit à courir dans les couloirs, en direction du séisme.

Richard sauta de son banc. Il dominait le prof d’une tête.

« Qu’est-ce tu veux, toi ? »

Je suis cinglé, pensait-il, mais les copains 1c regardaient avec admiration.

« Partouche, chez M. 1e censeur, immédiatemcnt ! »

Depuis le début du chahut, les injures les plus diverses avaient été débitées avec une jouissance qui se gonflait de son impunité. Salaud, péteux, gueule de cul !

Richard lâcha entre les dents un venin plus raffiné :

« Coulo ! »

Injure grave, quoique banale, à Oran.

Le prof ne la comprit pas, mais se sentit gravement offensé. Il blêmit, ce qui ne paraissait guère vraisemblable tant i1 était naturellement pâle. Il saisit Richard par les cheveux.

« Répète, petit con ! »

Bref silence. L’avantage risquait de changer de camp. Richard, ployé par la main du prof, devina que les élèves vacillaient. Le prof, sans 1e savoir, avait respecté l’usage das bagarres, qui consistait à lancer : « Répète », en portant une première attaque.

Pas question dc perdre la face. Richard décocha un coup de poing au bas-ventre, « là où ça fait le plus mal », se vanta-t-il plus tard auprès dc Charles.

Ensuite, ce fut indescriptible. Le prof tomba, on 1e piétina, on le couvrit du contenu dcs corbeilles à papier, on renversa les pupitres, on les brisa avec lcs étagères qu’on avait décrochées.

Les murs de la classe étaient pleins jusqu’à mi-hauteur, vitrés jusqu’au plafond. On vit passer lentement le chapeau du censeur, comme un canard à 1a surface d’une mare. Trahi par son chapeau, 1e censeur trouva, quand i1 poussa la porte, les élèves silencieux, rangés par deux au milieu du champ dc bataille. Lc prof se roulait dans la douleur.

Il y eut sept exclusions temporaires. Richard fut définitivement renvoyé, avec un dossier qui ne lui laissait aucune chance de réintégration dans un établissement public.

Voir en ligne : http://alysgo-apollo.org/coups-de-c...